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Le M'zab en appelle à la conscience collective !

par Abdelkader Khelil

La situation qui prévaut actuellement dans la région du M'zab interpelle à plus d'un titre la conscience collective de toutes les citoyennes et de tous les citoyens qui se doivent d'être vigilants, solidaires et unis face à l'adversité. Ils doivent dénoncer les tentatives cycliques de manipulation de ceux qui ne perdent pas espoir de faire basculer cette vallée paisible dans l'irréversibilité de la violence et, par contagion, bien d'autres régions s'ils venaient à réussir.

C'est dire que tous les «clignotants» sont au rouge, et l'attitude laxiste des autorités se doit d'être bannie afin d'éviter que notre pays ne sombre dans l'anarchie et les conflits durables ! Chaque faute commise se doit d'être sanctionnée et chaque conspiration se doit d'être dénoncée, dévoilée, déjouée et connue de toutes et de tous. Mais comment peut-on croire que les villes de Ghardaïa, de Béni Izguen, d'El-Atteuf, de Bounoura et de Guerrara, de cette merveilleuse pentapole de la vallée du M'zab, classée au patrimoine universel de l'humanité et havre de paix, considérée depuis toujours comme espace exemplaire de solidarité sociale, de convivialité, de tolérance, de maîtrise dans la gestion des ressources rares, d'entreprenariat et du vivre ensemble entre les différentes communautés, puissent, depuis trois ans et surtout en ce mois de Ramadhan, basculer subitement dans une ambiance délétère et dangereuse ? Est-il raisonnable de croire que, perçues sous l'angle habituel d'un prisme déformant de la réalité, les différences ethniques et les ambitions manifestées par rapport à l'occupation de cet espace quand bien même saturé, soient des raisons suffisantes pour justifier autant d'animosité, de violences et de haines ?

CHAÂMBIS ET MOZABITES, TOUS UNIS FACE AU DANGER !

A s'y méprendre, la «fitna» nourrie et entretenue non pas par la prise de position et la défense des intérêts primordiaux et vitaux des populations autochtones, mais par des calculs sordides, occultes et «politiciens» pourrait s'installer durablement jusqu'à atteindre le stade d'irréversibilité d'une «mini-guerre» civile. Les initiateurs et commanditaires de ce conflit veulent qu'il soit à connotation tribale, pour donner, ne plaise à Dieu, une opportunité souhaitée pour justifier une intervention étrangère, au nom du principe éculé du «droit d'ingérence» pour la protection de minorités menacées.

Quelle «noble intention humaniste» que celle motivée par les initiateurs de massacres collectifs, d'exodes massifs de populations apeurées fuyant le danger et l'humiliation dans les camps de réfugiés dans ces pays arabes devenus, par inconscience de leurs peuples et par le narcissisme de leurs dirigeants, de véritables laboratoires d'essai pour mettre en œuvre les stratégies occidentales via leurs relais dans la région, chargés de façonner le monde de demain, en affinant leurs projets de mainmise sur les ressources énergétiques et minières et pour toutes sortes d'aventuriers pyromanes, offrant pour les uns leurs capacités de financement, et, pour les autres, leurs armes, leur expertise et leur ingénierie de destruction des Etats nations jaloux de leur souveraineté nationale.

En fait, et quoi que l'on puisse trouver comme explications sociologiques, historiques, anthropologiques ou économiques quant à la genèse de ce conflit, nos frères mozabites et chaâmbis ne sont, de toute évidence, que les victimes expiatoires d'une action savamment orchestrée contre leurs intérêts propres, et ceux des générations futures, qui porteront dans leurs gènes une «ADN» imprimée du sceau de la haine, qui rythmera durablement la vie de la vallée sur des décennies, si des décisions énergiques mais consensuelles ne sont pas prises par les pouvoirs publics en concertation avec d'authentiques représentants de la population dans les plus brefs délais, pour ramener la confiance, la paix, la concorde et la sérénité dans le M'zab.

Oui ! Nous n'avons pas que des amis et des alliés ! Nous sommes bien dans l'œil du cyclone, nous aussi ! Qu'on se rappelle ce jour, où toute une nation a été traînée dans la boue par ce diplomate «frère» de «l'union arabe» qui nous a promis l'enfer, en disant au chef de notre diplomatie: «votre tour arrivera bientôt» ! Cela a laissé sans voix notre «ministre» qui n'a pas osé et/ou su réagir, mais surtout, tout ce peuple des valeureux martyrs qui s'est senti ce jour-là, à défaut d'une réaction officielle énergique, un «petit peuple bien orphelin», et juste une «réserve de chasse» pour ces faux-frères perfides, «accrocs et amoureux» de la gazelle et surtout de l'outarde, ce volatile qu'ils ont fini par décimer, juste pour assouvir leurs fantasmes de gens gâtés et gâteux, «forts» de leurs pétrodollars !

