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![]() ![]() ![]() Les deux grandes activités algériennes: les ablutions et les déductions
par Kamel Daoud ![]() Tout
Alger L'attend : Le discours où il annoncera qu'il ne reviendra pas, qu'il ne
partira pas, mais qu'il ne se représentera pas, mais où il va être représenté.
Et tout Alger est divisée : entre ceux qui disent qu'il va le faire, qu'il ne
va pas le faire, qu'il va gagner du temps ou qu'il n'a même plus la force ni
d'être président, ni de dire à voix haute et audible qu'il ne le pourra plus.
Cette maladie est le plus long film algérien. Genre « la maladie d'Alger ».
Après la bataille d'Alger. Et cela doit se décider maintenant, c'est-à-dire,
hier, tant dans le monde on a commencé à regarder avec curiosité cet étrange
cas d'un pays réduit à un lit et d'une nation qui n'a pas fait le printemps
«arabe», n'a pas fait le contraire du printemps «arabe», n'est pas une
dictature, ni une démocratie, n'est pas en développement, ni en récession,
n'est pas pauvre mais n'est pas riche, n'est pas islamiste mais n'est pas
moderne et qui ne fait que bouger des lèvres, de la main, d'un bras et qui ne
dit rien de plus, assise sur les berges d'un long fleuve de pétrole. Cas
unique, comme l'a dit le chroniqueur, d'un peuple qui va être appelé à des
présidentielles mais sans candidat. Plus étrange : ni candidat, ni candidat
unique, si on prend en compte la fratrie Bouteflika. Et donc, on attend. Et
c'est une œuvre extraordinaire : voici un homme qui a réussi à faire le vide
autour de lui, au point où même lui n'existe plus. Le régime algérien n'est pas
tombé comme chez les voisins : il s'est dissous, s'est transformé en rumeurs,
en bulletins de santé. Etrange : il est un « disparu ». Sans corps, ni
lendemain. Il a été enlevé par lui-même. Il a effacé ses propres traces. On
l'entend respirer mais pas plus. Et donc, on attend ce qu'il va dire dans
quelques jours. S'il le peut, ou s'il le veut. Ensuite, il faudra faire vite et
là c'est déjà trop tard. Il n'y a personne. A peine Sellal, coincé entre un
peuple qui veut manger sans même l'effort de mâcher, un Président ombrageux et
une clique de joueurs de tambour qui s'affolent de la perspective du vide, un
Chef d'Etat major indécis et un Frère en panique. Et nous ? Que peut le cadavre
dans les mains d'un malade ? C'est donc le remake du cinéma algérien : « le
malade d'Alger », ou « chronique des années de chaise » par exemple. Et cette
attente a vidé le pays des siens, l'a consumé dans l'oisiveté, la terni comme
un arrière-plan, l'a immobilisé. On ne se souvient plus de ce qu'il faut faire,
de ce qu'il faut célébrer, de nos propres souvenirs ou morts illustres pour
nous, on ne se lave plus les mains et personne ne fait rien, sauf ces deux
grandes activités du vide cosmique : prier Dieu ou analyser les images de
Bouteflika. Les ablutions ou les déductions.
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