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Un député revanchard et un général de division l'attaquent Bouchareb hors la loi

par M. Saâdoune

Ça ne va pas se passer comme ça». Le réalisateur franco-algérien Rachid Boucha reb est       publiquement averti. Son dernier film «Hors-la-loi», sélectionné pour le Festival de Cannes est, contrairement à «Indigènes», politiquement incorrect et il suscite, déjà et sans avoir été vu, la réaction des plus caricaturaux des colonialistes français. L'avertissement est venu d'un député de l'UMP, le parti du président français. Un député qui continue, même en 2010, à mener sa guéguerre pour «l'Algérie française». Lionnel Luca, raciste ordinaire et anti-algérien pavlovien, sans avoir vu le film de Bouchareb, parle de falsification de l'histoire. M. Rachid Bouchareb est coupable de ne pas reprendre le vieux cliché français de justification des massacres du 8 mai 1945. C'est le but de cette attaque préventive contre le film «Hors-la-loi», une production algéro-franco-belge, qui doit être présentée en sélection officielle à Cannes, sous pavillon algérien. Le député UMP justifie les massacres commis par l'armée et les milices colonialistes qui ont fait des milliers de victimes parmi la population «indigène» de Sétif, Guelma et Kherratta. Selon les propos puants de ce glorificateur des bienfaits de la colonisation, le réalisateur est coupable de ne pas avoir donné une justification des carnages. Cette démarche d'autojustification, l'Etat français, lui-même, semble -ou semblait- l'avoir abandonnée tant elle est intenable. En avril 2008, l'ambassadeur de France, Bernard Bajolet, a évoqué à Guelma, les «épouvantables massacres» et la «très lourde responsabilité des autorités françaises de l'époque dans ce déchaînement de folie meurtrière? ». Il soulignait que ces massacres, «ont fait insulte aux principes fondateurs de la République française et marqué son histoire d'une tache indélébile» et «aussi durs que soient les faits, la France n'entend pas, n'entend plus, les occulter. Le temps de la dénégation est terminé». Avant Bajolet, l'ambassadeur français Hubert Colin de la Verdière avait déjà qualifié les massacres du 8 mai de «tragédie inexcusable». Le temps de la dénégation est pourtant toujours-là! Et des excuses, on continue d'en trouver. M. Lionnel Luca attend donc que les historiens et les cinéastes glorifient cette «grande œuvre» du 8 mai 1945 en la présentant comme une simple riposte -donc justifiée et légitime- des Européens à des attaques commises par les Algériens. De manière grossière, ce député du parti de Sarkozy, qui parle exactement comme Le Pen, accuse le cinéaste de faire dans le négationnisme. «Autant «Indigènes» (le précédent film de M. Bouchareb, ndlr) était dans un esprit positif de réhabilitation, autant celui-ci est dans un esprit négatif et négationniste. Ça ne va pas se passer comme ça». Un recul par rapport aux petits pas de De la Verdière et Bajolet Voilà, M. Bouchareb est averti. Il risque d'être expulsé, d'avoir un accident de voiture commandité par ce zélateur de la colonisation. Un vase peut lui tomber sur la tête ou alors des inconnus pourraient le jeter dans la Seine? Pour le sieur Lionnel Luca, les massacres du 8 mai 45 doivent faire partie des «bienfaits» de la colonisation tout autant que les quelques infrastructures construites en Algérie pour le seul et unique service des colons. «Bouchareb est un partisan (...) un irresponsable qui met le feu aux poudres de manière insupportable» a-t-il déclaré à l'AFP. Le député n'aime pas non plus que les «porteurs de valise», les femmes et hommes de courage engagés dans les réseaux Jeanson qui ont sauvé l'honneur de la France, soient considérés comme des héros alors que ce sont des «traîtres». M. Bouchareb doit obligatoirement partager les visions, anachroniques et stupides de M. Luca, sous peine d'être un négationniste. Et si ce glorificateur de la colonisation n'a pas vu le film, il pense que la référence à un général de division de l'armée française est suffisante. Gilles Robert, chef du service historique de la Défense, a estimé que le scénario de «Hors-la-loi» relevait des «erreurs et anachronismes (...) si nombreux et si grossiers qu'ils peuvent être relevés par tout historien». Et, insidieusement, ce général de division, en charge de veiller à la bonne image de l'armée française, y compris dans ses grandes œuvres dans les colonies, accuse le réalisateur de vouloir faire «croire au spectateur que le 8 mai 1945 à Sétif, des musulmans ont été massacrés aveuglément par des Européens, or, ce jour-là, c'est le contraire qui s'est produit (...) c'est en réaction au massacre d'Européens du 8 mai, que les Européens ont agi contre des musulmans». Il faut noter que le général en question parle «d'Européens» et évite de dire que c'est l'Etat français et son armée, y compris son aviation, qui se sont chargés des vastes massacres. Il n'y avait aucune «spontanéité» dans les massacres. Il fallait donner une leçon sanglante aux Algériens et elle a été administrée froidement. Le commentaire du général de division, en charge de l'histoire officielle de l'armée française, est celui d'un vulgaire propagandiste qui n'hésite pas à réviser l'histoire. Exprime-t-il le point de vue de l'Etat français aujourd'hui?

 Ce serait un recul considérable par rapport aux petit pas faits par Colin de la Verdière et Bernard Bajolet. «Indigènes», parlant d'une guerre se déroulant en territoire européen, était assez aseptisé pour être porté au pinacle. «Hors-la-loi», apparemment, n'est pas suffisamment aseptisé pour l'être.