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Immigration, entre drames et hypocrisie

par Yazid Alilat

Un énième drame humanitaire en Méditerranée n'a pas provoqué la réaction, encore moins les attitudes espérées de la part des Européens. Les tristes événements de ces derniers jours, qui ont confirmé que la pression migratoire est devenue une donnée fondamentale à traiter en urgence par l'Europe et non une statistique qu'il faut éradiquer avec des dispositifs militaro-policiers inefficaces, sont appelés à se répéter dans les toutes prochaines semaines. Avec également d'autres morts inutiles, d'autres drames de ces migrants en quête d'une vie meilleure. Des hommes et des femmes qui veulent atteindre les rives paisibles, prospères et calmes de l'Europe. Là où il y a à manger, où on peut dormir en paix, là où il n'y a ni bombes ni bruits assourdissants de combats entre les fils d'un même pays.

Le sommet extraordinaire tenu jeudi par les 28 Européens, en fait les pays de la rive nord de la Méditerranée, n'a rien donné, comme d'habitude, comme solution à long terme, une solution humaine pour des humains à la recherche d'une vie meilleure, là où ils peuvent la trouver. Car si les 28 ont durci le dispositif de surveillance et de traitement des vagues de migrants venus des côtes africaines, en particulier de Libye devenue une zone de transit de tous les candidats syriens, afghans, arméniens, égyptiens, irakiens et bien sûr libyens, ils n'ont pas pour autant trouvé les véritables solutions au phénomène de la migration, mais seulement colmaté les brèches des dispositifs de Frontex ou Mare Nostrum de la surveillance militaire des mouvements migratoires en Méditerranée. Comme si une augmentation du budget de ces dispositifs, dont celui Triton qui passe de 2,9 à 9 millions d'euros, va dissuader les dizaines de milliers de migrants qui attendent le moment propice pour faire le grand saut.

La méthode est vouée à l'échec d'autant que plusieurs sommets ont été tenus et des stratégies mises en place depuis 2000 pour lutter contre l'immigration clandestine, incriminant au passage les réseaux de passeurs comme les vrais responsables de la mort de ces centaines de pauvres hères qui ne verront jamais les rives de l'Europe. L'Europe tente ainsi d'expier ses fautes et ses fausses analyses, car elle est le premier grand responsable de ces drames humanitaires qui ont pour théâtre la mer, devenu un vaste cimetière. Que pouvaient espérer l'Europe et ses chantres de la démocratie à géométrie variable en fomentant des opérations de soutien à l'opposition syrienne et la guerre en Syrie qui a plongé ce pays paisible, même du temps de la dictature des Assad, dans le chaos et les déchirements avec la naissance de Daech, la guerre contre Saddam Hussein et la ruine de l'Irak, la négation du monde arabe et sa civilisation, la guerre contre le terrorisme en Afghanistan, au Pakistan et aujourd'hui au Yémen, la guerre civile en Libye après un conflit entretenu par une coalition internationale menée par la France pour éliminer El Gueddafi ?

Rien d'autre en fait que toute la misère qui s'est abattue sur ces pays, de ces régions plongées dans des guerres devenues inutiles et interminables, qui ont ramené ces peuples du 21ème siècle à une ère préhistorique, allait fatalement revenir comme un boomerang au visage de tous ces stratèges de la politique étrangère européens et américains qui ont mis le monde à feu et à sang. Ce n'est guère étonnant dès lors que le peu d'humanité de ce qui reste dans ces pays tente de fuir et rejoindre le monde civilisé. Pour l'Europe, la malédiction ne fait que commencer. Le maire de la petite ville sicilienne de Catane, là ou échouent, vivants ou morts, les immigrants, tire la sonnette d'alarme : «L'immigration n'est pas une urgence du moment mais une question de fond». C'est un appel lucide pour que les Européens arrêtent leur hypocrisie pour trouver des solutions durables, humaines, à long terme au phénomène de l'immigration clandestine, dont un échange équitable des richesses et le soutien au développement dans le Sud.