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Terrorisme : Embuscade meurtrière à Aïn Defla

par Ghania Oukazi

Le ministère de la Défense nationale (MDN) vient de confirmer l'assassinat d'éléments de l'Armée nationale populaire (APN), trois jours après qu'il ait eu lieu dans la wilaya de Aïn Defla.

« Suite à une opération de recherche et de ratissage dans la localité de Djbel Elouch à Souk El Attaf, wilaya de Ain Defla, 1ère Région militaire, un détachement de l'Armée nationale populaire a été ciblé, le 17 juillet 2015, à 19h par un groupe terroriste. On déplore le décès de neuf (9) soldats et la blessure de 2 autres, » précise le MDN dans un communiqué qu'il a rendu public, dans la matinée d'hier. «Les éléments de l'ANP ont aussitôt procédé au bouclage de la zone et ont déclenché une grande opération de ratissage pour débusquer les criminels et les abattre,» est-il ajouté. Ces actes criminels, conclut le communiqué, surviennent suite aux lourdes pertes subies par les groupes terroristes, ces derniers mois (et) ne font que renforcer la volonté et la détermination des éléments de l'APN à neutraliser les résidus de ces criminels.»

Il serait intéressant de savoir à quoi pensaient les responsables militaires et civils avant de consentir à donner une information qui a fait le tour du monde, dès qu'elle s'est produite sur le terrain, c'est-à-dire le 17 juillet dernier. Il serait absurde d'affirmer que les décideurs algériens veulent dissimuler des faits criminels qui -et ils savent très bien- dès qu'ils sont perpétrés, sont relayés en boucle par l'ensemble des médias internationaux, laissant les gros médias publics à la traîne.

TERRORISME: FAUT-IL OU NON MEDIATISER ?

La «théorie» qui veut qu'il ne faut pas médiatiser des actes terroristes pour ne pas les amplifier et faire de la publicité à leurs commanditaires et leurs auteurs a, depuis qu'elle a été émise, durant les années 90, démontré que ce n'est pas le fait de ne pas en parler que les terroristes se rebiffent ou se découragent. Des sources militaires justifient leur silence sous prétexte qu'à chaque fois qu'il s'agit de terrorisme, «il est plus question de ne pas effrayer les populations et semer la panique chez les citoyens.» Les nouvelles technologies de l'information et de la communication rendent, en évidence, obsolète un tel raisonnement.

Le communiqué du MDN a revu à la baisse le nombre de soldats assassinés par les terroristes qui de 11 le 17 juillet et 14, hier, tels que donnés par les télévisions étrangères, a été ramené officiellement à 9. Des sources proches des services de santé militaire avancent le chiffre de 16 appelés tués dont 2 gradés et plus d'une vingtaine de blessés. Le drame n'est pas dans le nombre mais dans l'acte criminel que des terroristes ont revendiqué, hier, sous la bannière de ce qu'ils appellent ?Al Qaïda dans le Maghreb islamique' (AQMI). Des «analystes» s'amusent, aujourd'hui, à chercher si ?AQMI' n'a pas encore fait allégeance à ceux qui se font appelés Daesch. La question est souvent posée comme si le premier groupe tue moins ou plus que le deuxième. Ils sont tous les deux avides de comptabilité macabre. Leurs revendications en témoignent.

«LA FOI LA PLUS FAIBLE»

Le terrorisme est, aujourd'hui, pris par les grands stratèges de ce monde comme élément fondamental pour revoir, corriger et redéfinir les positions et surtout les intérêts des pays les plus puissants. Qu'il soit appelé «Etat islamique» par ses commanditaires ou « terrorisme résiduel» par ceux qui le combattent, en taire les fautes est «la foi la plus faible.» La communication institutionnelle, qu'elle soit civile ou militaire, a toujours, cafouillé. Elle a trébuché gauchement devant les tragiques événements qui ont secoué la wilaya de Ghardaïa, durant le mois sacré. Habitué à se déplacer avec un nombre effarant de représentants des médias nationaux publics et privés, écrits et audiovisuels, à travers l'ensemble du territoire national, le Premier ministre avait choisi de se rendre à Ghardaïa, en cercle fermé. Seuls les gros médias publics ont eu droit à ses déclarations lorsqu'il avait décidé de rendre visite aux deux camps, en conflit, dans la région. Ses propos ont fait l'ouverture du journal de la Télévision publique mais ont été, nettement, minimisés par les médias privés. Les officiels ne savent toujours pas communiquer, même quand il s'agit de questions cruciales qu'il est pourtant impératif de savoir poser pour mieux les traiter.

