
Jour quatre : C'est toujours le week-end. Un immense vendredi
du Golfe à l'Océan. De l'orteil à l'oreille. Le mois du jeûne a commencé le
mercredi, jumelé avec le jeudi-vendredi (jours de repos des conservateurs) et
le vendredi-samedi (jours de repos légaux). De la semaine qui reste, ne restent
donc que quatre jours. Deux jours seront consacrés à s'adapter à l'affaissement
biologique. Les deux autres jours à s'organiser entre le panier et le travail
et les quatre jours qui restent à geindre. Cela dépasse le total des quatre
jours ? Qu'importe : on ne compte ni le temps, ni la dépense, durant ce mois.
C'est un mois long qui ressemble à la journée du Destin dans le calendrier
mystique : un jour chez Dieu équivaut à mille jours terrestres. Et un jour
«arabe» ? C'est le temps qui s'écoule depuis la Révélation jusqu'au jugement
dernier. Une sorte de temps vacant pour géographie de transit. Long, étendu,
semblable à celui des salles d'attente où on tue le temps en regardant ses
ongles, les chaussures du voisin, on se grattant le cou et en relisant le même
vieux journal avec la conscience de ne savoir que faire du corps et de ses
positions encombrantes. Donc au quatrième jour, rien de neuf, personne
n'arrive, nous sommes tous assis au même endroit, parfois quelqu'un se lève et
jure avoir vu un Colon qui rampe pour nous voler le pays ou le Prophète qui,
lui, aurait dit de faire passer un message. Puis le temps roule, un autre
appelle à la prière et un autre prend la mer sous son aisselle et tire sa
chaloupe en laisse, puis une femme se retourne dans sa tombe et un enfant joue
avec son prénom. Tout les «arabes», de souche ou de colonisation d'arabes, sont
enfermés dans le même désert. Il les suit et ils le suivent. Mais seul le
désert avance car les «arabes» reculent dit un vieux poème méchant face à un
moteur allemand importé. Les deux peuvent aussi s'asseoir et regarder les
étoiles ou de la viande ou la trace de leur pas qui reculent. De temps à autre,
un vent se lève et emporte le sable. Ou une révolte, ou une guerre ou rien du
tout. Et chez nous ? La frontière c'est la peau, le reste ne m'importe pas.
L'avez-vous remarqué ? En Algérie on s'installe dans une position étrange :
rien n'arrive, le pays est immobile, on mange mieux qu'autrefois, il n'y pas de
cataclysme et on est un pays stable, assis dans un endroit vide. On s'ennuie et
c'est alors que l'on rame vers le nord ou que l'on prie avec les gestes d'un
homme qui veut fuser vers le ciel ou se déchausser de toutes les terres
possibles. Jour Quatre : personne n'est mort, personne n'est vivant, personne
n'a encore jeté la première pierre mais tous ont des cailloux dans les mains.
C'est faux ? Qu'est-ce que l'exactitude pour un mois qui commence avec un doute
et qui finit avec un doute ?