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Lendemains incertains

par Pierre Morville

Elections israéliennes, Daesh en Syrie et en Irak, immense question sahélienne : beaucoup d'inquiétudes, peu de certitudes.

Le Chroniqueur de Paris est un téléphage maladif. Dans les quatre cent chaînes, ou beaucoup plus, qu'il reçoit, il a découvert par hasard et avec surprise, dans un « bouquet » consacré aux séries (sentimentales, policières, etc.), la chaine israélienne d'information « i24news », en français. Sans être objective, car il faut pour ce media d'abord défendre l'Etat d'Israël, la chaîne d'information prend, parfois, une certaine distance vis-à-vis des excès de l'actuel gouvernement. i24 news a été lancée en juillet 2013 par Patrick Drahi, un homme d'affaires franco-israélien qui possède en France Numéricâble (diffusion télé et téléphone par câble, où je suis abonné !) et qui vient d'acquérir le second opérateur de téléphonie en France, SFR. La chaîne i24 news qui bénéficie de trois rédactions, anglophone, francophone et arabophone, de 150 journalistes, est aujourd'hui interdite de diffusion en Israël même. Mystère?

C'est donc en regardant cette nouvelle chaîne d'information que l'on a pu tomber sur le discours in extenso de Benyamin Netanyahou devant les deux chambres du Congrès américain, à l'invitation du président républicain de la Chambre des représentants, John Boere. Alors que la Maison-Blanche n'avait pas été informé officiellement de ce discours devant les instances parlementaires américaines, le Premier ministre israélien entendait torpiller l'accord sur le nucléaire iranien, dont la négociation en cours devrait s'achever à la fin du mois de mars.

Le show électoral de Netanyahou devant le Congrès américain

Vouloir pacifier les relations avec l'Iran, notamment dans le contexte actuel du Moyen-Orient, avec les menaces de Dash (EI), paraitrait à l'évidence une bonne idée à mettre au crédit de Barack Obama. Un quart des parlementaires américains boycottèrent le discours du 1er ministre israélien mais, hélas, les autres applaudirent chaleureusement, avec « standing ovations » répétées, Benyamin Netanyahou qui venait devant la représentation élue critiquer la diplomatie de leur propre pays : «Israël a un différend avec l'administration américaine sur l'Iran», a-t-il martelé à plusieurs reprises, sous les applaudissements. Allez comprendre les élus américains? Pourtant, Barack Obama reste prudent, tout en estimant que des progrès avaient été accomplis lors des négociations sur le nucléaire, il a reconnu qu'il y avait encore des points de dissensions. « S'ils ne peuvent être résolus », a-t-il ajouté, alors, les Etats-Unis se retireront des négociations. « Si nous ne pouvons vérifier qu'ils ne vont pas obtenir une arme nucléaire, que nous aurons suffisamment de temps, s'ils trichent pour agir durant une période de transition (?) Si nous n'avons pas ce genre d'assurances, nous n'accepterons pas un accord », a précisé le président américain.

Des engagements jugés insuffisants pour Benyamin Netanyahu qui estime qu'on n'en demande pas assez à l'Iran. Je ne fais pas confiance aux inspections dans les régimes totalitaires, a-t-il insisté.

Le discours provocateur de Netanyahou devant le Congrès est au centre d'une vive polémique qui divise les Juifs américains eux-mêmes depuis quelques semaines. Le lobby juif américain J. Street a même lancé une campagne intitulée «Je suis Juif. Bibi ne parle pas pour moi!», dénonçant l'assertion de Netanyahou selon laquelle son discours devant le Congrès est au nom de tous les Juifs du monde. La pétition, qui a recueilli quelque 20.000 signatures, selon le New York Times, est destinée à montrer que, malgré le fait que le Premier ministre représente les Israéliens, «Il ne peut certainement pas prétendre parler au nom des Juifs aux Etats-Unis.»

La Maison-Blanche avait exprimé son exaspération de ne pas avoir été consultée en amont de l'invitation, et Barack Obama a souligné lundi l'inconvenance d'inviter un dirigeant étranger quelques semaines avant des élections, en l'occurrence les législatives israéliennes du 17 mars.