La visite de Sellal à Ghardaïa, en pleine tourmente, n'a pas eu grand effet puisqu'elle n'a été traitée que par la voie «officielle», celle que les Algériens écoutent et croient le moins. L'on se demande si nos gouvernants croient, sincèrement, convaincre les populations de «s'unir et construire un front interne pour faire face à toute tentative de déstabilisation du pays, » par de simples discours de circonstances. Il est vrai que les fréquentes randonnées du vice-ministre de la Défense, chef d'état-major, le général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah, montre, si besoin est, que le risque sécuritaire est omniprésent, en Algérie, ne serait-ce que par effets de contagion des pays limitrophes.

«IL FAUT QUE LA COMPLICITE CHANGE DE CAMP»

Le discours du responsable militaire est, d'ailleurs, bien ferme, notamment, quand il ne cesse de répéter à « ses troupes » qu'elles doivent se tenir prête à toute éventualité. Les manœuvres militaires qu'il avait dirigées, en juin dernier, dans la wilaya de Béchar, ne trompent pas sur le niveau d'alerte que l'Algérie se doit d'avoir pour prévenir le terrorisme. L'on avait, même, entendu parler de simulation d'opérations d'attaque et non de défense. (Voir le reportage paru dans ?Le Quotidien d'Oran' du 15 juin 2015). «Tornade 2015», le nom de ces manœuvres, a été suivi par d'autres opérations semblables. Celle maritime menée, récemment, au large des eaux territoriales de Jijel a été aussi importante et ferme et de surcroît bien médiatisée. Reste que la communication officielle sur des faits criminels qui obligent à la vigilance et à l'union «des forces» est loin d'être convaincante. La dissimulation, pendant trois jours, de l'assassinat des éléments de l'ANP, dans la wilaya de Ain Defla, n'est pas pour sensibiliser les «troupes» civiles, c'est-à-dire les citoyens dans leur ensemble. En parler «officiellement» sans complexe, débattre, analyser, doivent être pour montrer que les temps sont durs à cause de tout ce qui entoure le pays et même ce qui se passe dans le monde. Une telle méthode doit servir à convaincre et tenir en éveil un peuple qui ne revit la paix et la sécurité que depuis quelques années. Le terrorisme ne frappe pas que l'Algérie. Parler de ses crimes et méfaits ne peut, en aucun cas, constituer un phénomène qui diminue de l'importance, de la crédibilité ou de la force de l'armée nationale. Ses responsables savent qu'elle se doit, désormais, de rester, constamment, à pied d'œuvre pour le combattre. Bien qu'elles s'accrochent à la vie, les approches archaïques du pouvoir, en matière de communication, peuvent avoir un revers de médaille aux conséquences dangereuses, pour le pays. L'on se rappelle les années 90 où l'Algérie s'était réveillée sur «un volcan » intégriste dont les laves avaient déjà atteint les cerveaux les plus naïfs de son peuple. L'onde de choc avait fait vibrer jusqu'aux populations des zones urbaines les plus avancées qui parfois, sous la menace et sous l'effet de la simple propagande, se sont rangées du côté du diable. Le pouvoir lui, avait choisi de « cacher » les faits et de minimiser la force de frappe de leurs auteurs. Pourtant, c'est tout le contraire qu'il fallait faire pour attirer l'attention sur le danger et pousser à la construction d'un «front interne» de vigilance. « Les erreurs du passé doivent servir, aujourd'hui, de leçons aux décideurs pour mobiliser les populations, rien ne sert de cacher, il faut que la complicité change de camp pour devenir l'arme de ceux qui cherchent la paix et la sécurité, » nous disait hier un ancien militaire.