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Attribué en tant qu'actifs résiduels de l'ex-Edipal: Un foncier communal concédé pour un projet promotionnel récupéré

par Houari Saaïdia

Située à Fernandville, à mi-parcours sur le CW 75 reliant Oran à Canastel, une assiette de terrain de près d'un hectare est un cas d'école du promotionnel immobilier tous azimuts qui s'est emparé de la ville d'Oran et qui a été peu regardant même sur la nature juridique du foncier à convertir en tours résidentielles.

«La direction des Domaines n'avait pas à disposer de ce terrain relevant du foncier communal en établissant un acte de concession au profit d'un promoteur. Il s'agit dans le cas présent d'une vente d'un bien d'autrui (la partie requérante, la commune en l'occurrence), étant donné que la contrepartie financière de la transaction a été perçue par les Domaines, ce qui rend illégal et infondé le corps de l'acte de jouissance en vertu des articles 397, 398 et 399 du code civil. De ce fait, la concession de ce bien communal n'est pas légale, la direction des Domaines étant devant un cas d'impossibilité légale de disposer de ce foncier, ce qui, par voie de conséquence, entraîne la nullité de l'arrêté de wilaya n°453 daté du 22/12/2016 », peut-on lire dans l'arrêt rendu par le tribunal administratif d'Oran, le 1er juillet 2018, qui a statué sur l'action administrative introduite par la commune de Bir El-Djir en prononçant « l'annulation de l'acte administratif établi par la direction des Domaines de la wilaya d'Oran au profit du promoteur immobilier concerné, daté du 13 mars 2017, inscrit sous le n°25, publié en date du 22 mars 2017 ». Une décision de justice « définitive », dont la grosse (la copie exécutoire) a été délivrée aux parties, dont l'APC et l'Agence foncière en sa qualité de gestionnaire légal du portefeuille foncier communal en vertu de la loi 90-25 de 1990 relative à l'orientation foncière, en date du 1er juillet 2018, inscrite au greffe du tribunal administratif sous le n°18/00830.

Confondu avec les actifs excédentaires d'une EPE dissoute

Mais comment en est-on arrivé à cette situation d'ultime recours par saisine de la justice pour recouvrer un bien du domaine public de la commune ? Peut-on parler d'erreur, d'omission, d'ambiguïté quand on voit une grande parcelle relevant d'un lotissement communal cadastré basculer en silence et avec une légèreté déconcertante du registre du domaine public communal au registre du domaine privé de l'Etat cessible et concessible au nom de l'investissement et de la promotion immobilière ? En toute logique, la collectivité locale de Bir El-Djir a eu gain de cause puisque le tribunal administratif a déclaré dans son verdict définitif le non fondé et l'illégalité de l'opération effectuée par la direction des Domaines, et ce sur la base d'un arrêté de wilaya, en prononçant l'annulation de l'acte administratif consistant en l'attribution à titre de concession de son propre bien foncier au profit du promoteur concerné. Il s'agit de l'acte de concession daté du 13 mars 2017, n°25, îlot 877, d'une superficie de 8.105 m². A en croire la version des Domaines, le terrain attribué relèverait des actifs résiduels de l'Entreprise de distribution des produits alimentaires (Edipal) dissoute en 2007. Après inventaire, ce foncier relevant des actifs excédentaires d'une entreprise publique économique (EPE) issus de la liquidation aurait été remis à la direction des Domaines, qui l'a consigné en tant qu'actifs immobiliers dans le sommier des biens relevant du domaine privé de l'Etat et non affectés. L'acte établi par les Domaines fait suite donc à l'arrêté de wilaya n°143 daté du 13 mai 2013 amendant l'arrêté de wilaya daté du 20 décembre 2012, accordant le droit de jouissance sur le foncier en question au promoteur immobilier concerné.

Les preuves irréfutables de l'origine de propriété

Cependant, la commune de Bir El-Djir a présenté à la justice des documents officiels attestant que « les locaux de l'ex-Edipal, s'étendant sur 1.132,45 m², avaient été démolis en 1997 par la wilaya d'Oran et leur emprise entièrement utilisée dans le cadre du projet de réalisation d'une route ». L'APC s'est prévalue également d'autres documents, dont le plan cadastral, démontrant que « l'assiette illégalement attribuée à un tiers par la wilaya et les Domaines fait partie intégrante d'une réserve foncière globale de près de 11 hectares conformément à l'arrêté de wilaya n°4385 daté du 4 septembre 1988 et l'acte administratif publié à la conservation foncière d'Es-Sénia en date du 10 septembre 1990, volume 03 sous le n°90, plan cadastral n°153 MII 20 ». La même collectivité locale propriétaire de l'assiette a mis en avant la décision de transfert de gestion du foncier communal en question à l'Agence foncière sous forme de terrains à bâtir au nombre de 16 lots pour une superficie globale de 4.878 m² sur le lotissement 283 (anciennement 233 lots) situé à Haï Khemisti (ex-Fernandville). D'après la décision rendue par la justice, « les éléments déposés par la commune de Bir El-Djir pour certifier l'origine de la propriété ont une force probante. Il est établi que le terrain objet du contentieux fait partie d'un foncier appartenant à la commune d'une superficie de 11 ha et 91 ares, comme en atteste l'arrêté de wilaya n°4385 daté du 14 septembre 1988 enregistré le 11 mars 1990 et publié à la conservation foncière le 10 février 1990, conformément au cahier des charges amendé et publié à Bir El-Djir le 31 mai 1994 ».

Une décision hâtive selon la défense de la commune

Cependant, alors que la commune de Bir El-Djir et l'Agence foncière de wilaya ont épuisé les démarches d'exécution de l'arrêt du tribunal administratif, elles ont été surprises par une décision émanant du Conseil d'Etat, en date du 25 avril 2019, et ce sur action interjetée par la partie adverse, annulant, contre toute attente, l'arrêt de la première juridiction, qui revêtait pourtant un caractère définitif et donc exécutoire. Une décision rendue par la plus haute instance de l'ordre judiciaire administratif en un temps record, six mois, à l'insu même de la commune de Bir El-Djir qui dit ne pas avoir reçu une notification pour l'audience. Pourtant, affirment encore les avocats-conseils de la commune, preuve à l'appui, « surpris par des informations officieuses faisant état de la mise en délibéré de l'affaire pour l'audience du 28 mars 2019, nous avons adressé une correspondance à la présidente du Conseil d'Etat et ses conseillers pour demander le retrait du dossier des délibérations eu égard à son extrême importance et son incidence sur d'autres affaires pendantes en parallèle, dont certaines à caractère pénal ». Autre mobile invoqué par la commune pour surseoir à statuer, « la partie principale concernée par le dossier, en l'occurrence la direction des Domaines d'Oran, n'a déposé jusqu'à l'heure aucune réponse à l'appel interjeté par la partie requérante, au même titre que la commune qui attendait la réponse des Domaines pour répliquer à son tour ». «Compte tenu des dossiers intimement liés en cours d'examen parallèlement depuis 2016, nous attirons l'attention du Conseil d'Etat sur une probable contradiction des jugements au cas où il ne serait donné une suite défavorable à la demande de surseoir à statuer. En tout état de cause, la mise en délibéré du verdict sans aucun préavis pour le requérant afin qu'il puisse au moins déposer tous ses documents, cela est de nature à constituer une gravissime atteinte aux droits de la défense et une transgression flagrante du principe sacré du droit, celui du contradictoire», conclut la défense de la commune de Bir El-Djir dans sa requête adressée au Conseil d'Etat.