|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Deux dates à retenir : juillet
1944, août 1971, car si elles encadrent l'histoire contemporaine du système
monétaire international, elles s'insèrent aussi, comme nous le verrons, en
véritable déclencheur d'une nouvelle histoire de l'humanité, qui n'a plus rien
à voir avec ce que fut le monde de l'après-guerre mondiale.
Et, aujourd'hui encore, avec ce qui en est sorti, la mutation du dollar, de l'euro, de la livre sterling, du yen et du yuan, en cette troisième décennie du XXIe siècle, des monnaies qui remplissent magnifiquement leur rôle de distributeur de richesses dans le monde. Bien entendu, non comme le croiraient les sceptiques d'un peu partout dans le monde qui sont convaincus que ces monnaies occidentales jouent un rôle au profit exclusif de ceux qui détiennent le pouvoir d'émission de ces monnaies. Ces sceptiques doivent comprendre que les grandes Banques centrales occidentales sont conscientes que les monnaies qu'elles détiennent et le pouvoir qui les accompagne non seulement les dépassent mais participent à une formidable répartition équilibrée de la richesse du monde et, surtout, sont en train d'influer sur les destinées du monde. Qu'en est-il de cette destinée peu connue du dollar, de l'euro, de la livre sterling et du yen, dans les années 1970-1980 ? 1. Un peu d'histoire Avec les accords de BrettonWoods, conclus à la suite d'une conférence tenue du 1er au 22 juillet 1944, entre quarante-quatre pays membres, fut institué un «ordre monétaire» reposant sur la mise en place d'une politique monétaire et commerciale adaptée aux besoins du monde issu du deuxième conflit mondial. Ces accords portaient création de deux organisations internationales, le Fonds monétaire international - FMI - destiné à faciliter le commerce entre les Etats et à stabiliser les changes, et la Banque internationale pour la Reconstruction et le Développement - BIRD. Les principes de bases qui ont présidé à ces accords peuvent être synthétisés en deux formules : - La stabilité des changes, avec pour corollaire fondamental, des parités des changes fixes, afin d'éliminer toute fluctuation monétaire, arbitraire et autoritaire dans les transactions commerciales, et qui porte donc sur la convertibilité externe. - La liberté d'échange visant à interdire les restrictions dans les transactions commerciales, qui porte généralement sur la convertibilité entre monnaies. L'objectif essentiel recherché par l'ensemble des nations, après 1945, était de fournir aux pays d'Europe dévastés par la guerre, la possibilité d'assurer leur croissance économique (Plan Marshall, stabilité monétaire). Ce système monétaire qui n'était pas seulement occidental mais mondial assujettissait toutes les monnaies du monde au dollar standard. Tous les Etats des autres pays du monde qui venaient d'acquérir leur indépendance étaient dépendants de ce système dominé par le dollar américain. Tout le système reposait sur le Gold Exchange Standard (GES), faisant de l'étalon de change-or un équivalent : «l'étalon-dollar». Le dollar était aussi bon que l'or, cela bien entendu tant que les réserves en or étaient concentrées dans les coffres de Fort-Knox. Après 1945, elles l'étaient pour la quasi-totalité en Amérique. Les sorties de dollar pouvaient, sans risque pour la balance des paiements des États-Unis, assurer le financement de la reconstruction et du développement du monde occidental. Le système reposait donc sur la solidité de la monnaie américaine, et, partant sur la «santé de l'économie d'Outre-Atlantique». D'autre part, après le deuxième conflit mondial, il apparaissait vital pour la première puissance du monde de trouver des débouchés pour son industrie dont dépendait l'existence de millions de salariés américains. Ce qui explique, en plus de différents plans d'aide après 1945, l'urgence de mettre un plan d'aide Marshall pour l'Europe destiné à absorber la surproduction industrielle américaine. L'Europe s'étant transformée en «locomotive» pour l'économie américaine. Si, de 1945 jusqu'au début des années 1960, les dollars américains ont été les bienvenus dans le monde, surtout sur le marché européen car ils ont «favorisé» la croissance spectaculaire des économies occidentales (reconstituer du potentiel économique de l'Europe, élimination du chômage, etc.), la situation a commencé à s'inverser entre l'Amérique et l'Europe, après les années 1960. Par ses pertes de parts de marché au profit de