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HISTOIRES VRAIES

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Français par le crime. J'accuse ! Récit autobiographique de Mohamed Garne. A compte d'auteur. 4e édition ajoutée, Alger 2015, 202 pages, 650 dinars.

A travers ces «mémoires», c'est tout un pan caché et méconnu, quand il n'est pas volontairement esquivé (ici et là-bas), de l'histoire de la guerre d'Algérie menée alors par la France coloniale de 54 à 62.

Personnage central, une jeune femme (toute nouvelle mariée à un brillant combattant de l'Aln qu'elle devait rejoindre, bien connu du colonel Y. El Khatib lui-même), prise en tenue de combat au maquis. Prisonnière de harkis, elle devient leur «esclave sexuelle»? et ne tarde pas à tomber enceinte. L'indépendance venue, veuve de guerre (sans les avantages), elle est cependant mise au ban de la société, fuyant tous les souvenires de guerre, réfugiée dans une grotte, alors que son enfant est élevé dans un orphelinat et ballotté d'une nourrice à l'autre.

Il est adopté par un couple d'intellectuels? avec, au bout, un certain échec dû tant aux traumatismes multiples subis par l'enfant (au caractère difficile), que par l'instabilité du couple (partagé socio-culturellement).

Il se met alors à le recherche de sa mère biologique? et là, il découvre alors, au fil du temps et de bien de malaventures la vérité sur sa naissance, sur sa mère (toujours vivante, mais toujours vivant en marge de la société), sur son «père». Suit alors un combat, surtout juridique, en France, puis en Algérie, puis en France, pour être «reconnu» comme une «victime de guerre». Il est même «obligé» de demander la nationalité française. Il gagne. Il veut aller encore plus loin en engageant une action devant les tribunaux français à l'encontre du ministère de la Défense française himself pour «crime de guerre» et «crime contre l'humanité». La lutte continue.

L'Auteur : Enfant issu d'un viol collectif par des harkis durant la guerre de libération nationale, abandonné une première fois, adopté par une famille algérienne puis, dit-il, raconte-t-il, une seconde fois, l'auteur cherche, à partir de 1986, à connaître la vérité sur sa naissance. En Algérie. En France. Le parcours du combattant !

Avis : Incroyable mais sûrement vrai ! Le Quotidien d'Oran avait publié son interview le samedi 12 janvier 2013, en titrant «La loi Garne fait sauter 68 : Une piste d'ouverture contre l'amnistie dérivée du traité d'Evian»

Extraits : «Je suis à l'image des rapports entre l'Algérie et la France : meurtri, tourmenté et non abouti?une mémoire vivante qui porte en lui les stigmates d'une histoire jalonnée de douleurs, de non-dits de crimes, d'injustices» (p19), «Je suis un enfant de l'Algérie et de la France , de leur union intime et violente. L'Algérie a été mon berceau, la France mon éducation» (p 21), «Le temps est une arme» (p 146).

La petite fille sur la photo. La guerre d'Algérie à hauteur d'enfant. Récit mémoriel de Brigitte Benkemoun. Editions Media-Plus. Constantine 2014, 221 pages, 950 dinars.

Elle n'avait que 2 ans lorsque ses parents ont quitté précipitemment l'Algérie dans la peur panique créée de toutes pièces par l'Oas et ses exactions.Peu de souvenirs, donc, du pays natal.

Mais, durant des années et des années, lors des repas en famille, elle n'a fait qu'entendre et entendre et entendre ses parents, tous les parents, parler de «là-bas», passant et repassant les souvenirs «comme on fait tourner les plats». L'Algérie. Son soleil. Les «aventures de papa chez les fellaghas». Les rues animées. L'odeur des brochettes et de l'anisette. La vie «ensemble», à Bel Abbès, à Nemours (Ghazaouet) comme dans une sorte de sit-com à mi-chemin entre «Plus belle la vie» et «la Famille Hernandez». Tata Nénette. On passe très vite sur les mésaventures des Juifs en 40 lorsque le décret Crémieux fut abrogé par Pétain.

Puis, à 10 ans, elle découvre une photo de journal avec une petite fille descendant d'un bateau dans les bras de son père. Elle pense que c'est elle. La photo, ce n'est pas elle. Elle avait fait la Une de Paris Match (du 2 juin 1962?). Mais, c'est tout comme. Un peu plus tard, commence alors une chasse aux souvenirs, puis l'âge et l'expérience aidant, celle des témoignages (sans exclusive : Attali, Stora, des anciens Oas, des anciens harkis, des militants nationalistes, des gens qui ont tout oublié, d'autres pas?)? afin de «reconstituer l'histoire et réinventer un pays dont elle a tout oublié»?et dont, au fond d'elle-même (cela se vérifiera par la suite), elle aurait bien voulu être l'enfant et la citoyenne. Les rencontres en France même ne suffisent pas, ne suffisent plus. Elle se rend en Algérie sur les lieux de son enfance, là où ses parents et grands parents ont vécu : Oran, Bel Abbès, Ghazaouet?

