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ous les Algériens le disent quand ils veulent soupirer: les Algériens n'ont pas
d'exemples. A suivre ou à imiter. Les meilleurs sont morts et quand on donne
aux jeunes générations un martyr, l'idéal de vie devient un cimetière. Parfois.
Donc, c'est selon. Un grand corps du Héros National composé de plusieurs
morceaux étincelants. Le Héros algérien est donc un géant assis au bord de la
mer et qui regarde. Il a les pieds d'un footballeur. Il a les mains vastes de
l'homme qui prend sa part, sa terre, son baril et qui sait à la fois voler avec
habilité et serrer la main avec virilité. Il a le regard perçant de celui qui
voit loin. En arrière et en avant. Qui sait ou croit savoir que l'avenir est un
passé où ce sont les mêmes qui meurent, bêtement et admirablement à la fois. Il
a des bras déséquilibrés: l'un long pour contourner la loi, l'autre court pour
ne pas avoir à travailler plus que les martyrs ou les imbéciles qui n'ont pas compris.
Il a le nez immense: qui va de l'océan à l'océan. Majeur et signe ostentatoire
de l'indépendance. Etrange cas algérien: le dictionnaire national se trouve
dans les nuances du nez et pas dans la bouche de la langue.
Il
a donc la bouche incroyable qui à la fois parle et mâche, produisant le mot qui
mord et explique. Il a le teint de son drapeau. Il tourne le dos à sa terre et
lui présente son ventre vide. Il est adossé au mur qu'il veut justement
enjamber. Etrange posture qui donne ce corps qui fait mal et qui ne sait pas
quoi faire de lui-même comme on le vit tous. Corps à cacher et corps à fuir.
C'est donc le Héros national que la rue enseigne comme modèle et qui est offert
comme une statue mentale aux générations déboussolées qui ne savent pas à qui
ressembler en Algérie: au martyr, au voleur habile, au footballeur, à un
député, un importateur, un wahhabite pantacourt ou à une coiffure d'été ? Rien
dans les livres, dans la télé et dans les billets de banque, il n'y a que des
animaux. Rien qui pousse un Algérien à vouloir ressembler à un autre Algérien.
Les modèles du pays sont importés: on y propose de ressembler à un Suédois ou
un arabe saoudien ou un Pakistanais. Les uns traversent la mer en chaloupes et
d'autres le désert d'Arabie en tapis de prière. Donc? Il faut trouver et offrir
des modèles et surtout pas dans les cimetières. Il faut revoir l'âge du
président, le manuel scolaire, les gros et gras présentateurs de l'ENTV et les
coiffures, les animaux des billets de banque et les affiches publicitaires. Il
nous faut des héros. Car pour le moment, le héros algérien pour les Algériens
est celui qui n'est plus Algérien justement. On est l'un des rares peuples
narcissiques dont le but est de ne pas ressembler à lui-même.