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Accords : Athènes pleure, Téhéran rit

par Pierre Morville

Morne lassitude dans les rues d'Athènes, manifestations de joie et coups de klaxon à Téhéran

Pour les Grecs, ça ne rigole pas. Malgré des efforts de médiation de François Hollande qui a su au moins éviter un humiliant et catastrophique Grexit. Mais l'addition reste très lourde pour Athènes : pour «rétablir la confiance», perdue aux yeux de l'Union européenne, la Grèce est condamnée à «légiférer sans délai», indique le texte de l'accord signé lundi. En deux jours, elle doit «rationaliser le système de TVA et élargir sa base pour augmenter ses revenus», «améliorer la soutenabilité du système de retraites», «assurer l'indépendance de l'institut statistique Elstat », «mettre en place une Autorité fiscale indépendante et un mécanisme de réduction automatique des dépenses en cas de ratage des objectifs budgétaires». Le gouvernement doit aussi «mettre en œuvre un programme de privatisation plus développé», à travers la création d'un fonds de privatisation : «les actifs grecs de valeur seront transférés à un fonds indépendant qui les monétisera par des privatisations ou d'autres moyens» : Wolfgang Schäuble, l'intraitable ministre de l'économie allemand, a exigé que ce Fonds doive générer 50 milliards d'euros, dont 50 % serviront à recapitaliser les banques grecques au bord de l'asphyxie financière. 12,5 milliards serviront au désendettement et 12,5 milliards pour des investissements. Ce fonds sera basé en Grèce et sera géré par les autorités grecques sous bien sûr, la «supervision» tatillonne des autorités européennes.

Ces mesures doivent être mises en place avant même que l'on commence très éventuellement à discuter d'un plan d'aide.

De plus, d'ici le 22 juillet, la Grèce devra également revoir certaines des mesures adoptées par le gouvernement d'Alexis Tsipras qui sont contraires aux engagements des précédents gouvernements grecs. Le texte ne précise pas lesquelles. Cela sera donc discuté au cas par cas.

Souveraineté ? Vous avez dit «souveraineté» ?

LA CUREE

En échange, la «Troïka» (FMI, Banque Centrale européenne, Commission européenne), de retour, s'engage, dans un grand flou artistique sur les modalités concrètes, à investir 82 à 86 milliards de financement (le FMI pour 1,5 milliard), en Grèce ? mais d'ici à la fin 2018. Les sommes transiteront par le fonds d'intervention de l'UE, le MES, Mécanisme européen de stabilité. Sur tous les dossiers, la Troïka veillera quotidiennement à ce que le fourbe et dépensier gouvernement grec ne sorte pas de l'austère voie sacrée de la rémission des péchés par le fouet.

«Athènes met en gage sa souveraineté», annonce Libération. Il est vrai qu'Alexis Tsipras est contraint de reproposer aux Grecs un chapelet de mesures pires que celles qu'ils avaient refusé lors du dernier référendum, le 5 juillet ! Le 1er ministre grec qui se disait hier «contraint» d'avoir «signé un mauvais accord», pourra-t-il juste faire valoir d'avoir évité le Grexit et la faillite de son pays et d'avoir obtenu le maintien du siège du Fonds en Grèce (et non son transfert surréaliste au Luxembourg, paradis fiscal, comme l'Eurogroupe l'avait exigé). Quand à la dette, pas question pour l'Union européenne, d'en réduire la voilure : en clair, les Grecs empruntent à nouveau à leurs créanciers pour rembourser une partie des dettes envers ceux-ci, avec en sus les intérêts ! En clair également, l'argent ne servira pas à investir dans l'économie grecque, pour dynamiser l'offre et la demande pour reconstruire l'emploi, pour lui permettre enfin de sortir de la stagnation et de l'endettement ! Quelle importance, puisque les entreprises grecques, le système électrique, les aéroports (Tiens ! La compagnie aérienne allemande est plus qu'intéressée) vont être privatisés. Comme les petites îles grecques sont mis en vente...

