C'est
l'événement sourd, blanc et incolore du pays : la grève dans les écoles. Menée
par des sigles contre une ministre. De loin, de près, ou d'à-côté, on y
comprend peu, ce que veulent les uns et les autres. Mais on comprend que
l'école algérienne est, désormais, un terrain vague avec des buissons morts :
pour sauver ses enfants, soit il faut ne pas en faire, soit les mettre dans une
école privée, soit les exiler, dans les œufs, vers des pays qui veulent marcher
sur la lune. Ici, point de salut apparemment. La ministre Benghebrit semble
vouloir essayer mais elle est prise au piège du pays devenu un ventre étranglé
par un intestin : tout le monde veut manger, travailler c'est aller au travail
et enseigner n'est plus le sacerdoce d'autrefois, destinant la vie à
l'éclairage du monde. La grève, cette fois, ressemble à une affreuse bousculade
dans l'alimentation générale nationale : personne n'y parle de l'enfant, de
l'école, de son sens, de ce qu'on veut fabriquer de demain ni du manuel ni de
ce qu'on y enseigne. L'école est prise au piège entre un Président qui y a
placé, de force ; ses portraits dans les manuels scolaires, et un corps salarié
qui se comporte comme le reste des Algériens, face au baril et à la rente. Au
plus profond, cette affaire révèle une sourde mort : celle du sens. L'école ne
sert à rien. C'est-à-dire que nous ne ressentons pas le besoin de comprendre le
monde, le maîtriser, le dominer ou s'y défendre contre les dominations des
autres. Nous ne voulons pas savoir, fabriquer, maîtriser, transmettre ou
dessiner avec les générations qui arrivent. Nous ne voulons pas de demain mais
de l'après-demain qui est dans l'après mort. L'école n'est pas un lieu de
conquête du monde mais de domination idéologique des siens, pour le Régime et
ses conservateurs et de rente pour certains qui travaillent.
Cela
va heurter les esprits qui y sont encore en éveil, ceux qui se souviennent du
sens de leur mission et qui sacrifient années, efforts et santé dans l'école
algérienne, mais c'est, aussi, la vérité. L'Ecole est le sens que veut se
donner la vie d'un pays. Ceux qui y enseignent y viennent pour une mission :
transmettre et pas seulement encaisser. Et ce que nous transmettons,
aujourd'hui, de ce Président immobile, aux grévistes acharnés, c'est la
cupidité, la voracité ou l'aveuglement. Au plus profond, c'est l'instinct
filial qui y a pourri. Et si cette ministre est brisée, le suivant n'osera,
jamais, faire plus ou imaginer révolutionner l'école. Et on aura l'école qui
ressemble, le plus, à ce que nous sommes : des gens assis attendant la semoule,
palabrant sur « le complot juif », les ablutions, le genou nu de la femme, le
hallal/haram, la barbe et la légitimité historique et le souvenir tari de la
guerre de Libération, sous la régence d'Alger. Car on mesure la grandeur d'une
nation à l'école qu'elle offre à ses enfants. Et nous, nous ne voulons pas
avoir des enfants, les sauver, les voir aller plus loin que nous, les protéger
contre nos névroses et nos échecs. Cette énième grève offre à l'œil nu
l'essentiel : l'écolier algérien, ce rêve millénaire de nos ancêtres, sous les
colonisations, n'est plus le souci des grévistes. Et ces grévistes nous
ressemblent tous: on lit l'avenir dans la semoule, pas dans les étoiles.