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La mort du pétrole est une chance d'avenir

par Sid-Lakhdar Boumédiene *

Ce beau pays qui a enfanté Mohammed Dib, Albert Camus ou Assia Djebar ne doit pas avoir peur de la disparition progressive de ce qui a fait son malheur. Cette substance noire n'a d'or que le rêve chimérique qu'elle a suscité. Il ne faut pas que les jeunes Algériens aient peur de la fin d'une rente illusoire mais, bien au contraire, se persuadent que leur avenir est dans la promesse créative du talent inné de toute jeunesse.

Le devoir de vérité impose de convaincre la jeune population que la baisse du prix du pétrole ne cessera pas, pour des raisons objectives, même si un rebond fragile est prévu avec la reprise économique mondiale qui s'annonce. Il est certain que les Algériens doivent se préparer à prendre le virage des réformes comportementales profondes pour une sortie de la rente addictive.

Si la situation paraît préoccupante pour les générations à venir, il ne faut pas pour autant s'en alarmer jusqu'à tétaniser les forces vives. Les chances de l'après pétrole sont fortes et l'optimisme doit guider leur esprit. D'une part parce que le pétrole restera une ressource économique substantielle pendant, encore, de très nombreuses années et d'autre part parce que les jeunes algériens ont tout intérêt à sortir de cette impasse qui ne les mène nulle part. C'est le chèque en blanc que signait le pétrole qui devient aujourd'hui impossible mais pas la promesse d'un avenir radieux qui est toujours consubstantielle à la jeunesse. En revanche, il est certain que si une dictature militaire doit toujours payer cash, je pressens qu'à l'avenir elle ait à peine de quoi astiquer la quincaillerie cousue sur les épaulettes de nos anciens maîtres. C'est une excellente nouvelle pour les générations futures.

La baisse du prix du pétrole est à somme nulle pour le monde dans son ensemble. Certains y gagnent, d'autres y perdent (c'est le cas de l'Algérie) mais aucune richesse supplémentaire ne se crée ni ne disparaît à l'échelle universelle. C'est dire combien de nombreux pays ne pleureront pas l'inversion des chances, cette fois-ci à leur avantage. Cette rente avait été attribuée (par un hasard géologique) majoritairement à ce qu'on appelait le tiers-monde, dans ma jeunesse. Elle a fait son malheur et a fait reculer les populations de plusieurs siècles, en arrière du point de vue intellectuel et démocratique. Le train de la première chance est passé, l'heure n'est plus au regret, il faut avancer maintenant vers une seconde chance. Il est urgent pour la jeunesse algérienne de s'en convaincre et d'entamer un virage fort et volontaire vers d'autres horizons de la pensée.

Un certain nombre d'experts proposent, à tour de bras, des solutions économiques dans les colonnes des quotidiens algériens. Ils sont, certainement, légitimes même si, souvent, j'ai l'impression de relire des cours d'économie générale où l'on ânonne des auteurs et des théories comme d'autres ânonnent des versets religieux en croyant à la puissance de leur capacité à détenir les secrets d'une science ésotérique. Je ne remets en cause aucune proposition économique, bien entendu, dès lors que les jeunes algériens comprennent que tout est possible s'ils libèrent leur esprit et prennent du recul intellectuel. L'économie n'est que le pouvoir généré par des êtres humains instruits et éduqués, libres de leur conscience. Tout le reste n'est que mots, techniques et théories qui ne valent que ce que les hommes et les femmes en font, rien de plus. L'être humain crée l'économie et la façonne à son image et non le contraire.

Patience, les solutions viendront, petit à petit, lorsqu'il ne restera que la matière grise comme seul recours disponible. C'est la plus ancienne et la plus fiable des matières premières qui trouvera, inéluctablement, des voies d'avenir car c'est comme cela que se sont construites les avancées économiques à travers les siècles. L'Algérie a des atouts considérables et une population jeune à forte potentialité si elle consentait à se délier de ses chaînes mentales. Aucun secteur de l'économie et de l'innovation n'est interdit à ceux qui sont forts de leur jeunesse et de leur esprit critique. L'économie n'est que cela et rien que cela.

La jeunesse algérienne a été si quotidiennement confrontée au rustre et au brutal, à la propagande et au délire mystique qu'elle ne peut imaginer que la seule valeur économique pérenne se trouve dans la force irrésistible de l'être humain, dans sa capacité intellectuelle et dans rien d'autre. Elle devra, pourtant, avoir la force de dompter ses craintes et de dévoiler son esprit, au sens propre comme au sens figuré, pour se libérer des geôles dans lesquelles son destin est emprisonné. Des geôles dont les murs se construisent, insidieusement, dans les esprits jusqu'à faire de l'être humain son propre geôlier, son propre tortionnaire.

Et l'un des points de départ de cette marche en avant, tout à fait symbolique mais tellement fondamental, est de considérer qu'une petite fille et un petit garçon sont des êtres humains égaux. Honte à un pays qui écrit dans ses lois, au vingt et unième siècle, que la femme est la moitié ou le tiers de l'homme quant à ses droits quotidiens et successoraux. La femme, «une demi-part», cette expression qui me fait glacer le sang d'horreur lorsque je la lis ou l'entends. Comment peut-on faire confiance aux seuls leviers économiques quand on se place dans un autre monde que celui de l'être humain civilisé ? Il n'y a manifestement aucune chance d'y parvenir.

