Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Merci monsieur le Président !

par Cherif Ali

Le train de vie et le salaire des présidents font l'objet de par le monde d'interminables débats, une partie des citoyens estimant que les avantages matériels de ceux qui sont à la tête de l'Etat les rendent complètement déconnectés de la vie quotidienne.

Mais, s'il y a un pays où ce débat n'a pas lieu d'être, c'est bien l'Uruguay et son président José Mujica Cordanon, surnommé «Pépé Mujica», élu président de la République 29 novembre 2009 avec 52,9% des voix. Il n'est pas un personnage comme les autres, car il s'est singularisé, déjà, par une indépendance vis-à-vis de l'addiction à l'argent, contrairement à l'immense majorité de tous les autres potentats, notamment arabes. Il a également refusé de changer de style de vie, préférant rester dans sa ferme située en banlieue de Montevideo plutôt que de s'installer dans le palais présidentiel. Il a fait le choix de vivre avec le salaire mensuel de son pays, l'équivalent de 680 euros par mois et fait, également, don de 90% du salaire qu'il reçoit pour sa fonction de président de la République et commandant en chef de l'armée, soit 9300 euros, à des organisations caritatives d'aides au logement et d'éducation.

Peu porté sur les limousines et autres bolides, ce président populaire, comme il n'existe nulle part ailleurs, se déplace dans sa Coccinelle Volkswagen achetée en 1987, sauf pour les déplacements officiels. Sur la déclaration de patrimoine, ses seules possessions, outre sa vieille voiture, sont la ferme dans laquelle il vit et qui appartient à sa femme ainsi que deux tracteurs et du matériel agricole.

Il ne possède ni dettes, ni comptes bancaires et il vient de quitter le pouvoir à l'issue de son mandat au grand regret de son peuple qui a scandé à son intention : « Gracias Pépé, merci monsieur le président ! ».

Tout comme lui, mais sur un autre continent, Madiba restera pour l'éternité celui qui débarrassa l'Afrique du Sud de l'infâme politique de l'apartheid ; à la fin de son « unique » mandat il estima qu'il était temps pour lui de se retirer et de passer le témoin à Thabo M'béké. A sa mort, les Sud-Africains, désormais réunis, lui ont dit, en chantant : «merci Madiba ! ».

Les potentats d'Afrique et du monde arabe rêvent d'une carrière à « la Mandela » ou à « la Pépé Mujica ». Ils pensent que l'histoire retiendra leurs noms en « messies » qu'ils n'étaient pas en fait !

Et ce qui est rapporté ci-dessous n'est qu'un résumé très succinct des présidents, de quelques-uns parmi eux, qui ont connu des fortunes diverses lorsqu'ils étaient à la barre de leur pays respectif.

IL Y A TOUT D'ABORD CEUX QUI, MALADES, N'ONT PU TERMINER LEUR MANDAT :

-George Pompidou, président de la République Française est décédé en avril 1974 pendant son premier mandat, de ce qu'on appelle pudiquement, une longue maladie.

-Félix Houphouët-Boigny, le premier président de la Côte-D'ivoire est décédé le 7 décembre 1993. Il était à la tête du pays depuis de nombreuses années déjà.

-Le roi Hassen 2 du Maroc, décédé le 23 juillet 1999, en plein règne.

-Le général Gnassingbé Eyadema du Togo, mort le 5 février 2005, alors qu'il était au pouvoir.

-Lansana Conté de la Guinée. Conakry ne terminera pas son mandat et décède le 22 décembre 2008.

-Levy Mwanawassa qui présidait aux destinées de la Zambie, décède le 19 août 2008, à 59 ans. Il était au pouvoir depuis 2002.

-Omar Bongo Ondimba du Gabon meurt le 8 juin 2009 alors qu'il présidait encore aux destinées de son pays.

-Umaru Musa Yar Adua du Nigeria, meurt le 5 mai 2010 en plein mandat de président de la République. Il avait 59 ans lui aussi.

-Malam Bacai Samhà de Guinée-Bissau, décède d'une maladie en 2009 en plein mandat.

