
Retour aux sources. Ta ries.
Topographie de la discussion algérienne hors jours ouvrables et pendant les
temps morts des rites : Dieu. On y parle tout le temps, dans le temps, pour
expliquer le Temps. Pas le Dieu vivant de la foi active, du choix du ciel ou de
la quête du sens, mais le Dieu de la fatalité. Les Algériens ne parlent plus de
leurs ancêtres, de leur monde du reste du monde. Ils parlent de fatwas, des
Interdits puis des maladies. La fatwatisation du langage a pénétré profond dans
les mots, le propos et les familles. Les femmes algériennes, celles des
villages et des espaces clos du patriarcat, parlent comme des satellites
saoudiens : halal/haram/mort et rites. Manger une datte ou trois. Pas deux. La
longueur du tissu. Le genou. Le corps, en général. Ou la mort. A chaque phrase
dite, on revient vers le ciel avec ce mouvement las des gens qui ne veulent
plus vivre ou être responsable de la vie, mais seulement attendre la mort.
Selon les uns ou les autres. Sincèrement ou en jouant le jeu. Comme un jeu
d'ailleurs : la fatwatisation. Soupir, dire que nous allons tous passer et
devenir poussière après avoir vécu caillou. Que rien ne sert à rien. Le bras
qui tombe dans le puits qui est sec dans un désert qui tourne le dos. Puis
encore soupirer et se rappeler des morts. Raconter des anecdotes de morts :
fauchés en pleine jeunesse, par une tôle ou à cause d'un mauvais sommeil. Dans
les conversations algériennes il y a toujours une anecdote sur une mort. Pas
sur une montagne vaincue ou une colline pliée par une charrette et forcée à la
récolte. La mort est une vie entière. Elle a ses personnages, ses histoires, sa
vie, ses vêtements, ses endroits favoris, ses visages et toute une éternité. On
en parle comme d'un pays.
Du coup, dans le coin de l'observateur, on se demande : où
est passée la vie ? Ses histoires ? Ses femmes et ses amours ? Les noms des
sources ? Les vieilles histoires sur les ancêtres ? Les explications qui
remontent aux mythes puissants ? Les mémoires ? Pourquoi l'Algérien, homme ridé
ou femme cachée, ne racontent plus rien et attendent tous de mourir ? Qu'est-ce
qui s'est brisé entre nous, le mot et l'élan ? Entre le Dieu et son homme il y
a désormais le Satellite : dedans, il y a les cheikhs, les morts, les morbides
et les animaux étranges du moyen-âge « arabe ». Ils gravitent dans les têtes,
tournent puis dictent les ondes et tuent la vie verte. Ce que le Fis n'a pas
réussi par la mort, le Satellite le répand par des orbites. On le voit à ce son
sinistre des conversations algériennes convenues. Un échange de cendres au nom
du Dieu et de la Fin. Puis on se lève. Quel est le sens ? Quand on tue ses
ancêtres, on meurt toujours à leur place et en premier. Peut-être est-ce là
l'explication : les Algériens n'ont plus la boutade intéressante, la religion
audacieuse, ni le sens debout qui tient tête au ciel et aux clichés, ni le
sous-entendu malicieusement salace. On s'ennuie. On le dit d'ailleurs. La
parole est morte. On subit le pays comme un temps mort. Le satellite est
cancérigène. Il a tué l'Algérien et ses conversations, ses vêtements, ses
rites, des dates et ses clins d'œil à l'intérieur du mot et du visage. La plus
haute vertu est désormais la consternation. Le vif est mort mais n'est pas
encore monté au ciel. Le temps est le temps mort entre deux prières.