Oui ! Les vrais commanditaires restent tapis dans l'ombre, tirant les ficelles dans une sorte de théâtre de marionnettes où les «poupées» agitées sur la scène avec la dextérité de mains expertes, sont, avec tous mes respects, mozabites et chaâmbis ! Il s'agit bien là d'un complot fomenté par voie de manipulation des masses, et dont la similitude rappelle les scénarii mis en œuvre en Syrie, en Lybie, en Egypte et au Yémen. Alors, oui ! La population se doit d'être informée au plus près de la réalité et tous les intellectuels dignes de ce nom se doivent de prendre leurs plumes et d'expliquer les tenants et les aboutissants de cette affaire «préfabriquée», chacun selon sa grille de lecture et son domaine de compétence, tout en prônant la sérénité du débat et la sagesse pour apaiser les esprits, portés en ce mois de piété au paroxysme de l'excitation. Il s'agit aussi de tirer les leçons de ces évènements pour éviter les écueils guettant l'intégrité, la sécurité et l'unité de notre pays et bâtir un consensus réel pour développer cette région meurtrie, mais aussi bien d'autres régions.

C'est là un devoir et un acte citoyen de solidarité en direction de nos frères de cette région du Sud qui sont pris de peur par cette spirale de violences et qui sont inquiets par rapport à leur devenir. C'est aussi une manière pour nous tous de nous positionner par rapport aux intérêts actuels et futurs de notre pays. Nous nous devons non seulement de mesurer nos forces pour apporter les réponses idoines à ceux qui tentent de déstabiliser notre pays, mais aussi, en termes d'apport de notre «intelligentsia» qui se doit de soutenir l'action de nos forces armées, tous corps confondus. Nous sommes là, dans la configuration d'une nation menacée dans son intégrité, et toute négligence se traduira par un lourd tribut à payer «cash», par la collectivité nationale dans son ensemble. C'est par rapport à cette question d'intérêt suprême et vital, que nous devons savoir aujourd'hui: «Qui est qui» ! «Qui peut faire quoi pour l'Algérie», et «Qui agit contre ses intérêts», du plus haut au plus bas niveau de l'échelle sociale ! Nous sommes dans cette nécessité de savoir qui sont les nôtres et qui sont nos ennemis ! Cette connaissance du champ d'action, sur lequel il faut agir au plus vite et avec détermination, est un préalable à la mobilisation effective de toute la population ! Mais en fait, qui sont-ils ceux qui nous veulent du mal ? Dans une interview, Hadj Nacer, cet ancien gouverneur de la Banque d'Algérie ? mon ami et collègue du ministère de la Planification et de l'Aménagement du territoire dans les années 80, cette honorable institution dissoute par ceux non concernés par la rigueur dans le suivi des investissements, la prévision et la prospective ? dont je partage les analyses, s'est interrogé en indiquant quelques pistes. Mais tout d'abord, en intellectuel à l'esprit alerte, et en fils de cette vallée du M'zab qu'il connaît mieux que quiconque, à aucun moment il ne pointe un doigt accusateur contre l'une ou l'autre des parties directement concernées par ce conflit.

Il nous dit tout simplement, avec cette humilité qui est celle des gens compétents, en homme nourri par l'esprit de la sagesse de cet espace mythique, ce modèle de comportement sociétal que d'aucuns veulent soustraire à cette Algérie plurielle qui dérange: «Je ne me sens pas Mozabite dans cette affaire, ni Chaâmbi. Mais je sens qu'il y a un danger sur l'Algérie». Voilà une position respectable de la part de ce haut cadre de la nation, qui fait une analyse objective de la situation telle que vécue dans sa communauté sans parti pris, autre que celui de l'Algérie avant tout, et qui a su, en homme d'expérience, éviter le piège tendu par ceux que la zizanie et les discriminations arrangent pour la défense de leurs intérêts, jusque-là inavoués. Et de s'interroger sur les bénéficiaires de ces violences, qui endeuillent les familles des uns et des autres !