Nous venons d'assister, ces derniers jours, à un débat parlementaire qui doit faire rougir de honte tout démocrate qui accepte de se prêter à cette mascarade sous prétexte qu'il est présent pour pouvoir faire changer les choses de l'intérieur. La discussion a porté sur le degré de liberté et le niveau des droits de la femme, comme si cela pouvait être discutable. Les autorités ont promis que le code de la famille allait être « révisé ». Je suppose que dans leur très grande mansuétude, il sera accepté que l'homme algérien ne pourra gifler son épouse que de la main droite, être dans l'obligation de faire des ablutions et énoncer des incantations avant de pouvoir la battre. Le fouet devant impérativement attester de sa conformité à une norme réglementaire légale et bien s'assurer que si le divorce se déclare toujours par une formulation trois fois répétée, il faudra un écrit et un recommandé avec accusé de réception, sous peine de nullité juridique. Tant que l'on est dans l'abjection intellectuelle et le déni de toute humanité, pourquoi ne pas innover dans l'absurde, la marge est grande. La dernière fois que mes anciens camarades ont participé à ce simulacre de démocratie, dans une enceinte parlementaire, la seule certitude de changement que je leur ai vu apporter, c'est celle de la fin de leur indigence financière. Il est vrai que leur situation dans l'opposition lointaine n'était pas florissante et que le verbe politique ne faisait pas vivre. Mais j'atteste qu'ils avaient, à ce moment précis et ancien de leur combat, de la dignité et des positions intellectuelles courageuses que je ne peux renier.

C'est ainsi qu'il faudra franchir l'obstacle le plus difficile consistant au courage de la liberté de conscience quelle que soit la vérité collective dans laquelle sont emmurés les citoyens. La jeunesse doit considérer que la seule croyance qui vaille est de parvenir à se construire en un citoyen libre et éduqué et que toute autre voie mystique n'est qu'au service de ceux qui veulent abrutir et dominer les autres. Libre à quiconque de penser et de croire à ce qu'il veut et, pourquoi pas, ne croire qu'au réel, à l'être humain et à son intelligence. Tous les charlatans du monde peuvent assassiner autant qu'ils veulent ou diriger éternellement des gouvernements, ils perdent leur temps car, au final, la destinée de l'Homme (et donc de la femme également) n'est pas de retourner à l'état animal et barbare. Le choix de la croyance ou de l'athéisme n'appartient qu'à l'être humain qui l'exerce dans sa profonde liberté, sans qu'aucune autorité ne vienne s'en mêler. Toutes les considérations économiques ne seront que les conséquences collatérales du grand bond de l'esprit que devront faire les jeunes algériens.

Puis enfin, il faut cesser de classer les êtres humains dans un rapport ostracisant du « eux » et du «nous». Il n'y a pas d'avenir pour ce pays si les communautés linguistiques et culturelles ne se retroussent pas les manches, solidairement, pour faire face au défi de l'après pétrole. Qu'importe la langue, le costume ou la manière de saucer les plats, ce qui compte est la matière grise des êtres humains, leurs rêves et leurs ambitions communes. Les citoyens berbérophones doivent recouvrer leurs droits et en jouir de la façon dont ils le désirent, un point c'est tout. Tout le pétrole du monde n'aurait suffi à faire du contraire un progrès de civilisation.

Les réflexions économiques sont certainement nécessaires et bienvenues mais aucune d'entre elles ne peut être viable si la jeunesse de ce pays ne se débarrasse pas du charlatanisme nationalo-théocratique au risque de se fracasser contre un mur. Lorsqu'il y a une inondation dans un appartement, le premier acte d'urgence n'est pas d'éponger mais de fermer le robinet. Ce robinet de l'obscurantisme politique et théocratique déverse, à flots continus, son poison et les Algériens s'épuiseraient à l'éponger, jusqu'à l'écroulement de l'immeuble. Il faut, définitivement, se débarrasser des tabous ou rester dans son coin et attendre que le prix du baril remonte par je ne sais quelle retombée du ciel. Je conseille à ceux qui choisiraient cette seconde solution de s'armer de patience car ils risquent d'attendre longtemps.

Il ne faut pas avoir peur de la disparition de ce fléau dont la couleur porte si bien son qualificatif comme fut bien nommée la peste. Je voudrais, tellement, toucher le cœur des plus jeunes qui ont une crainte pour leur avenir et leur dire combien nous étions heureux, forts et optimistes dans notre jeunesse algérienne par le seul fait de nous éduquer et de façonner des rêves. Ils en ont aujourd'hui toute l'opportunité si on les sortait de cette impasse pétrolière qui a nourri des passions animales et annihilé toute velléité d'un esprit libre. C'est un mensonge d'affirmer que le pétrole nous a donné notre chance. Il nous a brisés, a détruit notre avenir et nous a plongés dans un retour aux pires années de la brutalité moyenâgeuse. Le pétrole en est directement responsable car il a permis de financer une gigantesque catastrophe humaine faite de mirages et de corruption des esprits.

Que la jeunesse se libère de son voile qui lui cache la vue. Et même si j'ai du mal à penser qu'il soit différent, peu importe, au fond, celui qui est sur la tête car c'est le premier qui est cause de catastrophes.

* Enseignant