l'Europe, la course à l'armement avec l'Union soviétique, la recherche spatiale, les guerres menées en Asie , qui ne pouvaient qu'entraîner un surplus de dépenses, les États-Unis se transformaient à leur tour en «locomotive» par leurs importations massives en provenance d'Europe. Le Japon était aussi concerné par ce processus depuis le changement de la politique extérieure américaine, suite à l'avènement d'un régime communiste en Chine en 1949 et le déclenchement de la guerre de Corée en 1950. Cette situation a amené le déplacement progressif de la croissance économique des États-Unis vers l'Europe. En 1958, les monnaies des principaux pays européens devenaient convertibles. Du fait des déficits de la balance des paiements américains qui s'aggravaient et de la surchauffe monétaire des pays européens, les réserves monétaires en or et en dollars franchissaient l'Atlantique et s'accumulaient dans les Banques centrales européennes. Au fur et à mesure que les réserves d'or s'amenuisaient en Amérique, les possibilités de conversions des dollars s'amoindrissaient jusqu'à devenir impossibles. En 1944, les États-Unis détenaient 70% du stock d'or mondial, en 1971, ils n'en ont plus que 24%. La dévaluation du billet vert devient à terme inévitable. La tension entre le dollar monnaie de réserve et le dollar monnaie américaine augmente. Ce qui amena, en 1971, le président américain Richard Nixon à suspendre la convertibilité-or du dollar. Plus tard le dollar sort définitivement de l'étalon-or (conférence de la Jamaïque, 1976). Les crises monétaires qui ont surgi entre les États-Unis et l'Europe, au début des années 1970, ont montré que l'équilibre monétaire des échanges internationaux devait passer par la résorption des déficits des balances de paiements. Mais le monde, en pleine guerre froide, l'Amérique en guerre au Vietnam, rendait difficile la tâche des autorités monétaires américaines d'ajuster des liquidités aux nécessités économiques. D'autant plus qu'en tant que pays le plus puissant du monde et surtout jouant le rôle de «stabilisateur de l'économie mondiale», les États-Unis, même si l'inconvertibilité du dollar en or est déclarée, ne pouvaient que continuer d'injecter des liquidités internationales sans coordination avec les autres pays d'Europe. Et ce pouvoir d'émission monétaire est facilité par l'emprise des États-Unis sur les matières premières et le pétrole des pays arabes du Golfe. Les pays monarchiques arabes dépendent directement du parapluie nucléaire américain. Malgré les différents mécanismes monétaires mis en place (augmentation des marges de fluctuation de ± 1% à ±2,25% autour du dollar, Serpent monétaire européen), la crise pétrolière qui a surgi, à la suite de la quatrième guerre israélo-arabe, en octobre 1973, et qui a fait quadrupler le prix du pétrole par l'Arabie saoudite, en représailles au soutien des États-Unis à Israël, a mis fin aux crises monétaires entre les États-Unis et l'Europe. Le «pétrodollar» est né à partir de cette date. En effet, les pays arabes, en quadruplant le prix du pétrole qui se situait avant octobre 1973, autour de 3 dollars, et brusquement passe à 12 dollars le baril de pétrole, en pleine guerre israélo-arabe, et comme le prix du pétrole arabe était facturé en dollars US, les pays monarchiques arabes étant dépendant directement du parapluie nucléaire américain, forcément les États-Unis se voient détenir de nouveau le prix exorbitant qu'ils avaient avant la fin de convertibilité du dollar en or. En effet, le «privilège exorbitant» est le caractère propre au statut des États-Unis en termes de monnaie, du simple fait d'être la première puissance économique du monde et d'avoir une monnaie qui est une monnaie de réserve, mais néanmoins avec une condition essentielle que n'ont pas les puissances européennes, bien qu'elles soient aussi émettrices de monnaies internationales, qui jouent aussi de monnaies de réserve. Le fait que les États-Unis, depuis la fin de convertibilité de leur monnaie en or, ont perdu le «privilège exorbitant» qu'ils avaient par rapport aux autres monnaies internationales (Europe, Japon), et le système de change fixe remplacé par le système de change flottant, toute émission monétaire américaine sans contreparties physiques se solde par une dépréciation du dollar US. Ce qui oblige les États-Unis de limiter les émissions monétaires pour éviter une spirale dépréciative de la monnaie américaine, engendrant une fuite de capitaux et, à la