Et c'est bien là une des clés de l'invraisemblable show de Netanyahou devant le Congrès américain, majoritairement républicain, pour critiquer une initiative intelligente, du très, très prudent Obama, à deux ans de la retraite et qui jusque-là n'a pas brillé par son esprit d'initiative hardie depuis sa 1ère élection.

Election : le Parlement israélien a été dissous. Les Israéliens se rendront aux urnes le 17 mars prochain. Les derniers sondages ne donnent pas nécessairement Netanyahou gagnant. Une coalition du centre et de la gauche pourrait l'emporter : Tzipi Livni, leader du parti centriste Hatnua et Yitzhak Herzog, chef du parti travailliste, pourraient faire alliance aux législatives du 17 mars 2015 pour lui barrer la route. Pourquoi ? Les Israéliens subissent une sévère restriction de leur niveau de vie après la politique ultralibérale menée par le gouvernement Netanyahou. De nombreux citoyens de ce pays s'inquiètent de la prise de distance avec les Etats-Unis, leur principal, voire quasi unique soutien. Nombreux sont également ceux qui approuvent la recommandation américaine de la constitution de deux Etats, Israël et la Palestine, et la fin des implantations illégales et criminelles.

« L'actuel Premier ministre devrait se méfier de ce vent de liberté qui pourrait souffler sur le scrutin. Ils sont fatigués, les Israéliens. Fatigués de payer les alliances cassées par Benyamin Netanyahu pour satisfaire les pulsions irresponsables de quelques exaltés », écrit sur son Blog de Marianne, la journaliste Martine Goszlan, spécialiste du Moyen-Orient.

Oui, mais. Pour conserver son poste, le politicard Netanyahou est prêt à une alliance avec tous les partis extrémistes et religieux israéliens, plus radicaux que lui (plus extrémistes que lui ? Eh, oui, c'est possible !). Le 17 mars va donc constituer une date importante pour Israël et pour toute la région. 17 mars, élections israéliennes, 24 mars, clôture des négociations américano-iraniennes. Lendemains incertains.

La barbarie calculée de Daesh

L'immense majorité des pays consacrent beaucoup d'argent à chercher et préserver les trésors de leur propre histoire, sous leur propre sol. Après d'innombrables massacres et exécutions, Daesh s'attaque aux musées et sites archéologiques de l'Irak. Les représentants culturels irakiens en appellent à la coalition internationale pour agir contre la destruction de monuments historiques par l'EI. Cette demande intervient alors que l'EI a mené trois destructions de sites patrimoniaux en dix jours. La dernière aurait eu lieu dans la cité antique de Hatra, où l'EI aurait détruit au bulldozer des vestiges vieux de deux mille ans.

Barbarie ? Barbarie et calcul, répond Pierre Jean Luizard, l'un des meilleurs spécialistes français de l'Irak qui vient de publier un essai « Le piège Daesh » : « Dernières provocations en date : la destruction de statues assyriennes au musée de Mossoul et l'enlèvement de 220 chrétiens assyriens en Syrie et l'anéantissement du site antique de Nimrod. Avant cela, il y a eu la décapitation des coptes égyptiens en Libye, qui vise clairement à pousser la France et l'Italie à intervenir en Libye. Le piège est parfait : pousser à une réaction militaire dans l'urgence qui nous ferait apparaître comme les héritiers du colonialisme, poursuit le chercheur dans une interview donnée à Libération, ce dont on est sûr, c'est qu'ils ont tout pensé dans le registre de la provocation, de façon à élargir les fractures et à provoquer des réactions en chaîne. Les atteintes à des groupes ou des minorités dont on sait qu'elles ne peuvent que révulser les opinions occidentales ont un caractère systématique indéniable. Sachant que nos gouvernements sont très sensibles aux émotions populaires, rien n'a été oublié : l'Etat islamique attaque les minorités religieuses, réduit en esclavage des femmes et des enfants, commet des massacres de masse, des décapitations médiatisées? Il a une bonne connaissance de nos pires phobies et de la façon dont nos sociétés fonctionnent. Des Occidentaux professionnels des médias opèrent d'ailleurs dans leurs rangs ».

