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L'HOMME ET SES MONDES

par Belkacem Ahcene-Djaballah

COMPRENDRE LE MONDE. Essai de Pascal Boniface. Editions Anep, Alger 2010, 288 pages, 850 dinars.

L'état politique d'un monde qui change? Mais qui va, pour l'instant, toujours dans la même direction? avec, aux commandes les Etats-Unis d'Amérique. Une obsession ? Non, une réalité politique, économique et militaire incontournable et qui risque de durer un bon bout de temps. Le 6 août 1945 (fin de la Deuxième Guerre mondiale) avait fait entrer la planète dans une nouvelle ère, celle du nucléaire et du monde bipolaire... Le 9 novembre 1989 (effondrement du mur de Berlin) marquait la fin de l'époque bipolaire et la face du monde allait changer. Pour l'auteur, on a tort de croire que le 11 septembre 2001 allait apporter une structuration des rapports de force ou un état du monde différent de celui qui existait auparavant? il est venu seulement illustrer «la face tragique de la mondialisation»? et montrer que, dans un monde globalisé, le plus puissant au monde était, lui aussi, vulnérable? et, il a continué à poursuivre sa politique sur les mêmes fondements qui avaient prévalu avant les attentats du World Trade Center.

Il n'y a, en fait, pas eu de nouvelle rupture historique depuis la fin du monde bipolaire? On a seulement un monde en recomposition: Europe, Russie, Brésil, l'Asie tirée par le Japon puis, selon la théorie du vol d'oies sauvages, par les Tigres asiatiques (les Quatre Dragons) et les géants chinois et indien? De nouveaux pôles de puissance ? Le fin du monopole du monde occidental ? Un monde déjà multipolaire ? L'auteur n'y croit pas. Par contre, pour lui, le monde est en voie de multipolarisation? Avec, peut-être, plus de liberté, plus de vie? Mais moins de solidarité, moins de dignité individuelle? et pas trop de bonheur et encore moins de rire.

L'Auteur: C'est le directeur de l'Institut de relations internationales européennes de Paris 8. Auteur de plusieurs ouvrages, dont «Football et mondialisation» (2e édition, 2010), ainsi que le «Dictionnaire incorrect de l'état du monde». Bien connu pour son franc-parler et son sens de la pédagogie.

Avis : Un livre qui conjugue à la fois la rigueur du scientifique, l'esprit critique de l'universitaire et l'engagement d'un partisan d'un «monde meilleur». Presque complet (même si le livre date de 2010? et, entre-temps, les lignes ont beaucoup bougé, surtout sur les plans nationaux) avec sa partie explicative sur les défis globaux et des interrogations sur les valeurs du monde actuel.

Extraits: «Très souvent, par précipitation, par absence de mise en perspective ou par nécessité de forcer le trait afin d'attirer l'attention, on confond événement et rupture historique» (p 12), «Dans la mesure où le principal facteur d'innovation est la créativité, qui dépend en grande partie elle-même de la sociabilité, l'isolement conservera des vertus limitées» (p 30 ), «Il est (?) plus facile pour une puissance économique ou technologique de se militariser (?) que pour une puissance militaire de se transformer en puissance économique» (p 61 ), «L'Histoire n'est pas écrite à l'avance (?), l'on peut en modifier le cours (?), et la volonté politique en reste l'élément déterminant» (p 99), «Les Etats-Unis se pensent et se veulent uniques. Ils le sont d'ailleurs puisque, effectivement, nul ne peut songer à se comparer à eux» (p 121), «La Russie a une natalité européenne et une mortalité africaine» (p 157), «Lorsqu'une partie de la population a la possiblité d'échanger des idées ou des nouvelles par téléphone mobile ou par le net, les régimes dictatoriaux ont du mal à garder le pouvoir» (p 170), «A montrer ou à désigner un adversaire éventuel, on contribue à le créer» (p 200), «Dans les conflits idéologiques, la question était: ?De quel côté es-tu ?'. Les gens pouvaient choisir leur camp et en changer. Dans les conflits entre civilisations, la question est: ?Qui es-tu ?'. Et les changements ne sont plus possibles» (p 202), «La popularité est une des composantes de la puissance, et l'impopularité une entrave» (p 272)

C'est une chose étrange à la fin que le monde. Roman-essai de Jean d'Ormesson (de l'Académie française). Editions Media-Plus, Constantine 2012, 313 pages, 1.200 dinars.

L'histoire du monde. L'évolution de la science. La découverte de la raison. Les croyances qui s'entrechoquent ou qui cohabitent ou se surajoutent. Les théories qui se succèdent, à travers plus de trois mille ans. L'infiniment petit et l'infiniment grand. Le rien et le tout. L'Histoire qui s'accélère. Le règne de la foi. L'existence de l'être humain. L'existence de Dieu?

Avec l'auteur et sa dernière œuvre, c'est un peu (dans un style léger mais profond? comme lors d'une discussion tranquille «au coin du feu»), une réflexion, plus même, un vériable roman (fabuleux) du monde et de l'homme à la recherche de Dieu.

Les civilisations (avec l'homme au centre, toujours) naissent, croissent et disparaissent? mais l'être est toujours là, car il y a «quelque chose au lieu de rien»? Mais, tout cela, seul, le «Vieux» le sait et comprend le «fil du labyrinthe».