fin, un krach du dollar US. Précisément, en quadruplant le prix du pétrole arabe, à 12 dollars, et comme le pétrole arabe est facturé en dollars US, les pays européens et le Japon se trouvent obligés à acheter massivement des dollars US pour régler leurs importations pétrolières des pays du Golfe. Et la facturation du pétrole en dollar US a été étendue à tous les pays du cartel pétrolier OPEP. Et donc de nouveau, les États-Unis retrouvent le «privilège exorbitant» à travers le «pétrodollar» ; ils peuvent de nouveau répercuter leurs déficits extérieurs sur l'Europe, le Japon et le reste du monde. Cependant, le privilège exorbitant pour les États-Unis, à travers le pétrodollar, a permis de doper l'économie mondiale, un temps seulement. Déjà, l'irruption des pays d'Amérique latine, et des pays nouvellement libérés d'Afrique, d'Asie, ainsi que du bloc Est (URSS et pays d'Europe centrale et orientale) ont constitué un formidable «débouché» à la surproduction occidentale grâce précisément au renchérissement des matières premières, du pétrole et des emprunts contractés par ces pays auprès des banques américaines, européennes et japonaises. Cependant, le problème monétaire n'a pas pour autant été réglé, les crises pétrolières n'ont été tout au plus qu'un «dérivatif» puisque le problème, restant entier, n'est que reporté dans le temps. Les déficits américains ont continué à s'aggraver, la création monétaire de part et d'autre de l'Atlantique est allée de plus belle, dans les années 1970. Les Américains créaient des dollars, à travers les pétrodollars, pour financer leurs déficits extérieurs, les banques européennes, à leur tour, dupliquaient les euro-dollars et pétrodollars en une multitude de crédits pour leur consommation et pour les prêts octroyés aux pays hors-Occident, à des taux extrêmement favorables. Par suite de ses émissions, une formidable spirale inflationniste s'est enclenchée en Occident et dans le monde. La hausse des matières premières et des produits pétroliers «ne pouvait continuer à l'infini» à constituer la contrepartie physique du surplus de liquidités émis par la Réserve fédérale américaine. D'autant plus que les crédits contractés à faible taux par les pays du reste du monde ne profitaient pas aux peuples d'Afrique, d'Asie, d'Amérique latine et du bloc Est mais surtout aux nomenklaturas au pouvoir. En 1979, les États-Unis résolurent de mettre fin aux crises pétrolières et juguler l'inflation du dollar dans le monde. Le nouveau gouverneur, Paul Volcker, de la Réserve fédérale américaine (FED), procéda à des restrictions drastiques sur l'offre de liquidités internationales et à une remontée brutale du taux directeur de la Réserve. En quelques années, l'inflation mondiale baissa fortement et des conséquences graves se sont additionnées : récession économique mondiale, chute des prix des matières premières et du pétrole, fuite des capitaux des pays endettés. L'endettement pays du Sud deviendra un problème majeur dans les années 1980. Enfin, en 1986, éclate le contrechoc pétrolier, le prix du baril de pétrole descend à moins de 10 dollars. 2. Une digression forte éclairante sur le dollar, la livre sterling, le franc, le mark, le yen... Qu'en est-il des pays occidentaux ? De «débouché» initialement, la situation se retourne pour les pays du Sud, le Nouvel Ordre économique mondial (NOEI) préconisé par les pays du Sud (l'Algérie ) n'est plus qu'un pâle souvenir. Il s'est produit un véritable transfert de richesse du Sud vers le Nord. Avant de développer les problèmes qui surgiront pour l'Occident, faisons une digression forte éclairante. Jean Ziegler, membre du Bureau de l'Internationaliste socialiste écrit dans un article, publié dans la Nouvelle Revue Internationale (NIRI, N°3, mars 1989) : «Le fléau le plus terrible qui ravage actuellement des peuples du Tiers monde est, à mon avis, celui du surendettement : la dette extérieure des 122 pays dits du Tiers monde agit comme un garrot. A cause d'elle, les faibles programmes sociaux des pays pauvres sont encore réduits ; la faim s'installe, la maladie, le chômage, le désespoir progressent. La dette, chaque jour, fait des milliers de victimes. Cette dette dépasse, au 31-12-1987, le chiffre astronomique de 1100 milliards de dollars. La quasi-totalité des pays du Tiers monde doivent périodiquement refinancer leurs dettes, c'est-à-dire contracter des dettes nouvelles pour pouvoir payer les intérêts et les tranches d'amortissement. Les