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S'ils ne veulent pas manger du pain, donnez-leur des gâteaux

par Moncef Wafi

Déjà pris en otage par une caste bouffeuse de richesse, les Algériens doivent faire face, chaque jour, à une prise d'otage perpétrée de l'intérieur des murs. D'autres Algériens, pour faire valoir leurs droits «légitimes», prennent tout un peuple en otage à chaque fois qu'ils estiment que l'Etat leur tourne le dos ou ne veut pas revoir leurs fiches de paie. Les boulangers, pour ne citer que ceux-là, se sont mis en évidence en refusant de servir le pain à de pauvres algériens qui, parfois, n'ont pas d'autres plats de résistance à se mettre sous la dent. Les boulangers remettent en question le prix d'une baguette de pain rachitique, qui respecte rarement son poids réglementaire, et demandent son augmentation à 12 dinars. Ils dénoncent également la concurrence déloyale des revendeurs non agréés de pain qu'ils approvisionnent, pourtant, eux mêmes. Ces boulangers refusent une farine spéciale pain préférant préparer des gâteaux avec leurs parts de farine subventionnée. Et pour mettre les pouvoirs publics dos au mur, ils baissent leurs rideaux, tout en prenant soin de cuire quelques fournées, la veille, pour les revendeurs qui les cèdent, eux, à 20 voire 30 DA la baguette de pain. C'est tout le paradoxe algérien nourri à la mamelle de l'assistanat public. Un peuple rendu attentiste, tendant la main pour un travail, un toit, un mariage ou un effacement de dettes, mimant ses responsables incapables de trouver des solutions aux problèmes du pays, se contentant de puiser dans le trésor public pour distribuer des prêts et des subventions. Jusqu'à quand ces bricolages grossiers qui consistent à créer des sigles barbares pour acheter une paix sociale précaire qui risque de tout emporter sur son passage quand le temps des règlements de compte viendra. Alors, que faire ? Emprisonner tous les boulangers qui préfèrent la pâtisserie au pain, libérer le prix de la baguette quitte à ce qu'elle atteigne 50 DA et assister, en pyromane à des émeutes éponymes ou obliger les Algériens à suivre un régime alimentaire en se passant des 15 baguettes de pain quotidiennes qu'ils gaspillent quotidiennement. En ces temps d'occupation du sol par les protestataires, des communiqués et des contre-manifestations, des haussements de ton comme celui des sourcils, des malentendus et des sous-entendus, en ces temps d'immolations inutiles, des brûlés partis en cendres et des marches arrières, les boulangers en remettent une couche. De légitimes, il n'y a pas à douter de leurs demandes, mais la façon dont ils se sont pris pour faire entendre leurs voix est ce qu'il y a lieu simplement d'appeler la manière algérienne. Celle du pourrissement, du tout ou rien, de la surenchère et du jusqu'au-boutisme qui ont mené l'Algérie au bord du précipice et qui continuent à lui donner des petites tapes dans le dos. C'est à se demander en quoi le pain des Algériens est responsable des problèmes socioprofessionnels de ces boulangers et si la menace d'une table sans pain pouvait mener à quelques résultats en leur faveur. A méditer.