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La vieille erreur du «consommons algérien»

par Kamel Daoud

« Consommons algérien». Un vieux mythe algérien qui remonte aux fondations de la nation. Un vieux rêve qui revient en cycle. Comme, cette fois, avec le FCE du patronat unique algérien (sur le mode parti unique). Et avec les mêmes lots de moqueries, autodérision algériennes, déceptions et analyses : consommer quoi ? Par qui ? Comment ? C'est que le patriotisme algérien est valable pour le fusil, pas pour les mains. On fabrique peu, on défend la nation mais contre l'invasion coloniale pas alimentaire ou «made in». Le nationalisme économique suppose un peuple qui fabrique, crée, vend et impose. Ce n'est pas notre cas. Nous, on sait chasser le colon, pas fabriquer des bateaux ou des satellites. On n'est pas des Japonais.

Et, donc, encore les mêmes myopies. Au matin, sous le soleil d'Oran, au rond-point, une affiche qui incite à consommer algérien, mais pas en langue algérienne. En arabe dur et fermé. Curieuse erreur redondante depuis des décennies : comment pousser à consommer algérien sans parler algérien ? Pourtant, tous les vendeurs le savent : l'amour, la mort et l'argent parlent la langue locale du pays. C'est-à-dire l'algérien ou tamazight ou autre, pas l'arabe des rimes. Pour vendre, on ne se fait pas latin pour vendre aux Chinois. Inciter les Algériens à consommer algérien en leur parlant un arabe classique de livre est presque de l'humour, mauvais. C'est aussi du délire organisé. Du strabisme idéologique. Car on pense faire une campagne économique mais avec des soucis idéologiques; donc, cela ne marche pas. Les pubs des autres boîtes, celles des téléphonies par exemple, ont bien compris : on ne peut pas inciter les Algériens à parler en leur disant en langue arabe. Contradiction sur l'étalage. On n'aime pas l'amour dans la langue morte de l'âge d'or mort. On ne meurt pas en récitant des poésies de la période antéislamique et on ne vend pas des confitures avec des étiquettes d'El Moutanabi. L'amour, la mort et l'argent parlent la langue immédiate de la chair et de la mère.

Donc, pour inciter les gens à consommer algérien, il fallait au moins le faire en algérien. Accepter nos langues est le commencement pour guérir nos mains : le pays sera à nous, on y fabriquera, aimera, mangera et consommera. L'arabe dur aide à consommer les passés, pas les présents, ni les aliments. Consommons algérien doit commencer par : acceptons l'Algérien, pensons algérien, aimons l'Algérien. On ne mange pas ce que l'on n'aime pas. Les enfants le savent. Donc, consommons algérien doit commencer par notre langue. C'est meilleur pour la nation et pour les modes d'emploi et les posologies.