experts du Fonds monétaire international descendent alors sur le pays comme des corbeaux, des oiseaux de proie : ils imposent au malheureux gouvernement débiteur ce qu'ils appellent pudiquement les «ajustements structurels». Ces ajustements consistent généralement dans le rétablissement du «libre» marché capitaliste, dans l'élimination des programmes sociaux, dans le blocage des salaires, dans l'établissement de privilèges fiscaux pour les sociétés multinationales. Conséquence : après le passage du FMI au Brésil, au Pérou, au Zaïre, en Indonésie, la misère, le chômage, le désespoir des classes les plus pauvres des pays pauvres augmentent». Que peut-on dire du réquisitoire de Jean Ziegler ? S'il a parfaitement raison de dénoncer cette situation catastrophique des économies du Tiers monde et les agissements de l'Occident, il reste cette question. «L'Occident pouvait-il faire autrement ?» Il y a des «lois de la nécessité» qui ne sont pas visibles mais sont perceptibles après coup. Précisément, on peut énoncer une «triple nécessité historique» dans ce processus monétaro-économique dans le monde, enclenché dans les années 1970 et 1980. Tout d'abord la Banque centrale américaine(FED) avait peu d'alternatives, en 1979, pour lutter contre l'inflation mondiale. Face à la spirale inflationniste qu'elle a, de concert avec les Banques centrales européennes, provoquée, elle devait : - soit limiter les émissions monétaires, pousser le gouvernement américain à augmenter la fiscalité et maintenir le taux directeur à un niveau faible. Ce qui se traduirait néanmoins par une récession économique durable aux États-Unis et dans le monde, - soit provoquer d'autres chocs pétroliers pour augmenter encore le pouvoir d'achat américain et des pays du Sud, donc l'«absorption des dollars émis par la donne pétrolière», ce qui, à force de répéter les chocs ne fera qu'augmenter l'inflation dans le monde et à terme procéder à une politique anti-inflationniste. - Ce qu'elle a fait dès 1979 : augmenter brutalement le taux directeur et serrer le robinet des injections monétaires. Il s'en est suivi un brutal endettement des pays du Sud et du bloc Est, une récession aux États-Unis en 1982. La «deuxième nécessité» porte sur l'endettement des pays du Tiers monde. Pour la première fois, ces pays prennent conscience des dangers que représente l'inexpérience en matière économique et monétaire. D'autre part, ces pays devaient mettre fin à leur isolement, en s'intégrant au marché mondial (fin du monopole du commerce extérieur). Les programmes d'ajustement structurels s'avérèrent aussi un «passage obligé» pour ces nouvelles économies. Quant au FMI, qu'il soit pompier ou usurier, une qualité qui n'est que l'expression de la domination des puissances occidentales, ces nouveaux pays devaient apprendre à gérer leurs économies. Une «Nécessité» donc qui ne ferait que renforcer les pays du Tiers monde dans leur insertion dans l'économie mondiale. La «troisième nécessité», et celle-ci est capitale, c'est l'amorce de la transformation de la structure du monde. Ce processus monétaro-économique qui s'est imposé de lui-même à la fois pour l'Occident - celui-ci ne l'a pris que parce qu'il y était obligé, le processus étant déjà en marche - et au monde, a permis, par les crises politiques qui ont suivi, de «renverser pacifiquement» la plupart les dictatures militaires en Amérique du Sud et amener la fin du monde bipolaire (chute du mur de Berlin en 1989 et disparition de l'URSS en 1991). Incapables d'apporter des solutions aux crises économiques et sociales, abandonnés par les États-Unis, les régimes militaires sud-américains comme les régimes communistes du bloc Est ont été obligés de quitter la scène politique et laisser les civils élus librement de prendre en main les destinées de leurs peuples. Ainsi, grâce à l'hégémonie du dollar américain et l'endettement des pays du reste du monde en dollar, en livre sterling, en yen, en mark, en franc, en lire , l'Occident a non seulement gagné la troisième guerre mondiale - la guerre froide - mais a œuvré sans qui l'eusse réellement voulu à la démocratisation de l'Amérique du Sud et du bloc Est. Sans une guerre qui serait fatalement «nucléaire». Ainsi se comprend pourquoi la misère, la pauvreté, le chômage, le désespoir et la violence qu'ils engendrent ont toujours été accoucheuses d'histoire. Et pourquoi ce processus monétaro-économique et l'endettement mondial qui a suivi était «nécessaire». *Chercheur |
|