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L'économie algérienne face à un nouvel ordre énergétique mondial

par Farouk Nemouchi *

Au moment où les énergies renouvelables s'affirment de plus en plus comme alternative à l'énergie fossile et au nucléaire, le monde découvre avec surprise la rapide progression de la production de pétrole et de gaz dits non conventionnels extraits à partir d'autres formations géologiques : gaz de schiste, gaz de réservoirs compacts et gaz de charbon. L'essor pris par cette nouvelle énergie fossile en quelques années est considéré comme une révolution énergétique et constitue un prélude à l'avènement d'un nouvel ordre énergétique mondial. Les estimations des réserves de gaz non conventionnel dans le monde demeurent incertaines et controversées mais elles sont jugées considérables et sont réparties à travers les grandes régions du monde : USA, Amérique latine, Europe, Russie, Chine, Afrique et Australie. Le volume des ressources de gaz non conventionnel en place dans le monde est évalué par l'agence Internationale de l'énergie en 2008 à un peu plus de 900 Tétra mètres cubes (Tm3) ou 900 000 milliards de mètres cubes. Selon les prévisions d'ici à 2035 le gaz non conventionnel représentera près de 30 % de la production gazière mondiale contre 16 % en 2011. La ressource non conventionnelle qui connaît la croissance la plus spectaculaire est le gaz de schiste dont le volume des réserves techniquement récupérables évalué par le département américain de l'énergie atteint à 220,8 Tm3. L'Algérie occupe le 4eme rang mondial avec un volume de 20 Tm3 soit l'équivalent de vingt mille milliards de mètres cubes.

Certains pays hésitent à se lancer dans l'exploitation de cette nouvelle énergie fossile pour des raisons environnementales et la résistance des mouvements écologistes. Les Etats-Unis d'Amérique, grâce à la maîtrise des techniques d'extraction, se sont engagés résolument dans la production de gaz de schiste qui est passée de 3,25% de la production totale en 2005 à 32% en 2012 et on prévoit que d'ici 2030 ils seront en mesure d'atteindre leur indépendance énergétique et devenir exportateur. Pour l'Algérie c'est la perte d'un débouché important. Ainsi l'un des faits marquants sur la scène énergétique mondiale au cours de la décennie écoulée est l'émergence de nouvelles sources d'énergie dites non conventionnelles et dont le gaz de schiste est la principale ressource. Cette évolution laisse présager la configuration d'un nouvel ordre énergétique qui annonce des bouleversements dans le monde sur les plans géopolitique notamment au Moyen-Orient, économique, monétaire et une redéfinition des relations entre producteurs et consommateurs.

Quelles sont les conséquences pour l'économie algérienne ? Le gaz naturel occupe une place plus qu'appréciable dans l'économie nationale dans la mesure il représente 49% des exportations totales des hydrocarbures. La surabondance de cette matière à l'échelle mondiale est à l'origine de perturbations qui sont appelées à s'installer durablement. En Algérie elle apparaît comme une des causes de la baisse de la production de gaz naturel de 8% et des exportations de 10% entre 2007 et 2011.

La libéralisation du marché gazier a conduit à la formation d'un marché spot, marché sur lequel le prix de cette ressource est influencé de plus en plus par l'offre et la demande. L'excédent de l'offre induite par le développement du gaz de schiste est tel que sur le marché américain, le prix du gaz a chuté de 30¨% entre 2011 et 2012. Il résulte de cette baisse un découplage du prix du gaz par rapport au prix du pétrole. En d'autres termes si le cours du pétrole augmente, celui du gaz peut évoluer vers la baisse. Cette nouvelle orientation remet en cause la politique prônée par les responsables algériens du secteur de l'énergie qui a toujours reposé sur le principe de l'indexation du prix du gaz sur le prix du pétrole et la négociation de contrats de longue durée pour la vente du gaz naturel. Ce type de contrats est nécessaire pour rentabiliser les investissements réalisés dans la filière du gaz naturel liquéfié. Si le décrochage entre le prix du gaz et celui du pétrole s'accentue, entraînant avec lui un plus grand déclin des exportations, il convient alors de s'interroger sur la politique d'expansion de l'industrie de liquéfaction du gaz naturel.

Les bouleversements introduits par l'essor de la production de gaz non conventionnel aux USA modifient les équilibres énergétiques et indiquent clairement que les rapports de force entre pays producteurs et consommateurs ne sont plus les mêmes. Cette situation est appelée à prendre de l'ampleur avec l'émergence de nouveaux producteurs notamment la Chine.