-Yasser Arafat et Houari Boumediene eux aussi morts prématurément, en pleine force de l'âge.

A ce jour, la maladie est rarement prise en compte comme un facteur déterminant pour confier des responsabilités à tout homme politique, a fortiori candidat à l'élection présidentielle. Aujourd'hui, c'est le débat de l'heure, beaucoup plus de personnes souhaitent, mais en peine perdue dans nos contrées d'ici-bas, que les mandats des chefs d'Etat soient désormais limités à deux et que les candidats à la magistrature suprême prouvent, certificat à l'appui, qu'ils sont en parfaite santé.

IL Y A ENSUITE CEUX, DONT LE MANDAT A ETE ENTACHE DE SCANDALE ET TERNI PAR DES POURSUITES ET DES CONDAMNATIONS JUDICIAIRES :

-Félix Faure, président de la République Française est mort, victime d'une crise d'apoplexie dans les bras de sa maîtresse qu'il recevait dans un salon à l'Elysée.

-Philipe Pétain avait été jugé en tant qu'ex-chef d'Etat français et condamné à mort pour haute trahison, une peine commuée à un emprisonnement à perpétuité.

-Carlos Menem, au pouvoir en Argentine de 199-1999, a été condamné pour trafic d'armes à destination de l'Equateur et de la Croatie. Sénateur, il reste cependant protégé jusqu'à la fin de son mandat en 2017.

-Moshé Katsav, président israélien, a été condamné pour viol, harcèlement sexuel, obstruction à la justice et menace contre témoins.

-Ezer Weizman, son successeur, a été contraint lui aussi de démissionner en 2000, trois ans avant l'expiration de son second mandat, à la suite d'un scandale de corruption.

-Richard Nixon, président des USA, sera victime d'une procédure «d'impeachment » qui le forcera à démissionner en août 1974, suite à l'affaire du « Watergate ».

-Charles Taylor, président de la Sierra Leone a été condamné à 50 ans de prison, le TPI l'estimant responsable de la guerre civile qui a fait près de 150.000 morts.

-Bill Clinton, président des USA dont le mandat a été terni par le scandale du Monicagate relatif à l'affaire Lewinsky (1999).

-Mohamed Moubarak, 84 ans emporté par le printemps arabe.

-Zine El Abidine Ben Ali, président déchu, «dégagé » par la rue tunisienne a fui son pays en emportant les bijoux de la République, sans attendre les « remerciements » des Tunisiens qui, pour le coup, ont écrit une page d'histoire mémorable pour leur pays.

-Christian Wulff, président allemand, démissionné de son poste le 17 décembre 2012 car soupçonné de «prévarication».

IL Y A, AUSSI, CEUX QUI N'ONT PAS SU METTRE UN TERME A LEUR CARRIERE DE DICTATEURS ET QUI Y ONT LAISSE LEUR VIE !

-Mussolini, l'Italien, mort suspendu comme une bête à l'équarrissage.

-Najibullah, le président afghan, a été pendu et son cadavre souillé.

-Ali Bhutto, quatrième président de la République Islamique du Pakistan, victime d'un coup d'Etat, condamné à mort « pour conspiration de meurtre », il est pendu le 4 avril 1979.

-Saddam Hussein, l'Irakien, arrêté dans une cave est jugé un an plus tard par un tribunal spécial irakien qui le déclare coupable de génocide, crime contre l'humanité et crime de guerre. Il est exécuté par pendaison le 30 décembre 2006 lors de la célébration de l'aïd-el-kébir, jour sacré pour les musulmans.

-Kadhafi, président de la Libye, ensanglanté, bouffi, dénudé, brutalisé par des mains vengeresses, achevé enfin et enterré, anonymement, dans un coin perdu, à jamais, dans le désert libyen.

La chute des dictateurs est souvent pénible et la mémoire populaire ne retient d'eux, en définitive, que les images de leur agonie ou de leur exécution. La violence qui leur est appliquée n'est que le choc en retour de leur incroyable brutalité quand ils dominaient le pays et asservissaient le peuple.