L'UE avait mal pris l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement très à gauche, elle s'était empourprée à l'annonce du Non du référendum du 5 juillet, elle a décidé de prendre sa revanche : les Grecs paieront ou alors, c'est la sortie de l'UE et la ruine pure et simple ! Côté économique on ne fait même pas mine de croire à l'efficacité des mesures imposées : comme le dit pudiquement le quotidien Les Echos, «ce plan ne peut qu'avoir un effet récessif compte tenu de l'impact des hausses d'impôts prévues et de la réforme des retraites». «C'est peu dire, pas le moindre aménagement de la dette, ni de programme d'investissement. L'austérité, rien que l'austérité», précise Libération. « Les créanciers ont clairement refusé une réorientation de la politique d'austérité budgétaire qui, pour un pays comme la Grèce, n'a réellement plus aucun sens aujourd'hui et l'empêche de se redresser. On a continué à imposer cette logique qui fonde la pensée économique conservatrice allemande : la réduction de la dette et la consolidation budgétaire ont la priorité sur une croissance économique qui ne peut être le fruit que «d'efforts douloureux» appelés «réformes.» Même dans un pays économiquement en ruine comme la Grèce qui a démontré empiriquement l'échec de cette logique», résume Romaric Godin dans La Tribune, qui voit dans cette affaire autant la «défaite de la Grèce que la défaite de l'Europe».

Car l'Union européenne, chantre perpétuel de la démocratie, a montré que dans le quotidien, elle n'avait que foutre de l'opinion des peuples de ses états-membres ou de leurs référendums, et que l'euro n'est pas une monnaie commune mais une austérité commune, surtout pour les plus pauvres?

LES CALCULS ALLEMANDS

Car, derrière les grands discours vertueux sur la «nécessaire discipline commune», se cache des égoïsmes nationaux bien compris, et notamment allemands. Les politiques d'austérité en cours ont une origine historique récente, la grande crise financière de 2008 / 2010 où les grandes banques et autres institutions financières ont failli entraîner l'économie mondiale dans un collapsus total. Pour pallier, une seule solution a été retenue en Europe : la baisse des dépenses publiques et des taux d'intérêt. La baisse des taux d'intérêt de la Banque centrale européenne allège le coût de l'argent pour les banques qui se refinancent auprès d'elle. La baisse des taux d'intérêt est un soutien immédiat au secteur financier : les banques peuvent reconstituer leurs marges et les emprunteurs «à risques» doivent accepter des taux plus élevés. Important, pour les banques en besoin de financement, qui empruntent des liquidités à la BCE. Il est ensuite répercuté par ces mêmes banques, à des taux supérieurs, sur les intérêts des crédits qu'elles accordent à leurs propres clients. Par une réaction en chaîne, c'est finalement un outil monétaire qui permet à la BCE de contrôler la croissance et l'évolution des prix en zone euro : c'est la chute de l'inflation constatée en Europe mais aussi la forte hausse de l'endettement public et privé...

Curieusement, les taux d'intérêt ont baissé fortement dans toute l'Europe mais ceux de la Grèce d'abord, du Portugal, de l'Irlande ensuite, de l'Italie, de l'Espagne et de la Belgique ont fortement augmenté relativement aux taux des pays de référence (Allemagne, Pays-Bas, Finlande, France et Autriche). Ces hausses de taux signifient à la fois des emprunts des Etats à la BCE plus coûteux et des pertes de valeur de leur portefeuille. «L'évolution à venir de la dette d'un Etat dépend du taux d'intérêt auquel il peut emprunter; le taux d'intérêt dépend du jugement des créanciers sur la solvabilité, c'est-à-dire la trajectoire de dette future. La perception change le perçu. Une rumeur d'insolvabilité peut suffire, sans modification des fondamentaux (le solde primaire, la croissance), à créer l'insolvabilité induite par la hausse des taux d'intérêt. On parle alors de mécanisme auto-réalisateur», notait l'économiste Benjamin Carton.

Une baisse de l'écart de taux d'intérêt entre la zone euro et ses partenaires est aussi une indication pour le taux de change de l'euro face aux autres monnaies : l'euro est moins attrayant qu'auparavant, car moins rémunérateur.

