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Draria: Le village des enfants

par Tahar Mansour

Samia, Kamel, Ali, Souad, Amel et les autres, des prénoms typiquement algériens, des enfants comme tous les autres enfants, rieurs, espiègles, frondeurs, calmes ou agités. A les voir aller et venir, insouciants et infatigables, on se croirait dans n'importe quelle école, même si la différence d'âge laisse deviner que l'endroit n'est pas aussi normal qu'on le croit. Puis on se surprend à les regarder d'une manière curieuse, cherchant à lire la différence entre eux et les autres enfants, mais nous ne trouvons qu'un regard furtif et grave qui essaie de se cacher ou un visage volontairement dur ou moqueur pour ne pas laisser transparaître autre chose. En effet, nous sommes dans le village SOS Enfants de Draria, le seul qu'a réussi à ouvrir en Algérie SOS-Kinderdof International, une ONG sociale allemande présente dans 132 pays et qui s'est donné pour but principal l'accueil des enfants qui ont perdu leurs foyers, leur sécurité et leurs familles.

A Draria, ils sont 195 enfants des deux sexes, âgés de quelques mois à plus de 25 ans, qui ont retrouvé l'amour maternel perdu pour diverses raisons, la sécurité et la force d'un père qu'ils n'ont jamais connu et la chaleur d'un foyer qui leur offre le gîte et le couvert. Ces enfants sont placés là par le juge des mineurs quand ils sont en danger moral et physique et qu'ils n'ont personne pour s'occuper d'eux. L'enfant ainsi accueilli est placé dans une famille avec une mère SOS spécialement formée au sein du village, qui perçoit un salaire et vit avec les enfants comme une véritable mère, sans les quitter, s'occupant de tous leurs besoins et les aide dans tous les cas. Le village est constitué de maisons dans lesquelles évoluent la mère SOS aidée d'une tante SOS ainsi qu'un nombre d'enfants entre 5 et 9.

Samia, 11 ans, qui poursuit ses études en 1ère année moyenne, ne laisse nullement transparaître sa solitude, adulte avant l'âge, se cachant derrière un rire ininterrompu et des mouvements continuels, comme pour éviter de penser à autre chose qu'à sa condition de ?sans père et sans mère'. Elle finit pourtant par le dire, avec un brin de détachement comme si la chose ne la concernait pas en profondeur: «Je ne connais pas ma véritable mère, maintenant ma mère c'est N. et mon père, c'est le directeur du village, et il est le père de tous ceux qui sont ici». Pour en revenir au 1er juin qui est la fête de tous les enfants du monde, les enfants de SOS Village d'enfants de Draria la vivent intensément en compagnie de l'entreprise turque Hayat qui fabrique à Bouinan des détergents et des produits d'hygiène corporelle. Chaque année à pareille date, Hayat organise une sympathique fête à laquelle participent la plupart des enfants du village, les adolescents et les jeunes filles préférant sortir pour aller se promener en ville, bien que beaucoup y restent. Plusieurs manifestations sont prévues au terme desquelles des prix et des cadeaux sont remis à tous les enfants sans distinction.

En outre, nous apprenons que Hayat fournit le village durant toute l'année en produits d'entretien et d'hygiène « ce qui constitue un allègement conséquent des charges sur le budget remis à chaque mère SOS pour qu'elle élève les enfants dont elle assume l'éducation », a tenu à préciser un responsable du village. Continuant sur le problème de financement, il affirma que le gouvernement algérien ne contribuait qu'à environ 0,36% des dépenses du village, représentant les 3000 DA versés chaque année à tous les enfants scolarisés, alors que l'ONG est soumise au versement des impôts sur salaires et des contributions CNAS. Une autre difficulté de taille, poignante, dirions-nous, c'est celle des documents d'état civil, en particulier le fameux S12 qui constitue un obstacle majeur pour ces dizaines de jeunes qui ne se connaissent même pas.

Questionné sur l'éventuelle création d'autres villages à l'image celui de Draria, le même responsable nous affirma qu'une demande d'attribution de terrain a été introduite en 2007 pour la réalisation d'un village à Oran mais que, jusqu'à ce jour, aucune réponse ne leur aurait été donnée, tout en précisant qu'au Maroc et en Tunisie, il y a quatre villages dans chaque pays, avec une population beaucoup moins importante que celle de l'Algérie. L'appel à lancer vient de Samia et de Mohamed, 11 et 14 ans, qui demandent à tous: «de nous aider dans notre scolarité, dans la recherche de nous-mêmes, dans notre vie, afin que nous nous sentions comme les autres». Nous avons dû les arrêter car tous les présents avaient les larmes aux yeux !