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L'UNIQUE REMPART

par M. Abdou BENABBOU

Le ministre tunisien de l'Intérieur dit ne pas comprendre pourquoi des manifestants, qui réclamaient du travail, avaient incendié samedi un poste de gendarmerie. Il n'a peut-être pas saisi à sa juste valeur l'immense désarroi du peuple tunisien qui, par un soulèvement populaire, a entamé un douloureux réveil aussi spontané qu'inattendu. En tant que premier policier, il doit pourtant se douter que l'éveil de la population qu'il gouverne ne fait que débuter et que la sortie du long tunnel mal éclairé n'est pas pour aujourd'hui.

S'attaquer à un symbole institutionnel est bien plus qu'une revendication d'un emploi. Le Marocain, l'Algérien, le Tunisien ou le Libyen qui bravent la mer au péril de leur vie ne sont pas seulement en quête d'un emploi. Ils sont dans une démarche farouche et désespérée pour une recherche d'eux-mêmes et pour l'identification de ce qu'ils sont. On peut leur trouver pour les nourrir des occupations palliatives, ils trouveraient aussitôt d'autres prétextes légitimes pour donner un sens à leur existence. Ainsi est la nature humaine. Et quand la mer devient revêche et les institutions cramoisies, l'infortune pousse à s'accrocher à Dieu.

Tunis de Bourguiba n'est plus et c'est le foulard comme emblème qui flotte dans des boulevards où les senteurs de jasmin ont disparu. Comme Alger et Rabat qui veulent par effraction s'abriter dans le sacré. Alors les Maghrébins unanimes découvrent subitement les vertus des consensus sans trop savoir dans l'urgence de quoi ils seront faits. Sans comprendre que le lien du sang, qui unit près de cent millions d'âmes désemparées, serait un phénomène dénominateur d'union seule capable de faire bloc contre les terrifiantes turbulences qui secouent tragiquement le Maghreb aujourd'hui et qui le désintégreront probablement demain.

L'Etat maghrébin est sans aucun doute l'unique rempart salvateur contre tous les Etats fantomatiques qu'on promet à une population de plus en plus éberluée car elle n'a cure des stratèges provisoires. Le seul vœu de sa majorité sont un verre d'eau et un morceau de pain quotidien dans la sérénité à travers lesquels elle pourrait s'identifier. Dès lors, dans l'inextricable concert des nations d'aujourd'hui, le consensus aura un sens et le rassemblement, enfin retrouvé, dépassera les arrière-pensées et les préalables décousus d'un temps passé et préservera les symboles des institutions.