Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'énigme Abdelmoumen

par Fatima Abbad : Blida

Celui qui fut le justiciable algérien le plus recherché a parlé, enfin, lors du procès qui porte son nom, sans doute le plus notoire de toutes les annales juridiques algériennes de par le suspense qu'il a laissé entretenir depuis la fuite de l'ex-milliardaire en 2003 et par la large médiatisation qui a entouré cette affaire aussi bien en Algérie qu'ailleurs.

Mais au-delà des révélations tant attendues de ce procès, c'est la «prestation» de Abdelmoumen Rafik Khalifa qui, à la barre, aura déjoué les pronostics les plus pessimistes quant à sa capacité à répondre des lourds chefs d'inculpation qui l'accablent.

En deux jours d'audition, l'ex-milliardaire déchu aura surpris plus d'un parmi l'assistance qui s'attendait plutôt à un prévenu abattu et dépassé par les charges et la lourdeur de son dossier. Un accusé dont le plaidoyer serait chancelant comme le laissait présager la mine affaiblie et les traits grandement altérés par une perte de poids considérable durant son incarcération. Ceux qui ont revu pour la première fois Abdelmoumen Khalifa lors de ce procès ont été, en effet, frappés par un visage émacié, bruni et allongé à la place de celui plus rond, joufflu et plus éclairci qui était le sien durant son ascension financière fulgurante.

Durant les deux premiers jours du procès, consacrés essentiellement à la lecture de l'arrêt de renvoi de la chambre d'accusation près le tribunal criminel de Blida, le principal inculpé donnait à croire à une certaine «gêne» à supporter le regard de l'assistance.

Se sachant forcément fixé du regard, il maintenait souvent une main sur son visage, comme pour se protéger de la «curiosité» que sa réapparition devant le tribunal criminel de Blida ne manquait pas de susciter.

Pourtant, dès l'entame de sa propre défense face au juge Antar Menouar, le principal accusé dans cette affaire a fait montre d'une assurance pour le moins inattendue : un sang-froid rarement ébranlé lorsqu'il devait s'expliquer en jargon juridique dont il semblait maîtriser les contours se rapportant aux chefs d'accusation dont il est accablé.

Flanqué de part et d'autre de policiers, de gendarmes et d'agents de la Direction de la sécurité intérieure (DSI), il s'est évertué à apporter, non sans aisance, des éclairages juridiques se rapportant à certaines accusations, la voix soutenue par le micro mis à la disposition des accusés.

Dans son exercice oral, l'ex-fortuné aura même usé d'humour, détendant l'atmosphère autant à son profit que pour ceux qui devaient suivre sans relâche les péripéties du procès. «Vous rendez-vous compte, les Africains n'ont même pas fait preuve de gratitude, ils ont voté pour le Ghana et disqualifié l'Algérie de l'organisation de la Coupe d'Afrique des Nations (CAN) 2015 !!», a-t-il lâché en évoquant le sponsoring de clubs africains par son ex- compagnie aérienne Khalifa Airways. Une réflexion qui n'a pas manqué de faire s'esclaffer la salle. Et il n'en était pas à son unique intermède de jovialité !!!.

HOMMES DE LOI ET JOURNALISTES «IMPRESSIONNES»

«Dans toute la mythologie des procès, le rôle de l'accusé est important et Khalifa a su le remplir !», nous dit d'emblée l'avocat de la défense, maître Khaled Bourayou qui estime que «l'homme dont la peau a été brûlée par la prison et méconnaissable», a fini par «gagner la sympathie de l'assistance».

«Au fur et à mesure de l'audition, on voyait un homme qui donnait de l'élan à ce qu'il disait, qui améliorait son audimat et qui soutenait son équilibre physique en croisant les pieds par derrière pour être d'appoint en répondant aux questions. Je pense que c?est un homme qui a eu pour seul ami en prison son dossier qu'il connaît à la perfection !», poursuit Me Bourayou.

