A quoi sert un Général arabe? La question, désormais
pertinente, a été posée par un confrère et par la grande foule des Algériens.
Les réponses sont donc connues de tous. Un Général arabe sert à ce que sert son
armée: tuer le temps et le manger. Ou peut-être surveiller les frontières. Pas
celles du pays concerné, mais les frontières entre le peuple local et son Etat.
A l'époque où beaucoup de pays arabes n'existaient pas ou n'existaient que comme
des secondes épouses pour les colons, les généraux arabes ont servi à libérer
le pays à l'époque où ils n'étaient pas encore des généraux mais des soldats.
Devenus libres, ils ont donc usé de la liberté comme l'on use de son temps
libre: pour manger agréablement ou tracer des limites en fronçant les sourcils,
ou acheter des fusils neufs avec bonus et SAV ou choisir les tricots de peau et
les présidents, selon la caricature populaire. D'ailleurs, on reconnaît très
vite un Général arabe à quelques traits: d'abord il ne fait plus la guerre mais
de la politique ou des inspections, il a plus de médailles que l'histoire de
son pays, il ne prend presque jamais sa retraite même s'il est très, très
vieux, il est souvent malade à cause de l'oisiveté, il a un gros budget mais de
petits yeux. Qu'il soit ancien maquisard, de la famille royale, élevé dans les
écoles de l'ex-URSS ou nommé Général à cause des plans de carrière
administratifs, il ne défend plus son peuple depuis longtemps mais lui défend
de manger avec les doigts, de parler à table, de sortir dans la rue sans
autorisation ou de se promener nu après l'Indépendance. Bien sûr, les Généraux
arabes ont un ennemi comme tous les généraux et les armées: chez nous ce sont
les barbus, les terroristes, les kamikazes, les dissidents, les opposants, les
pays voisins ou les officiers subalternes qui attendent leur tour au galon.
«Mais jamais l'Amérique ou Israël!», a écrit notre confrère. Et c'est vrai: un
Général arabe, aussi gros qu'il puisse être, a la force et la faiblesse de son
peuple civil: il a été fatigué par les décolonisations, il veut sa maison, sa
paie, ses enfants et une Omra ou une SARL à la fin et le pire, c'est que là où
son peuple n'arrive même pas à fabriquer ses chaussures, lui n'arrive pas à
confectionner son fusil. Lui comme son peuple dépendent des importations et des
importateurs. Aussi Général qu'il soit, il est consommateur comme les siens.
D'aucuns pensent donc que si on peut remplacer le peuple par des Chinois au
Maghreb et des Philippins en Arabie, autant le faire pour les armées arabes et
leurs généraux. Habitué à faire le va-et-vient sur la grande muraille des
frontières de son pays, un Général arabe n'a pas, cependant, les illusions
optiques de son pays: il sait qu'on est tous assis sur des peaux de mouton et
qu'on ne peut pas se battre avec des cornes contre des F16.
La solution sincère serait donc de dissoudre les armées
arabes et de verser leurs soldes aux personnes âgées, mais cela n'est pas
possible: même handicapé sur une chaise roulante, l'homme a toujours besoin de
sa colonne vertébrale et des os majeurs et donc de l'institution de son armée.
«D'ailleurs qui nommera les présidents? Qui épousera les partis? Qui va lire
les journaux? Qui surveillera les voisins? Qui s'occupera de mes enfants?»
pourra dire n'importe quel Général arabe. Et là, le peuple ne répondra même
pas. L'idée de chaque peuple arabe est qu'une armée qui a chassé les colons
n'hésitera pas à le chasser lui aussi un jour. L'autre solution serait de
dissoudre à moitié les armes arabes: les généraux arabes seraient donc recrutés
pour les moitiés de la journée comme généraux et l'autre moitié comme populace.
Ainsi on réduirait les dépenses et les illusions et personne n'ira penser qu'il
faut aller à Ghaza, guerroyer avec Israël ou faire des exercices abdominaux
avec l'OTAN. Les armées arabes sont-elles donc inutiles? Juste un peu: le bâton
d'un berger ne tue pas le loup mais apprend au troupeau à traverser la chaussée
dit un faux dicton. A quoi donc sert un Général arabe? A ce que l'on sert tous
autant que nous sommes: justifier le drapeau. Ou comme dit plus haut tuer le
temps. Ou habiller le périmètre avec une histoire nationale. Ou regarder la
télévision. Depuis 1973 la question est posée. Sur chaque tête.