«Est-ce que ce sont les Américains qui manifesteraient leur volonté d'avoir une maîtrise absolue sur tout ce qui se passe dans le monde ? Les Français qui voudraient montrer leur détermination de tenir en main leur

pré carré ? Les Israéliens qui accroissent leur mainmise sur l'Afrique ? Est-ce que c'est l'Arabie Saoudite qui, à travers le wahhabisme, offre ses capacités d'intervention notamment aux Israéliens ? Ou est-ce que ce sont des manipulations de segments mafieux qui manifestent leurs capacités à rompre ou à perturber les nouveaux équilibres en gestation» ? Il considère que toutes ces parties ont des légitimités à intervenir en Algérie parce qu'elles ont des intérêts, sans pour autant qu'il leur reconnaisse ce droit. C'est là aussi la position d'un authentique nationaliste de la «lignée» du grand Moufdi Zakaria, qui n'a pas peur qu'il soit privé de visa, de carte de séjour et autres privilèges protocolaires, dont bénéficient bien de nombreux «colabos», du politiquement correct !

 «Si on prend l'Arabie Saoudite, nous dit-il, on sait qu'elle s'est fait doubler dans le Golfe par Oman - dont la population est à majorité ibadite - qui a facilité les discussions entre les Etats-Unis et l'Iran». Comme on sait aussi qu'il y a régulièrement des appels «fatwas» à La Mecque contre les Ibadites, alors que ces derniers pratiquent un islam tolérant ! Il nous rappelle aussi que la France n'a jamais supporté de n'avoir pas récupéré le Sahara. Comme on sait aussi, que de tout le territoire algérien, c'est certainement la vallée du M'zab qui peut se prêter à une mise en scène entre «Daech» d'un côté et des «Khawaridj» de l'autre. Mais c'est compter sans la force de résistance de ce peuple vaillant qui ne saurait plier l'échine ! Ne dit-on pas «que celui qui compte par lui-même fait des bénéfices» ! Ou dans le langage populaire de chez nous: «Li yahseb ouahdah ichitlah» ! Eh bien oui ! Pour peu que le peuple soit correctement informé et sensibilisé, il saura déjouer toutes les conspirations dont fait l'objet notre pays ! Il faut juste que nos décideurs et gouvernants considèrent qu'il possède la maturité nécessaire pour apprécier et pour se faire par lui-même une opinion, sans tutelle autre que son juste arbitre, une fois correctement informé !

A s'y méprendre encore une fois, nous avons ici tous les ingrédients réunis d'une menace latente, pour n'avoir pas su anticiper sur les évènements que nous sommes en train de subir ! Si nous en sommes arrivés là, c'est que tous les centres d'anticipation et de prospective ont été soit dissous, soit affaiblis dans leur composante humaine et leurs prérogatives, et l'on est en droit de s'interroger ! Est-ce là une simple négligence, ou une directive suggérée à des esprits néolibéraux réceptifs aux idées de ceux qui régentent le monde d'aujourd'hui ? Alors oui ! Quelle que soit la réponse, nous sommes bien dans la difficulté pour n'avoir pas su écouter et pris en compte les analyses de tous ces experts qu'a formés notre pays ? Mais pourquoi cette négation de soi ? Et pourquoi n'a-t-on appris à agir que dans l'urgence, dans le propre style de nos amis les sapeurs-pompiers qui, au passage soit dit, font correctement leur travail partout, et à Ghardaïa aussi ?

AUX ORIGINES DE LA CRISE : « DIKAT El KHATER » !

Ce qu'on doit savoir, c'est que la vallée du M'zab s'étend sur une superficie d'à peine 4.000 hectares, de la daïa Ben-Dahoua en amont, au barrage d'El-Atteuf en aval. L'occupation de cet espace a évolué tout au long des neuf derniers siècles, selon une urbanisation réglementée et confinée par les remparts qui fortifiaient les ksour, installés sur des monticules et associés chacun à sa palmeraie. Organisées dans le lit de l'oued, ses palmeraies ont été utilisées pour l'habitat temporaire d'été, durant les périodes de grande chaleur. Jusque-là, et tant qu'on était dans cette logique, tout allait pour le mieux et dans le respect des uns vis-à-vis des autres, dans une sorte de convivialité établie comme règle à ne jamais transgresser !

C'est au cours de ce siècle que l'urbanisation a commencé à se faire hors des remparts des villes et s'est accélérée, pour prendre une allure effrénée durant les trois dernières décennies. Ce mouvement d'urbanisation a été favorisé par la saturation de l'espace intra-muros, et a été en outre à l'origine du changement fondamental de la forme d'habitat originel. Plus récemment, la forte pression démographique, conjuguée à l'absence de maîtrise dans l'occupation et l'utilisation des sols, a induit une urbanisation anarchique qui a investi tous les terrains accessibles. C'est ainsi qu'elle s'est étendue aux chaâbet, au flanc de collines, au lit de l'oued M'zab et aux palmeraies. La vallée est de la sorte devenue «un écosystème en péril», parce que fortement saturée, et l'équilibre a été rompu ! C'est cette exiguïté «Dikat El Khater» dans une région de surcroît hyperaride qui a fait naître des comportements violents proches de la démence, dès lors qu'elle s'est conjuguée à la mal vie, à l'oisiveté, au chômage et à l'absence de perspective pour les jeunes ! Et sans que ce ne soit là une spécificité du M'zab, cette nouvelle forme de «cannibalisme urbain» peut arriver en tout lieu, là où les gens sont «écrasés» par le poids de leurs problèmes devenus ingérables, et par la perte d'espoir d'une perspective de vie meilleure !

