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Quand les trois coups retentissent?

par Mohammed Abbou

Continuant son «casting», l'Echevin, à force de patience et d'obstination, a fini par convaincre quelques anciens co-animateurs de circonstance, de participer à un entretien qui n'engage à rien.

Le coryphée (1) de l'ancienne troupe, qui le seconde, a tenté de réveiller l'avidité d'un public volontairement absent, en tentant une maladroite «mise en abyme»(2).

Le premier arrivé des invités lui avoue avoir perdu toute dextérité dans la manipulation des mannequins depuis qu'il est accaparé par ses affaires, ajoutant sur le ton de la plaisanterie, qu'aujourd'hui, il excelle plutôt dans le maniement des liasses de billets qu'il compte plus vite qu'une machine.

Le second n'arrive plus à obtenir que des sons trop graves de sa voix encombrée par les dépôts adipeux et ne peut, par conséquent, interpréter d'autres sentiments que celui de la satiété ; ce qui limite grandement son registre artistique et handicape sérieusement son retour sur les planches.

Le troisième souffre d'une grave surdité totalement incompatible avec les exigences d'un spectacle qui repose essentiellement sur l'instantanéité et la vivacité des répliques, plus que sur leur pertinence ou leur sincérité. Le troisième lui montre une main grasse et boudinée dont les doigts peuvent difficilement s'écarter les uns des autres et qui, très visiblement, ne peuvent s'introduire avec l'aisance indispensable, dans les accoutrements des figurines.

Tout comme le dernier arrivé qui a tellement pris de poids qu'il suffit de le voir pour comprendre qu'il ne peut manifestement partager avec aucune autre personne l'espace réservé aux manipulateurs, derrière le rideau de la petite scène.

Même la pétillante soubrette qui égayait les prestations et émoustillait le public, n'est plus qu'une matrone aigre et suspicieuse à la féminité inexpressive. Le prospecteur dépité est sur le point de plier bagages quand trois individus dont il ne se souvenait plus s'approchèrent à pas hésitants de son Diwan.

Le premier grand au corps sec et noueux se présente comme celui qui a toujours fait le gendarme, avec beaucoup de succès, laisse-t-il entendre et manifeste son désir de reprendre du service, mais à condition de changer de rôle et de camper le personnage du maître d'école. Pendant sa longue retraite il a tellement lu et échangé qu'il se sent prêt à donner des leçons et beaucoup de leçons.

Son deuxième compagnon rappelle avoir été le boucher dans la plupart des spectacles de l'époque et désire désormais jouer l'imam. Depuis son retrait de la scène il fréquente assidûment les mosquées et pense avoir accumulé des connaissances qu'il aimerait exploiter au bénéfice d'un futur public.

Le troisième, enfin, aspire obtenir des fonctions plus valorisantes que les utilités dont il s'est toujours acquittées dans les coulisses.

Lui, qui de par ses charges, a eu à assister tous les acteurs, du choix des mannequins à la répétition des textes, en passant par la miniaturisation des accessoires, peut se prévaloir aujourd'hui d'une expérience discrète et silencieuse pour assurer le plus délicat des rôles.

A l'issue des entretiens le préposé du chef qui a failli céder à la panique dans un premier temps, a repris confiance en lui-même et en ses congénères.

Les vertus qui fondent depuis toujours la «guidance» de sa cité n'ont pas disparu.

Paradoxalement elles ont tout juste été affaiblies par leur propre succès. Le confort qu'elles ont engendré a émoussé le zèle traditionnel des acteurs qui doivent reprendre leurs séances d'échauffement avec plus de vigueur et de persévérance. Malgré la défaillance de bon nombre de ses anciens camarades ou peut-être même grâce à elle, il se voit reprendre le flambeau pour redonner vie à un art majeur dans la vie de la cité.

Un art capable d'offrir du rêve à des yeux bien éveillés, de dissoudre leurs réserves, leurs réminiscences et même leurs souffrances dans sa magie. Un art à même de les faire participer, à distance, à l'illusion de leur propre vie, de leur donner la parole à travers leurs champions, d'assouvir virtuellement leur besoin de justice, de les émouvoir, de les bouleverser, d'épuiser leurs «mauvaises» énergies jusqu'à la prochaine prestation.

A la seule pensée de cette capacité de créer l'illusion, l'Echevin exulte. Il va pouvoir, de nouveau, déployer ses talents, générer ombres et chimères et faire d'un drame historique une dramatique petite histoire.

«Quand les trois coups retentissent, une vie parallèle commence».

1)- Le Coryphée dirige le chœur et parle en son nom.

2)- La «mise en Abyme» est l'insertion d'une intrigue secondaire dans l'action principale d'une comédie.