L'augmentation des quantités de gaz et la baisse de la consommation en raison de la récession économique mondiale sont responsables de la diminution des investissements et de l'abandon de nombreux projets dans le secteur des hydrocarbures à travers le monde

Cette nouvelle donne impose à l'Algérie l'élaboration des stratégies énergétiques sur le long terme qui prennent en compte ces contraintes.

Le nouvel ordre énergétique installe l'économie nationale dans une situation inconfortable car il l'expose à un risque élevé de détérioration de ses équilibres économiques internes et externes.

Sur le plan interne le pays connait une situation de déficit budgétaire qui est masquée par le recours à l'épargne accumulée dans le fonds de régulation des recettes pétrolières. Une nouvelle contraction des recettes gazières peut conduire à un déficit plus élevé et soulève la question de son financement.

Selon un scénario établi par le FMI, une baisse de 30 % du prix gaz à cause de l'arrivée du gaz non conventionnel sur les marchés d'exportation de l'Algérie se traduiraient par une diminution des ressources du fonds de régulation des recettes pétrolières d'environ 10 points de pourcentage du produit intérieur brut à l'horizon 2015.

Sur le plan externe, ce sont les réserves de change qui seront affectées par la chute des revenus gaziers. Les responsables estiment que le niveau actuel de ces réserves est suffisant pour faire face à d'éventuels chocs externes et qu'il n y a pas lieu de se soucier sur la solvabilité externe de l'Algérie. Il est vrai que les réserves de change ont sensiblement augmenté évoluant de 110,2 milliards de dollars en 2007 à 190,66 milliards de dollars en 2012. En revanche on peut relever avec inquiétude que, malgré cette hausse de 73 %, le nombre de mois d'importations de biens et services couverts par les réserves de change est passé de 39,7 mois à 36,5 mois. Les excédents de la balance des transactions courantes enregistrés au cours des dernières années ont généré une capacité de financement qui a servi à alimenter les réserves de change, à honorer le remboursement anticipé de la dette extérieure et à effectuer des placements à l'étranger. Si cette tendance venait à s'inverser sous l'effet d'une baisse durable des recettes d'exportation du gaz naturel, l'Algérie sera confrontée à un besoin de financement qui aboutira inévitablement à l'endettement extérieur.

Pour éviter ce scénario contraignant, à savoir la baisse de recettes budgétaires et des réserves de change, les autorités sont tentées de comprimer les dépenses publiques et les importations en prenant des mesures administratives et coercitives qui peuvent être inefficaces et contreproductives. L'expérience des décisions prises dans le cadre de la loi de finance complémentaire 2009 (crédit documentaire obligatoire et suppression du crédit à la consommation) le prouve de façon édifiante. Au-delà des préoccupations légitimes suscitées par l'augmentation vertigineuse des importations et des dépenses publiques sur plus d'une décennie, il y a lieu de se poser la question suivante : pourquoi la hausse des importations et de la dépense publique n'a-t-elle pas entrainé une croissance économique réelle et une diversification des exportations ? Si les biens d'équipement constituent une part élevée dans la structure des importations, comment alors expliquer le très faible impact sur le taux de croissance du PIB réel ? Pourquoi y-a-t-il absence d'effet multiplicateur des dépenses publiques sur la production nationale si on suppose qu'on est dans une démarche de type keynésienne ? La croissance économique par la dépense publique ne se réduit pas seulement à la réalisation de grands projets d'infrastructure. Ces projets doivent avoir un effet structurant sur les autres secteurs et produire des externalités positives qui stimulent l'investissement local. Il incombe aux économistes algériens de trouver des réponses à ces multiples interrogations et par la même occasion réfléchir à la construction d'un modèle de croissance économique qui neutralise les effets dévastateurs du « syndrome hollandais » dont souffre le pays et libère l'économie nationale de l'emprise du système rentier.

L'avènement d'un nouvel ordre énergétique mondial fondé sur les énergies fossiles non conventionnelles est à prendre au sérieux même si son évolution demeure incertaine et qu'aucune certitude n'est établie sur ses perspectives. Il faut se souvenir que les événements tragiques vécus par l'Algérie durant les années 90 ont été précédés par une grave crise économique et sociale causée par un effondrement du prix du pétrole.

* Universitaire