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Louisa Hanoun, symbole d'une gauche sans repères

par Abed Charef

Louisa Hanoun, militante de gauche ou porte-parole officieux de Saïd Bouteflika ? L'image de la présidente du Parti des Travailleurs s'est définitivement brouillée.

Louisa Hanoun s'est lancée, à contretemps, dans une vaste campagne contre la corruption. Au moment où les regards sont braqués sur les stars des grands scandales, comme Amar Ghoul, Mohmed Bedjaoui et Abdelmoumène Khalifa, où des affaires retentissantes sont traitées devant les tribunaux, et alors que des scandales portant sur des millions de dollars de pots-de-vin et des milliards de gaspillage, la présidente du Parti des Travailleurs a choisi de s'en prendre à une discrète ministre de la Culture, sans influence dans les jeux de pouvoir et sans poids particulier au sein du gouvernement.

Mme Hanoun a elle-même sonné la première charge contre Mme Nadia Labidi, l'accusant de favoriser ses petits intérêts dans la gestion de la manifestation « Constantine, capitale de la culture arabe ». D'autres dirigeants du Parti des Travailleurs ont pris ensuite le relais. Députés et responsables de cette formation ne ratent plus une seule occasion de s'en prendre à la ministre de la Culture dans un curieux acharnement contre une ministre qui parait plutôt décalée au sein d'un pouvoir trash.

La démarche brouille complètement l'image de Mme Hanoun. Où est la militante trotskyste des années 1980, cette pasionaria qui a qui a fait de la prison du temps du parti unique et qui était de tous les combats politiques, de la défense des droits de l'homme au combat féministe ? Dans les années 1990, Louisa Hanoun avait également choisi le chemin le plus périlleux. Son opposition à l'intégrisme ne l'a pas empêchée de refuser l'arrêt des élections de 1991. Elle a ensuite fait partie du groupe qui a adopté le contrat de Rome, avant de prendre en charge le terrible dossier des disparus en pleine tourmente. C'est au siège de son parti et à celui du FFS que les parents de disparus ont organisé leurs premières rencontres, dans une période où la presse n'osait pas évoquer ce dossier. Elle affichait alors une attitude d'une fermeté rare, qui forçait l'admiration, y compris chez ceux qui ne partageaient pas ses positions. Elle s'appuyait aussi sur des convictions idéologiques qui donnaient une certaine cohérence à son action.

UN CAPITAL DILAPIDE

Comment un itinéraire pareil peut-il s'accommoder avec le rôle qu'assume Louisa Hanoun aujourd'hui ? La présidente du Parti a cautionné plusieurs élections présidentielles jouées d'avance. Elle a délibérément mené ses campagnes sur le succès de l'opération de vote, non sur une possible victoire qu'elle pourrait remporter, ce qui donnait un sens très précis à sa participation : elle cautionnait des élections jouées à l'avance sans aucun espoir de l'emporter.

Elle a aussi défendu la candidature du président Bouteflika pour un quatrième mandat, contre tout bon sens. Le résultat est affligeant : l'Algérie a un président qui ne peut ni accueillir ses invités, ni les accompagner aux cérémonies officielles, ni tenir les réunions institutionnelles comme le Conseil des ministres. Son frère, Saïd Bouteflika, a étendu ses réseaux pour devenir l'un des hommes les plus influents du pays.

Ce passage du pouvoir à l'informel n'a pas alarmé Louisa Hanoun qui a publiquement demandé à Saïd Bouteflika de s'exprimer. Face au mutisme de celui-ci, elle a décidé d'accompagner le président Bouteflika jusqu'au bout de sa dérive, en faisant le choix de s'exprimer comme un porte-parole officieux de Saïd Bouteflika. C'est elle qui a rapporté que le frère du chef de l'Etat n'est pas candidat à la succession.

L'attitude de Mme Hanoun s'explique partiellement par un vieux fond idéologique et les stratégies traditionnelles partagées par les courants d'extrême gauche. L'entrisme en fait partie. Dans sa présence au Parlement, comme dans les associations et les syndicats, Louisa Hanoun se fonde sur de vieux dogmes selon lesquels il faut infiltrer les organisations et les institutions disponibles pour tenter d'infléchir leurs positions et les manipuler éventuellement. Dans les sociétés considérées comme non encore matures, cette méthode est privilégiée, du moins tant que la « bonne pensée » n'est pas encore en mesure de l'emporter. Des idées d'extrême gauche n'ont visiblement aucune chance de devenir majoritaires en Algérie. Louisa Hanoun le sait, et tente de contourner cette réalité en essayant de peser sur la décision. Etre près du pouvoir peut faciliter la tâche.

Elle tente donc de faire feu de tout bois. Elle colle par exemple à l'UGTA, où plusieurs dirigeants du Parti des Travailleurs sont des membres influents. Mais elle est contrainte de fermer les yeux sur la dérive de la centrale syndicale. Car les temps ont changé et l'UGTA a peu de choses à voir avec un syndicat. C'est à peine une annexe docile du pouvoir, « le bras social du DRS », selon la formule de Saïd Saadi. Le patron de l'UGTA, Abdelmadjid Sidi-Saïd, a publiquement reconnu, lors du procès Khalifa, avoir trafiqué des documents pour vendre des biens de l'organisation. Il n'a pas été inquiété : il fait partie du premier cercle du pouvoir.

Dans ses rapports au gouvernement, Louisa Hanoun est par ailleurs contrainte à une curieuse gymnastique pour tenter de gagner un minimum de crédibilité. Elle scinde le gouvernement en deux. D'un côté, elle s'en prend aux libéraux qui démantèlent l'économie nationale pour servir des intérêts étrangers et se servir. Mais de l'autre côté, elle soutient le président Bouteflika et les mesures « populaires » décidées par le gouvernement. Elle s'en tient à une absurde théorie du bon roi trahi par de mauvais vizirs, pendant que les institutions partent en lambeaux.

Sur le plan idéologique, ceci n'a rien à voir avec la pensée classique d'extrême gauche. Ce qui jette un sérieux doute sur la démarche du Parti des Travailleurs. Même les autres organisations traditionnellement proches n'expliquent pas cette dérive. Faut-il attribuer cette attitude à des impératifs de survie ? A la régression générale du pays, avec un nivellement par le bas, qui a provoqué un effondrement moral et politique? Ou à d'autres facteurs non encore visibles?