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Données convoitées

par Abdelkrim Zerzouri

Les internautes de confession musulmane victimes d'un vol de données d'une ampleur insoupçonnée ? C'est ce qui ressort d'une enquête interne menée par Google, qui a abouti le 25 mars dernier à la confirmation de l'existence d'un vol organisé, ciblant les utilisateurs d'applications de prière musulmane (Al-Moazin Lite, Ramadan 2022, Al Quran Mp3?). C'est vrai qu'en termes numériques, ces applications affichent plus de 10 millions de téléchargements, soit autant de données numériques qu'on peut monnayer sur le marché fructueux du commerce illicite de la vente des données personnelles, sans le consentement ou à l'insu des personnes ciblées, bien sûr, mais cela n'explique pas le ciblage des internautes d'une confession religieuse bien précise, en l'occurrence l'Islam. Pourquoi les musulmans et pas les chrétiens, qui utilisent également plusieurs applications ? Le vol des données et informations personnelles n'est pas une nouveauté en soi sur Internet, mais ce dernier vol massif qui touche une catégorie précise d'internautes, en l'occurrence les musulmans du monde entier, suscite de l'inquiétude. Une inquiétude fondée et légitime quand on apprend, selon les premiers résultats de l'enquête, ou une partie de l'enquête rendue publique, que ce vol de données personnelles ne résulte pas d'une quelconque faille de sécurité mais d'une machination bien orchestrée, impliquant une agence gouvernementale américaine. D'après les résultats de l'enquête de Google, c'est une entreprise panaméenne qui a créé et diffusé un code caché dans des applications utilisées exclusivement par les musulmans, permettant de récupérer, pour le compte d'un sous-traitant d'une agence gouvernementale aux États-Unis, de nombreuses données sensibles comme des numéros de téléphones, des e-mails, la géo localisation et d'autres données encore. Ainsi que le fait gravissime des effets de ce code, qui est capable d'identifier les appareils connectés au même réseau WiFi que celui de la victime, permettant de récupérer des informations sur son entourage, multipliant l'estimation du nombre de victimes par deux, trois, cinq ou même par dix. Les conclusions de l'enquête ne seront pas connues avant plusieurs mois, annonce-t-on, mais on peut se demander s'il ne s'agit pas d'un piratage impliquant un Etat, et non de simples pirates informatiques isolés, qui tentent de voler des données et informations sensibles pour les revendre au plus offrant ? On sait que dans le cadre de la lutte antiterroriste, presque tout est permis sur le plan législatif américain, Guantanamo et les arrestations et transferts de prisonniers accusés d'appartenance à des groupes terroristes, qui ont été opérées par la CIA, hors de tout cadre judiciaire, hors des frontières américaines, sont là pour en témoigner. Et, dans cette optique, la possession de données personnelles de millions d'utilisateurs peut constituer une solide base de surveillance algorithmique de millions de musulmans éparpillés à travers plusieurs pays. L'alerte à propos de ce vol des données personnelles a été donnée en octobre 2021, mais ce n'est que le 25 mars dernier que Google a fini par bloquer et supprimer une douzaine d'applications parmi lesquelles on retrouve des applications de prière musulmane (Al-Moazin Lite, Ramadan 2022, Al Quran Mp3?). Une affaire aux relents scandaleux qui n'a pas encore livré tous ses secrets.