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Candidatures, le Bollywood

par Kamel Daoud

Il s'appelle S. Salah et sa biographie est parfaite : il a été dans le comité de soutien à Zeroual, puis dans celui de Benflis et dans celui de Bouteflika. «Maintenant, c'est mon tour», dira-t-il à un journal, en annonçant sa candidature à la présidence. Il est simple employé à Sonatrach, il n'a pas de diplôme (la constitution n'exige pas de diplôme et de niveau d'instruction important, explique-t-il), est jeune, a une chemise à carreaux et un sac en bandoulière et un gros sourire. Il vient de confectionner des affiches et sur sa page facebook il a adressé un message à Mohammed VI le priant de se calmer. C'est la génération Saadani : si Amar est devenu second homme de l'Etat, pourquoi pas Salah? Il existe désormais une sorte d'algerian dream qui fait que l'on peut être employé de Naftal puis devenir maitre du pays avec escorte et statut de VIP. D'ailleurs, Salah n'est pas le seul. Sur le net, dans les cafés et dans la rue, il sont désormais des dizaines de candidats avec l'inflation de la fonction présidentielle et de la représentativité politique : « le pourquoi pas moi ?» est une énorme vague nationale qui se dessine, bâtie sur la conviction profonde que ce pays ne vous demande pas d'être brillant pour le conduire, qu'on est tous égaux et que Chourouk est une culture et Saadani un exemple à suivre. Pourquoi pas ? Cela rappelle un peu l'inflation du multipartisme qui a tué le multipartisme.

Salah est l'expression naïve de cette pakistanisation de l'Algérie : une caste indépendante, fermée, méchante et sourde qui va continuer à posséder le pays, et un peuple chouroukisé qui va s'enfoncer dans le Bollywood politique, la fatwa, le bigotisme et les fanatismes furieux et tellement manipulables. Salah n'est pas seul, ils sont beaucoup. Ils vont être médiatisés, créer le rejet par le comique, vider le politique par les clowneries, occuper le bon peuple, ridiculiser la démocratie et faire refluer l'électeur vers l'unique solution « sérieuse » : celle du régime.

L'étrange cas algérien veut que l'on ait un pluralisme de la candidature, mais pas celui de la présidence comme dit plusieurs fois. En 99, on a eu celle des ténors de l'opposition. En 2004, celle des naïfs. En 2009, celle des préfabriqués et des Mohammed Saïd. En 2014, on aura celle des Salah sec. Celle des clowns et des mégalomanes. Cela habillera la fête et fera du régime et de son enfant unique l'unique solution possible face à la mascarade. C'est le but. Autrefois c'était «c'est moi ou le chaos», aujourd'hui «c'est moi, ou les clowns».