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Où sont-ils passés ?

par Bouchan Hadj-Chikh

«Ce n'est pas du pessimisme, mais juste la réalité », dit Charles Enderlin, correspondant d'Antenne 2 dans les territoires occupés, au terme de ses 34 ans de couverture du conflit en Palestine.

Catégorique, il déclare : « il n'y aura pas deux Etats » en Palestine. Pour conforter cette opinion, il ajoute, dans le futur, les 400 000 colons « ne seront pas évacués de Cisjordanie ». Ca c'est pour ce qui ne se négocierait pas, selon lui. Il nuance toutefois ses propos quand il ajoute que les occupants « ne sont pas prêts à renoncer à Jérusalem-Est et au Mont du Temple (Esplanade des Mosquées pour les musulmans) et la direction palestinienne non plus ». « Ne sont pas prêts » laisse entendre qu'avec le temps, un compromis pourrait être trouvé. En revanche, l'occupation illégale des terres palestiniennes et le droit qui est reconnu à cette nation à un état, droit sanctionné par la reconnaissance de la Palestine par presque la totalité de la communauté internationale, cette illégalité perdurera. En dépit de tout. Et de tous. La raison :

« Jamais, dit-il, la position d'Israël n'a été aussi bonne qu'aujourd'hui. Il n'y a pas de grande armée arabe qui le menace. La coordination militaire est excellente avec l'Egypte et avec la Jordanie. Encore jeudi 23 juillet, on a appris que l'armée israélienne avait transmis 16 hélicoptères de combat à son voisin hachémite pour affronter Daech. Israël a des relations indirectes avec le Hamas et presque un début d'accord sur Gaza. Le Hezbollah est occupé en Syrie. Les plus importantes réserves de gaz naturel se trouvent en Méditerranée, au large des côtes israéliennes. Israël va vendre du gaz à la Jordanie et même peut-être à l'Egypte. Avec les Palestiniens, c'est le calme complet. La police palestinienne coopère avec les Israéliens. Tout semble aller très bien pour Israël ». Par delà le calme relatif qui prévaut le long des lignes de cessez-le-feu, et même au-delà, les problèmes de l'entité sioniste « sont intérieurs », dit-il. Ils se résument à ces interrogations : « quelle est la place de la religion? Quelle solution à la question palestinienne? Deux Etats? Un Etat binational? ». Il indique : « l'ancien Premier ministre, Ehud Barak, affirme qu'Israël va vers l'apartheid. Personnellement, je n'aime pas ce terme ».

En d'autres termes, le fin connaisseur de la situation sur le terrain et de vivre l'humiliation quotidienne de tout un peuple, n'est pas de l'apartheid. Cela ne relève pas de la zone grise. Il voit moins clair que Ehud Barak. A moins que perdure le génocide palestinien, le nettoyage ethnique par petite touche.

Sioniste à 23 ans, quand il quitta la France pour vivre et travailler, durant six mois, dans un Kibboutz, Charles Enderlin s'est distingué, il faut le lui reconnaître, dans les années 2000, quand il filma l'assassinat commis par un militaire qui visa délibérément un enfant, protégé par son père, Mohammed al Dura, en dépit des gestes désespérés de cet homme qui faisait signe aux assaillants pour qu'ils cessent leurs tirs. Tous deux accroupis contre un mur durant l'Intifada. Des images qui secouèrent le monde. Il s'est également distingué par des reportages neutres, dirait-on, pour décrire l'écrasement des populations palestiniennes par les forces d'occupation. A l'instar de beaucoup de ses collègues sur le terrain. Dans cet entretien, il ne laisse aucune place à l'espoir d'une justice pour ce peuple et tient pour définitif la configuration de la carte du Proche Orient. Ce qui relève d'une méconnaissance de l'histoire et des hommes qui la font. En fait, pendant que le monde s'entre-déchire et mange ses entrailles, c'est tout bon pour l'entité sioniste. Et l'occident tout à la joie de bombarder ceux qu'il a créé de toutes pièces. Pour que nous lui soyons redevables comme nous le montre l'assistance militaire à la Jordanie et à l'Egypte.

Crier « Palestine vaincra ».

Mais le coeur n'y était pas. Au cours d'une pause, entre deux soins d'une dent rebelle, j'évoquai, à Amman, le drame palestinien, avec mon dentiste. Palestinien, diplômé de l'université de Montpellier. Marié à une française, ses quatre filles portent toutes les noms de villes de Palestine. De la Grande Palestine. Je lui fis part de mon désarroi.

De l'impasse dans laquelle se trouvait son peuple. C'était en 2010.

- Soixante ans après la Nakba, l'issue heureuse de votre combat paraît de plus en plus difficile à atteindre, et les espoirs d'un retour ? »

Je m'arrêtai là parce qu'un éclair parcourait ses yeux. Il dit :

- Vous êtes mal placé pour me parler ainsi, dit-il. Combien d'années dura votre calvaire colonial ?

 - 132 ans.

- Voilà. Au pire, nous sommes à mi-chemin. Il n'y a pas plus mouvant qu'une carte.

Dieu sait que la « paix », partout dans le monde, est toujours fragile. Que l'enfant palestinien qui affronte un char en lui lançant des pierres ne s'arrêtera pas là parce qu'il veut laver l'affront fait à son père.

Et les cartes ?

L'Union Soviétique fut « démantelée » pour ne laisser place qu'à la Russie. Le Soudan fut contraint à abandonner ses provinces du sud. Le Vietnam a été réunifié. L'Ethiopie se démembra pour laisser naître l'Erythrée. Officiellement, le régime de l'Apartheid en Afrique du sud s'est effondré. La Tchécoslovaquie est scindée en deux Etats. Et la Yougoslavie en davantage. Même la carte des relations internationales a subi des changements profonds. Cuba a ouvert une ambassade à Washington. Et l'Iran négocie avec le grand Satan, comme ils l'appellent.

Rien n'est immuable. Aucun empire de l'est. Et Salim, mon dentiste, a donc raison sur la déraison de M. Enderlin.