Quand elle revient à Arles, elle sait désormais d'où elle vient, où elle a vu le jour, respiré, appris à marcher?et elle sait aussi qu'elle est une «exilée», quasiment une «immigrée», avec une «mémoire sans souvenirs» et une «douleur sans malheur». A qui la faute ? En tous cas pas aux Algériens qui, malgré tout, accueillent à «bras ouverts» presque tous les pieds noirs.

Note : En 2004, ils étaient 600 pieds noirs, enfants compris, qui ont préféré ne pas quitter la terre qui les a vus naître?et durant le 1er semestre 2004, ils furent 4 000 à venir en visite «touristique» en Algérie (contre 2 000 en 2003)

L'Auteur : Née à Oran en 1959. Journaliste à France 2, anciennement chef des informations à France Inter et à France 5. Auparavant, longtemps journaliste à Europe 1. 40 ans après son départ d'Algérie dans les bras de ses parents, elle revient sur le passé?des siens.

Avis : Se lit facilement

Extraits : «Ils (les colons pieds noirs) aimaient trop ce pays. Le bonheur rend con» (Mehdi Charf cité, p 76), «Mais pourquoi faut-il systématiquement que chez nous l'histoire se réduise à des anecdotes ?» (p 93), «Le jeune adolescent comprend très vite que l'Algérie dès son enfance n'est qu'un décor de cinéma dont l'envers est l'injustice, l'apartheid... l'Algérie, c'était l'Afrique du Sud» (Propos concernant Jacques Attali, p 158),

Hold-up à la Casbah. Roman historique de Tarik Djerroud. Editions Belles Lettres. Alger 2012, 162 pages, 300 dinars.

C'est l'histoire romancée mais s'appuyant sur des faits réels (ou presque) de la prise d'Alger, et le pillage de ses trésors, accompagné de meurtres et de la rapine soldatesque, par l'armée française. Le régime royaliste de l'époque, à la recherche d'une gloire qu'il n'avait plus en Europe, et pour détourner l'attention du petit peuple en révolte permanente, prit prétexte d'un «incident» ayant opposé le Dey d'Alger de l'époque (Husssein) au Consul de France, le nommé Deval?en raison d'une grosse créance contractée vingt ans auparavant par les Rois de France et restée impayée. Des rois retors et des intermédiaires rapaces et escrocs avait entretenu le contentieux?

En fait, ce n'était là qu'une excuse à une opération qui devait se dérouler déjà du temps de Napoléon Bonaparte, poussé alors par son ministre Talleyrand (ce diplomate increvable, grand intrigant devant l'Eternel, avait écrit un ouvrage «Essai sur les avantages à retirer sur les nouvelles colonies», déjà dans les années 1770-80, c'est tout dire). Cela faisait partie déjà du pré-avant projet de partage du monde (avec une première étape visant la conquête de l'Afrique et ses trésors réels ou supposés : entre 150 et 300 millions de francs !) élaboré par les chancelleries européennes, entre autres la France, l'Angleterre et l'Espagne dans une moindre mesure?excédées par ailleurs par les exactions, réelles ou supposées, de la «course» algéroise.

Une invasion auparavant bien étudiée par des espions, au nom de «l'honneur insulté», décidée par un Charles X fébrile, à la recherche de notoriété et d'argent, une défense chaotique et poussive car non soutenue par un «pays profond» jusqu'ici ignoré et opprimé, un chef (étranger au pays, n'ayant de commun avec lui que sa religion ) prétentieux, ne pensant qu'à lui, ne dormant que d'un œil, car se méfiant des janissaires toujours en quête d'une «tête de Chef» à couper, la Porte sublime qui fait «faux bond», ajoutez-y un traître... donc une défaite rapide? 5 juillet 1830 : Le Dey se retire dans Dar El Hamra avant d'être «évacué» (par frégate, La Jeanne-d'Arc) hors du pays, avec cent cinquante membres de sa famille et de son proche entourage. Le pillage de la ville, le massacre de ses habitants et l'occupation du pays allait commencer...et ne se terminer que plus de 130 années plus tard.

L'Auteur : Editeur et journaliste né en 1974. Après des études universitaires en électronique, il est rapidement conquis par las mots et leur magie. Son 4è roman. On a eu «Le sang de mars», et, entre autres, «Au nom de Zizou»...et une somme d'articles de presse, «Carnets de Kabylie». Il a reçu le premier prix Bougie d'or 2009 de littérature

Avis : Un roman-enquête qui se lit très aisément? et rapidement. L'auteur avertit que «tous les personnages ont réellement existé et que les faits racontés sont vrais, du moins admis par les historiens les plus authentiques». Vous n'êtes pas obligés de le croire, et pourtant tout est, hélas, si vrai.

Extraits : «La grandeur que l'on prononce uniquement avec la bouche ne fait pas fructifier nos champs et plaines» (p 99), «La peur de l'échec est le premier facteur qui contribue à l'échec» (p 117), «Dans la vie, il y a deux choses qui peuplent le quotidien des hommes : la propension au mensonge et le goût de l'injustice !» (p 155).