Dans un ouvrage rédigé sous ma direction, intitulé «Les villes du Sud dans la vision du développement durable» édité en 1998 UFA, j'avais attiré l'attention des collectivités locales sur les risques de la non-maîtrise de la croissance des villes du Sud et plus particulièrement de Ghardaïa, «ville-oasis» par excellence, devenue un écosystème fragile en rupture d'équilibre ! J'avais alors écrit en deuxième de couverture, ceci: «la croissance démesurée des villes a laissé des stigmates qui ne tarderont pas à devenir indélébiles, si l'on persiste dans la tendance du laisser faire en matière de gestion spatiale... L'ancrage de la maîtrise de la croissance des villes dans la vision aménagement du territoire est une opportunité d'organisation, de préservation et de valorisation d'ensembles régionaux, dans le sens de la réduction des disparités et des déséquilibres... En agissant dans le sens d'une action territoriale préventive, les dossiers de maîtrise sont, sans aucun doute, des instruments dynamiques d'une politique d'aménagement du territoire qui anticipe les enjeux futurs, plutôt que d'avoir à en subir les effets pervers». Nous y sommes déjà ! N'est-ce pas ?

Et en quatrième de couverture, il est écrit: «Cet ouvrage, présenté sous la forme de synthèses de divers dossiers sur la maîtrise de la croissance des villes du Sud, a pu être élaboré grâce à la participation active des collectivités locales et de la société civile... Il est en quelque sorte le fruit d'une concertation et le résultat d'un consensus qui se dégage à partir de l'analyse pertinente de l'état des lieux et de l'audit des instruments d'urbanisme et d'aménagement du territoire... La vocation de cet ouvrage dans sa forme didactique est de mettre la réflexion et l'expérience au service de l'action et de sensibiliser les autorités locales aux tendances lourdes ou émergentes, aux enjeux qui se rattachent à l'évolution anarchique de nos villes, et aux stratégies à adopter pour rétablir l'harmonie urbaine et la convivialité, éléments essentiels à la cohésion sociale». Il est bien dommage que ces dossiers élaborés pour chacune des grandes villes du Sud, et qui plaident pour l'émergence de centres à promouvoir de taille humainement maîtrisable en dehors de la vallée, ainsi que la convergence des actions au sein des aires intercommunales qui constituent des territoires pertinents pour l'ancrage d'une dynamique urbaine, ne soient pas pris en considération.

Que de temps de perdu et que d'énergie de dépensée inutilement, lorsqu'on sait que pour leur finalisation, les dossiers objet de cet ouvrage, ont mis à contribution plus de 1.000 cadres. Force est de constater, qu'à l'exception de deux ou trois ksars réalisés dans cette logique à Ghardaïa, et qui intègrent tout à la fois les référents architecturaux de l'authenticité de la vallée et les éléments de modernité, les reports d'urbanisation suggérés dans la forme d'habitat ksouriens reposant sur la création de nouvelles palmeraies n'ont pas été suivi d'effets, et les redéploiements de populations n'ont pas eu lieu dans la trajectoire et les perspectives souhaitées ! C'est dire qu'il n'y a pas eu de «fenêtres» d'ouvertes pour permettre aux gens de «s'oxygéner» dans cette vaste région où pourtant le foncier existe à profusion !

Et alors, ce qui devait arriver, arriva ! Mais jusqu'à quand devrions-nous négliger la pertinence dans l'opérationnalité d'une politique hardie d'aménagement du territoire, qui va au-devant des questions posées en termes d'égalité des chances et de cohésion sociale et, chemin faisant, concilie les hommes avec leurs territoires et milieux de vie ? Marquer sa volonté d'agir dans le sens d'une restauration des équilibres rompus équivaut pour l'Etat d'engager au niveau des aires d'influence des grandes villes du Sud, et en tout premier lieu à Ghardaïa, de grands travaux de réalisation d'établissements ksouriens adossés à des palmeraies, dans le propre style d'une reconquête territoriale, de nature à susciter l'enthousiasme d'une jeunesse qui pourra trouver de la sorte, une raison de croire à un avenir meilleur...