L'Auteur: Normalien, agrégé de philosophie, membre de l'Académie française depuis 1973, journaliste-chroniqueur, ancien directeur du Figaro, ... homme du monde ne boudant jamais les médias et les plateaux de télévison, amoureux du beau et du bon, fin bretteur de la langue française, à l'humour et l'érudition aiguisés? acteur aussi, Jean Bruno Wladimir François de Paule Lefèvre d'Ormesson, fils et neveu de diplomate, famille de la mère monarchiste, ultra-catho', «homme de droite avec beaucoup d'idées de gauche», époux d'une héritière Beghin, 90 ans aujourd'hui, est l'auteur de plusieurs ouvrages (romans, essais, contes pour enfants, biographies?).

Avis : A lire pour mettre fin à vos problèmes existentiels? et pour méditer, avec l'auteur, sur «le temps qui passe»? et pour ceux qui n'ont pas (ou plus) la foi, agnostiques (comme l'auteur) ou même athées, afin de «renouer avec l'espérance». Des pages superbement et simplement rédigées qui résument l'humanité, son passé et son (probable) devenir.

Extraits: «Nous venons tous de la même source. Nous sortons tous de la même matrice. Nous sommes tous des Africains modifiés par le temps» (p 30), «L'histoire est une nécessité aléatoire. Son avenir m'appartient. Son sens est un mystère. Et, seule la fin du temps éclairera ce mystère» (p 41), «Dieu vit à jamais parce que les hommes doutent de lui» (p 79), La vérité est contraignante comme la nature. La beauté est libre comme l'imagination» (p 83), Dieu est éternel, et il a pourtant une histoire ?qui est l'histoire des hommes» (p 101), «La science d'aujourd'hui détruit l'ignorance d'hier et elle fera figure d'ignorance au regard de la science de demain» (p 113), «Le roman de l'univers a été un secret.

Grâce à la science, le secret s'est changé en enigme» (p 168), «Les hommes font l'histoire, mais ils ne savent pas l'histoire qu'ils font» (p 276), «Les bons livres sont ceux qui changent un peu leurs lecteurs» (p 279), «Il faut toujours penser comme si Dieu existait et toujours agir comme s'il n'existait pas» (p 292).

LE PROPHETE. Essai? en prose et poésie de Khalil Gibran. Hibr. Alger, 2013, 143 pages, 300 dinars

Sa mystique est au confluent de plusieurs influences: christianisme, islam, soufisme, grandes religions de l'Inde, théosophie? Globalement, c'est ce que l'on trouve dans le chef- d'œuvre de Gibran Khalil, ouvrage (dont la première mouture a été écrite en arabe à l'âge de quinze ans, mais il a fallu attendre encore vingt ans, deux révisions en arabe et quatre en anglais ans? pour avoir la version définitive) qui accompagne, quotidiennement, depuis plus d'un demi-siècle et près d'un siècle, tous ceux qui recherchent un supplément d'âme encore introuvé, ceux qui recherchent une lumière (sous forme de conseil ou de parabole), même très infime, pour éclairer leur vie. Et les aider à cheminer.

C'est dit, c'est écrit avec amour, avec tendresse, avec humanité, poétiquement? ce qui facilite la lecture, la compréhension? et l'adhésion, quelle que soit la foi.

Les thèmes universels sont abordés. «Il» doit partir ailleurs. On «le» questionne. «Il» répond sur: Au départ, l'Amour, le Mariage, les Enfants, Le Don, le Manger et le Boire, le Travail, la Joie et la Tristesse, les Maisons, les Vêtements, l'Achat et la Vente, le Crime et le Châtiment, les Lois, la Liberté, le Raison et la Passion, la Douleur, la Connaissance de soi-même, l'Enseignement, l'Amitié, la Parole, le Temps, le Bien et le Mal, la Prière, le Plaisir, la Beauté, la Religion,? et, à la fin, la Mort.

Et, «lorsque vous vous souviendrez (de «lui»), vous vous souviendrez de ceci: ce qui semble le plus faible et le plus désorienté en vous est le plus fort et le plus déterminé».

L'Auteur: Gibran Khalil Gibran, poète, peintre, le «Victor Hugo libanais», issu d'une famille maronite assez pauvre, est né en 1883 et est décédé en avril 31 à New York. 52 ans à peine. Son livre, publié en 1923, a été encore plus populaire dans les années 60, dans le courant de la contre-culture et des mouvements New Age. Son livre, continuellement épuisé, a été traduit dans près d'une trentaine de langues. Son premier livre Les Esprits rebelles, violente critique de l'hypocrisie de la société libanaise et du statut des femmes, fut, à l'époque, brûlé publiquement par les autorités occupantes turques, car jugé hérétique par la hiérarchie maronite.

Avis : A lire pour mettre fin à vos problèmes existentiels. Vous allez planer et le produit n'est pas interdit ! De la sagesse immémoriale pour pas cher.

Extraits: «Tout savoir-faire est vain sans travail. Et tout travail est vide sans amour. Et travailler avec amour revient à se relier à soi-même, et à autrui, et à Dieu» (p 47), «La soif de confort assassine la passion de l'âme, et va en ricanant à son enterrement» (p 56), «Si vous voulez détrôner un despote, voyez d'abord si son trône, érigé en vous-mêmes, est bien détruit» (p 79), «Si la raison règne seule, elle confine la force (?). Laissez la raison diriger votre passion (?). Vous devez aussi reposer dans la raison et vous mouvoir dans la passion» (p 82), «Ne dites pas: ?j'ai trouvé la vérité', mais plutôt, ?j'ai trouvé une vérité' (p 88).