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«Meurtre politique» pour l'opposition, «provocation» pour le Kremlin : Un opposant russe assassiné à Moscou

par Nicolas Miletitch De L'afp

Les dirigeants occidentaux et l'opposition en Russie ont dénoncé l'assassinat choquant de l'opposant Boris Nemtsov dans le centre de Moscou alors que le président Vladimir Poutine et ses alliés évoquaient de leur côté une «provocation» contre le Kremlin visant à «déstabiliser le pays». Alors que la police était toujours à la recherche du ou des assassins, quelques centaines de personnes sont venues déposer des fleurs et des bougies hier matin sur le Grand Pont de pierre, non loin des murs du Kremlin, là où l'opposant de 55 ans a été tué la veille peu avant minuit alors qu'il se promenait à pied avec une jeune femme. Le Comité d'enquête à Moscou a souligné que les premiers éléments disponibles prouvaient qu'il s'agissait d'un meurtre soigneusement planifié et que les assassins avaient suivi leur cible. «Vers 23h15, une voiture s'est approchée d'eux, quelqu'un a tiré des coups de feu, dont quatre l'ont touché dans le dos, causant sa mort», a déclaré une porte-parole du ministère russe de l'Intérieur, Elena Alexeeva, à la chaîne de télévision Rossiya 24. Le président américain Barack Obama a condamné «le meurtre brutal» de Boris Nemtsov, ancien vice-Premier ministre de Boris Eltsine devenu un opposant radical à Poutine. La chef de la diplomatie de l'UE Federica Mogherini et le Conseil de l'Europe ont également fait part de leur indignation.          Le président français François Hollande a dénoncé «un odieux assassinat» et salué la mémoire d'un «défenseur courageux de la démocratie», la chancelière Angela Merkel appelant Vladimir Poutine à faire la lumière sur ce «meurtre lâche». «Il (Boris Nemtsov) était un pont entre l'Ukraine et la Russie, et ce pont a été détruit par les coups de feu d'un assassin. Je pense que ce n'est pas par hasard», a réagi pour sa part le président ukrainien Petro Porochenko. Quelques heures avant d'être assassiné, Nemtsov avait appelé les Russes sur l'antenne de la radio indépendante Echo de Moscou à manifester dimanche dans un quartier excentré de Moscou contre l»'agression de Vladimir Poutine» en Ukraine et pour l'arrêt de la guerre dans l'Est séparatiste prorusse où le conflit a fait 5.800 morts en dix mois. «La décision a été prise d'annuler la manifestation et d'organiser à la place une marche dans le centre de Moscou» à la mémoire de Nemtsov, a déclaré l'un de ses compagnons de lutte dans l'opposition, l'ancien Premier ministre de Vladimir Poutine Mikhaïl Kassianov. Les autorités ont donné leur accord pour une marche qui pourra rassembler jusqu'à 50.000 participants. L'ancienne dissidente et opposante à Vladimir Poutine Lioudmila Alexeeva a résumé le sentiment de ceux qui soutenaient Boris Nemtsov dans sa lutte contre le Kremlin: «C'est un épouvantable assassinat politique. C'est terrible qu'une chose pareille se produise dans un moment pareil», a-t-elle déclaré à l'agence RIA Novosti. «C'est une terrible tragédie pour tout le pays», a réagi l'ancien ministre des Finances de Vladimir Poutine, Alexeï Koudrine.

Le son de cloche était tout à fait différent du côté du pouvoir russe: «Poutine a déclaré que cet assassinat brutal portait les marques d'un meurtre commandité et avait tout d'une provocation», a indiqué aussitôt son porte-parole, Dmitri Peskov. L'opposant «ne représentait aucun danger politique pour Vladimir Poutine et si on le compare avec la popularité de Poutine, Boris Nemtsov était juste un peu plus qu'un simple citoyen», a ajouté M. Peskov cité par l'agence Interfax. «Manifestement, il faut que le sang coule pour que des troubles éclatent dans le centre de Moscou», a commenté le chef du parti communiste Guenadi Ziouganov. Un autre responsable du parti, Ivan Melnikov, a estimé qu'il s'agissait d'une «provocation destinée à relancer l'hystérie antirusse à l'étranger». Le meurtre de Boris Nemtsov a pour but «la déstabilisation de la société», a estimé un responsable du parti pro-Kremlin Russie Unie, Vladimir Vassiliev alors qu'une autre députée de ce parti, Irina Iarovaïa, a affirmé que «cet assassinat a été cyniquement organisé contre la Russie». L'ancien numéro un soviétique Mikhaïl Gorbatchev a déploré la mort de Boris Nemtsov en exprimant la crainte que les assassins ne soient pas retrouvés: «Il faut trouver les tueurs, mais dans ce genre de crime (...) il est parfois difficile de les trouver», a-t-il relevé. Plusieurs opposants au Kremlin ont été tués ces dernières années en Russie, notamment la militante des droits de l'Homme Natalia Estemirova en Tchétchénie en 2009, l'avocat Stanislav Markelov et la journaliste Anastasia Babourova à Moscou la même année, ou la journaliste Anna Politkovskaïa en 2006. Les exécutants ont parfois été arrêtés et condamnés mais pas les commanditaires.