Il y a, enfin, ce Robert Mugabé qui vient de fêter ses 91 ans et dont l'extravagance des fêtes d'anniversaire sont un sujet de controverse annuelle au Zimbabwe, alors que le pays connaît des graves difficultés économiques. Il faut dire que ce doyen des chefs d'Etat africains ne veut pas lâcher le pouvoir, s'y cramponnant depuis 1987, au grand dam de son peuple qui est contraint de le « remercier » pour son sacrifice.

Il s'inscrit, bien évidemment, aux antipodes de José Mujica de l'Uruguay et de la foule qui scande son nom à coup de « gracias pépé » au moment même où il s'apprêtait ce 28 février 2015 à quitter le pouvoir. Fidèle à son style, il est arrivé dans sa vieille coccinelle bleue ciel, au siège de la présidence à Montevideo, en costume sans cravate, pour signer les passations avec son successeur, Vasquez Tabaré, sous les vivats du peuple reconnaissant car, faut-il le dire, autant le rentrant que le sortant ont constitué des bons gouvernements, en regardant vers les plus pauvres et notamment ceux qui ont eu le plus besoin.

C'est ce désintéressement et ce détachement du pouvoir qui interpellent et laissent admiratifs les citoyens d'ici et d'ailleurs ! Et le « gracias pépé » prend ici tout son sens ; ça n'a pas été le cas de Blaise Campaoré, qui a été « démissionné » après 27 ans de dictature et sur pression de la rue, après avoir tenté, en vain, de « tripatouiller » la constitution du pays, pour s'offrir un « énième mandat ». Le mandat de trop ! Le peuple, l'a « remercié » en piétinant son portrait.

En Algérie, Mohamed Boudiaf aurait pu être l'alter ego de « Pépé Mujica », lui qui souhaitait vivre simplement son mandat de président. Il avait refusé, par exemple, de porter des costumes de marque « Smalto » leur préférant ceux de « sonitex ». Il avait juré de débarrasser le pays de toutes les maffias : il avait été assassiné quelques mois à peine de son investiture. Il a été pleuré ! Encore aujourd'hui, le peuple se souvient de lui et le « remercie » des brefs moments d'espoir qu'il lui a donnés.

On dit aussi que Houari Boumediene mourut sans rien, son héritage consistant en un compte en banque où il y avait, à peine, 600 dinars. Les gens se souviennent encore de ses discours, notamment celui du 24 février 1971 ! Beaucoup en viennent à regretter son époque et n'hésitent pas, à titre posthume, à le « remercier » pour les moments de fierté qu'il leur à procurés.

Aujourd'hui, pour l'auteur du fameux et non moins mémorable discours de Sétif de 2012, l'exercice présidentiel semble se compliquer avec cette affaire de gaz de schiste qui cache, en fait, une grande détresse économique et sociale des populations du grand Sud et qui n'en finit pas de soulever les passions. Le risque est grand, écrivait un chroniqueur, affirmant « qu'il suffit d'un murmure pour qu'Al-Jazeera dépoussière ses studios et tourne ses scènes favorites d'un soulèvement en 3D à partir d'In Salah, ou toute autre partie du territoire ».

Et le décor commence à se mettre en place, avec déjà, l'entrée en scène d'un certain José Bové, député français au Parlement européen, altermondialiste connu pour son combat contre les OGM, qui a déclaré au journal électronique TSA : « (?) avec la répression qu'il y a eu ces dernières 48 heures à In Salah, il faudrait peut-être qu'on passe à un stade supérieur (?) ».

A moins qu'Abdelaziz Bouteflika, celui-là même qui refuse d'être considéré comme un trois-quart de président, n'ordonne à Sellal d'ouvrir, dans la foulée du code de la famille, le chantier de la révision de la loi sur les hydrocarbures et de soumettre cette question de gaz de schiste qui taraude l'esprit de nos concitoyens d'In Salah et d'ailleurs à un large débat populaire !

A ce moment-là, on pourra lui dire : « merci, monsieur le Président ! ».