Des taux d'intérêt trop bas et un euro faible, une Europe trop endettée, tout cela n'arrange pas l'Allemagne qui, pays exportateur qui se fait payer en euros, et pays à faible démographie (avec un nombre croissant de retraités aisés), souhaite une remontée des taux, le retour à un euro fort et la mise au pas des pays «indisciplinés». Les taux négatifs pratiqués par la BCE, selon Berlin, épuisent les banques allemandes et mettent en danger la rémunération des épargnants. Des pressions de plus en plus fortes poussent Angela Merkel à revenir à un euro fort, quitte à mettre à la porte les Grecs !

«Pour y parvenir, il faut «nettoyer» la zone euro de ses éléments les plus faibles ou les plus rebelles. Le traitement réservé à la Grèce sert ici d'exemple public pour convaincre les membres de la zone euro (comme la France) et les non-membres de la détermination des Européens à remettre de l'ordre dans leurs économies», conclut Éric Verhaeghe, consultant.

Le cas grec (la Grèce ne compte que pour 2% du PIB de l'union européenne, et bientôt moins?) est dans sa dureté un avertissement allemand à d'autres fautifs éventuels : l'Europe du sud et même la France !

Problème, les mesures d'austérité adoptées par l'Europe ont démontré depuis plusieurs années leur contre-productivité : elles découragent l'investissement, elles réduisent la consommation, elles limitent la croissance et elles développent l'endettement !

On peut donc s'étonner de la proposition française, face à cette crise de relancer le projet d'une Europe encore plus fédérale : les Européens, au moins ceux du sud, n'y croient plus.

IRAN : ACCORD HISTORIQUE

Trente-cinq ans après la rupture de leurs relations diplomatiques dans la foulée de la Révolution islamique de 1970 et de la prise d'otages à l'ambassade américaine à Téhéran, après la longue guerre entamée par l'Irak avec le soutien occidental, les Etats-Unis et l'Iran- ainsi que les autres pays négociateurs (Russie, Chine, Allemagne, GB et France), le «P5+1» - sont tombés d'accord, mardi, sur un document qui vise à empêcher Téhéran de se doter de l'arme nucléaire en échange d'une levée des sanctions qui étranglent littéralement l'économie iranienne.

«L'accord a été salué avec soulagement et joie par la rue iranienne. Il intervient au terme de 21 mois de négociations et d'un round final de 17 jours acharnés pour solder un dossier qui empoisonne les relations internationales depuis douze ans», note Le Parisien.

L'accord ouvre «de nouveaux horizons», a affirmé le président iranien Hassan Rohani, peu avant que Barack Obama ne salue depuis la Maison Blanche une victoire de la diplomatie mais un accord fondé sur «les vérifications, pas la confiance».

Il est vrai que le traité est d'abord le fruit de la volonté d'aboutir des deux hommes. Mais il doit être ratifié par le parlement iranien, l'aile dure du régime iranien n'a pas eu de cesse de dénoncer les concessions accordées aux Occidentaux et l'ayatollah Ali Khamenei n'a jamais caché sa très grande méfiance vis-à-vis des USA. Mais il doit être aussi validé par le Congrès américain, où les démocrates sont minoritaires? L'accord sera «très dur» à vendre au Congrès, a prévenu le leader républicain du Sénat, Mitch McConnel.

Sur le plan diplomatique et militaire, c'est néanmoins le 1er réel apaisement dans un grand Moyen-Orient très troublé depuis des décennies. L'Iran va renforcer son influence régionale et cette redistribution des cartes déplaît autant à Israël qu'aux pays du Golfe.

Les Occidentaux et l'Iran (et d'autres pays de la région?) feront, à plus ou moins haute voix, front commun contre l'Etat islamiste-Daesh qui tentera de son côté de raviver les vraies / fausses tensions entre sunnites et chiites.

Seule mauvaise nouvelle, à cette étape : une nouvelle chute prévisible du pétrole, avec l'arrivée sur les marchés des stocks iraniens, quand la Banque d'Algérie révélait le 12 juillet que les recettes de pétrole et gaz du pays ont baissé de près de 50% au 1er trimestre 2015, par rapport à l'an dernier.