Les provocations de Daesh visent donc à accélérer une intervention militaire occidentale. Réussite possible ? Obama comme premier noir élu au poste de président des Etats-Unis, avait gagné avec la contrepartie exigée des électeurs américaines: ne jamais reproduire les catastrophes des interventions militaires en Afghanistan et en Irak.

Le vent de l'opinion publique est en train de changer : selon l'institut de sondage Pew Research, les Américains soutiennent en nombre croissant les frappes aériennes contre les positions de l'Etat islamique. 63?% les approuvent désormais, 30?% les désapprouvant. En octobre, ils étaient 57?% à approuver et 33?% à désapprouver. Mais il y a un autre changement notable?: 47?% des Américains se disent désormais favorables à l'envoi de troupes au sol en Irak (contre 49?% opposés) pour se battre contre les djihadistes.

Daesh devenant l'ennemi principal, les Etats-Unis deviennent beaucoup plus souples face aux deux « diables » d'hier qu'étaient l'Iran et la Syrie de Bachar al-Assad.

l'Iran chiite prend chaque jour un rôle de plus en plus important en Irak dans la lutte contre les djihadistes, qui se réclament de la version la plus radicale du sunnisme. Le général Qasem Soleimani, commandant des forces Al Qods, l'unité d'élite des Gardiens de la révolution iranienne, apporte dorénavant un appui puissant à l'armée et des milices chiites irakiennes pour la reprise de la ville irakienne de Tikrit actuellement aux mains de l'Etat Islamique. Avec un soutien implicite des USA.

Une intervention militaire iranienne en Irak poussera les sunnites dans les bras de Daesh, estime Pierre-Jean Luizard. Pour ce chercheur, un certain nombre d'Etats, souvent bâtis artificiellement par le colonialisme, sont aujourd'hui en phase d'implosion. Et ne parlons pas du terrorisme en Europe. Lendemains incertains?

Bravo aux services diplomatiques algériens !

L'interventionnisme belliqueux du sunnisme radical s'exerce depuis bien longtemps au Maghreb. Il faut d'autant plus souligner et saluer l'effort diplomatique récent de l'Etat algérien sur toute la grande zone sahélienne. Une réunion de dialogue s'est ouverte mardi à Alger entre des parties au conflit libyen. Elle réunira «une quinzaine de dirigeants politiques de premier plan, des chefs de partis et de grands militants connus sur la scène libyenne», a précisé Ramtane Lamamra, le ministre algérien des Affaires étrangères.

Il a dit espérer que les discussions aboutissent à «un consensus national sur la création d'un gouvernement d'union et sur les arrangements de sécurité» pour «permettre au pays d'évoluer et d'aller vers la Constitution, des élections dans le calme et la sérénité ». « L'Algérie est opposée à une intervention militaire dans ce pays et milite pour un dialogue entre tous les protagonistes de la crise et notamment les deux Parlements et gouvernements, les uns proches de milices islamistes et les autres reconnus par la communauté internationale », note Jeune Afrique

L'Algérie avait déjà déployé des capacités éminentes d'intercession dans le conflit interne malien. Le 1er mars, un accord de paix et de réconciliation a été signé à Alger entre le gouvernement malien et certains groupes du Nord-Mali. Le schéma prévoit la création d'Assemblées régionales élues au suffrage universel direct dans un délai de dix-huit mois ainsi qu'une « plus grande représentation des populations du Nord au sein des institutions nationales ». Une refonte de l'armée malienne doit avoir lieu pour intégrer des combattants des mouvements armés du Nord.

Problème : l'une des principales composantes de l'opposition au gouvernement, l'Azawad a demandé un temps de réflexion, jusqu'à la fin du mois de mars pour parapher le texte définitivement. Les différents groupes qui composent cette mouvance réclament un statut spécial pour le Nord-Mali.

Ces dernières heures, une attaque contre les forces de l'ONU ont eu lieu à Kidal, au Nord-Mali et un attentat a visé un restaurant à Bamako, capitale du pays. Lendemains incertains.