L'avocat estime que le prévenu a impressionné précisément par sa «maîtrise» des termes juridiques, puis par son refus d'«en dire plus qu'il ne voulait», ce qui fait de lui «un bon diplomate», une qualité héritée de son défunt père ayant occupé la fonction d'ambassadeur.

«Il a certainement de la personnalité et j'ai l'impression que le poids des accusations ne pèse pas sur lui !», jauge l'avocat.

Notre interlocuteur n'en a pas moins décelé «quelques insuffisances et reniements» dans la prestation du prévenu, citant le cas de sa négation de l'existence d'une secrétaire. Ce qui est peu concevable pour un président-directeur général (PDG) d'un groupe d'une aussi grande ampleur que fut Khalifa, commente-t-il avant d'observer qu'il s'agit «peut-être d'une stratégie de défense où il est à l'aise».

Néanmoins, pour avoir «bien rempli son rôle d'acteur principal du procès, A.Khalifa a mérité de par sa prestation son appellation de golden boy», conclut Me Bourayou.

«L'accusé a le profil d'un jeune algérien manager, entreprenant, audacieux et courageux, maîtrisant les techniques du management et de délégation. En dépit des problèmes qu'il a eus, il a su se défendre sereinement et être au courant des rouages juridiques», dira de lui l'un de ses avocats, Nassredine Lezzar.

Pour ce dernier, la «prestation» de A.Khelifa démontre d'une «solidité de caractère» pour faire face à une telle épreuve, si bien qu' «au lieu d?être affaibli par l'épreuve, c'est lui qui aura affaibli l'épreuve !».

«Finalement, j'imaginais ce que serait devenu le groupe Khelifa s'il n'avait pas été stoppé dans son envol, il serait assurément devenu une grande multinationale !!», conclut celui qui doit assurer sa défense et qui estime, par ailleurs, que le président du tribunal a mené, quant à lui, son travail comme il se devait.

Rappelant le dogme juridique qui veut que «tout accusé est innocent jusqu'à preuve de sa culpabilité», l'avocat de la défense, Amor Moussa Tarek, partage l'avis de ses confrères quant à la «maîtrise» dont a fait montre le prévenu Khelifa depuis le début de son audition.

Soulignant la «particularité» de cette affaire «peu fréquente», il note que le mis en cause a reflété finalement «l'intellectuel» qu'il est, rappelant son passé de pharmacien et de banquier, en somme «pas n'importe qui !».

«Il est fort !!!», a lâché le frère d'un des accusés dissimulant mal l'effet qu'a suscité en lui l'ex-patron fortuné qui «s'est très bien défendu», souligne notre interlocuteur qui a requis l'anonymat.

«A-t-il conclu un deal qui le ferait sortir de prison ?», n'ont cessé de supputer de nombreux journalistes présents à l'audition «historique». Pendant le réquisitoire ou dans les coulisses du tribunal, ils étaient nombreux à dire leur «étonnement» de constater l'aisance avec laquelle A.Khelifa s'est présenté à la barre.

«Dès lors qu'il y a ouverture du procès Khalifa, il ne fallait pas s'attendre à de fracassantes révélations», pense la correspondante d'une chaîne de télévision privée, faisant valoir, ce disant, que la tournure du procès ait donné raison à sa réflexion.

«Pour rien au monde je n'aurai raté ce qui était présenté comme étant le procès du siècle, mais je m'aperçois qu'il ne le sera peut-être pas s'il se poursuit sur le même ton !!!», lâche, presque dépité, un autre confrère, citant le refus (?) du prévenu de confondre de hautes personnalités en poste, voire même celles qui ne sont plus en exercice, tranchant grandement avec le Khelifa qui menaçait, au lendemain de sa fuite en 2003, de tout «déballer».

Des interrogations et lectures que tout citoyen s'intéressant de près à l'affaire pourrait aussi avoir et que le procès, appelé à s'inscrire relativement dans la durée, finira par conforter ou...démentir.