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Le choix entre «Riyah!» et «Rgoud!»

par Kamel Daoud

Et maintenant, c'est quoi le projet national ? Réunir le faux peuple dans une grande pièce et lui donner à manger pendant cinq ans n'est pas un destin mais une mastication. Continuer à construire des ponts au-dessus de rivières décédées, des routes dans tous les sens et des trottoirs inter-wilayas n'est pas un destin, mais de l'ameublement. Nommer un nouveau gouvernement, de nouveaux ministres encore plus proches du tapis, renvoyer des walis, n'est pas non plus un destin, mais de la couture. Car la grande question est là: que fait-on d'une majorité lorsqu'on l'a obtenue par essorage ? A quoi sert un peuple lorsqu'il est ramassé dans une seule poche, avec des milliards de dollars dans l'autre ? Techniquement, la majorité va servir justement contre les minorités. Celle des opposants externes, des opposants internes, des « tièdes » et de ceux qui refusent les réformes unipersonnelles. Mais tout le monde sait que c'est à moitié vrai.

La majorité statistique des dernières élections sert à donner un destin, mais à un seul homme. D'où la grave menace publique d'un tel destin mal partagé avec le reste des Algériens.

N'importe quel proverbe honnête, cueilli lors d'une conversation dans la salle d'attente d'un dentiste, vous dira qu'un peuple sans destin tombe très vite dans le rôle de la foule sans leaders et s'attaque aux lampadaires sans raison. Un peuple pareil ne sert plus ni à construire à un pays, ni à lever des armées de défense, ni à produire des idées ou des céréales. Il devient friable au toucher, lourd à transporter et menaçant dans le noir et les endroits mal éclairés. On ne peut pas parler d'une Algérie au futur si on se contente de la meubler avec des ponts, lui donner à manger avec des pelles et la traiter en appareil digestif. Car, contrairement à ce que pense l'opposition algérienne partisane, l'ennemi le plus terrible du nouveau système lifté ce n'est pas l'opposition, la révolte ou l'émeute, mais l'ennui et le vide. Après avoir forcé tout un pays à avaler la réélection comme un but final, le reste du mandat est frappé d'oisiveté institutionnelle comme l'a remarqué un confrère. On ne sait même plus quoi en faire entre nous sauf y attendre un peu d'argent de l'autre poche de Bouteflika, des augmentations de salaires, des moutons ou de la farine. Rien qui ne soit à la hauteur de l'épopée ou capable de nous rassembler pour un nouvel élan de décolonisation alimentaire. La preuve ? Il n'y a même plus rien à écrire d'utile depuis quelques jours. Le temps s'est presque arrêté : il regarde une virgule.