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De l'argent sale et des mains propres

par El-Houari Dilmi

Cette semaine encore, on (dé) célébrait concomitamment la fête des travailleurs dans un pays où tout le monde se rend au travail sans jamais (ou presque) trimer au sens stakhanoviste du terme. Sous nos latitudes particulières, si le pays tient encore debout, cela relève du miracle paranormal, digne d'un prix Nobel de la Baraka mais à l'envers comme susurré à l'oreille du chroniqueur par un fieffé béotien en sciences économiques, cet art abscons de gérer l'argent sale avec des mains propres. L'Algérie est un pays où beaucoup de monde se gave l'estomac, achète une maison, une voiture, travaille moins de quatorze minutes par jour selon des statistiques « para-officielles », roupille plus du tiers du temps... universel de sa vie sans que le pays coule sous le poids écrasant de ses 42 millions de bouches ouvertes aux quatre chances. Selon le vade-mecum de tous nos paradoxes grandeur nature, l'Algérie est le pays où l'on paye l'eau la moins chère du monde, le pain le plus facile d'accès de tous les pays à «destin» équivalent, l'essence la plus gaspillée des pays pétro-dépendants, le loyer le plus modéré des modérés, l'énergie électrique la moins chère de tous les pays dits «éclairés», tout cela avec la monnaie la plus dépréciée de tous le (s) argent (s) sans prix approximatif ni valeur absolue. Dépersonnalisé, à commencer par son travail, le travailleur algérien n'est pas comme ses camarades d'ailleurs: il reçoit sa solde un mois avant d'avoir goûté au fruit de son labeur détourné et claque sa prime de rendement une année avant de voir sa boîte «banqueroutée». Le travailleur algérien fait semblant de travailler lorsqu'on fait semblant de le payer. Il veut donner l'impression trop fausse de trimer à la tâche, pas pour améliorer le BNB (bonheur national brut) mais pour lutter contre l'ennui sidérant, le vice dévorant et le besoin irrépressible de marcher sur la lune sans jamais laisser de trace. Religion «sacro-sainte» pour nos Chicago-boys pas comme les autres, la productivité sous nos cieux ombragés est inversement proportionnelle à la douloureuse de nos faillites vracquées. C'est que le travailleur algérien est devenu un salarié miséreux, avec des mains faussement calleuses et des bras brisés.

Comble de l'art jamais enseigné dans aucun bahut au monde, l'Etat, seul employeur aux yeux de tous les sans-emploi, a décidé d'augmenter la solde du commun des travailleurs algériens pour mieux les aider à vider leurs poches, avec le sourire en bandoulière et les mains derrière le dos. Et parce que le travail était à l'origine des temps un accident de la vie, avant de changer de «statut particulier» pour devenir une maladie chronique, il est peut-être plus «glorieux» de mourir d'épuisement que d'ennui dans un pays où tout le monde a le sentiment tenace de jouer le beau rôle de faux combattant, à courir, les jambes cisaillées, après un destin imaginaire !