Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Affaire Cahuzac : tremblement de terre pour Hollande

par Pierre Morville

Dans un climat de récession, un ministre du Budget qui triche et qui ment n'est pas une bonne affaire pour le nouveau président français

L'affaire Cahuzac n'en finit pas de produire ses effets. L'ancien ministre du budget avait été contraint à la démission. Le site d'information Mediapart avait en effet révélé l'existence d'un compte bancaire secret en Suisse, déménagé ensuite à Singapour. Le titulaire de ce compte, Jérome Cahuzac, n'était pas moins que le ministre chargé de faire appliquer dans toute sa sévérité, la politique fiscale déterminée par le gouvernement. L'austère gardien du fisc, qui tançait publiquement les particuliers et les entreprises qui voulaient échapper à l'Impôt, ou qui seulement tardaient à régler les douloureuses, avait un magot planqué dans une banque off-shore ! Le scandale est d'autant plus retentissant que François Hollande, deuxième président de gauche depuis l'avènement de la Vème République française, avait fait de la rigueur budgétaire, la seule voie de sortie possible pour sortir de la récession actuelle. Depuis, son gouvernement mouline quotidiennement de nouveaux impôts, des taxes de circonstances, des prélèvements divers ou des rabiotages d'allocations ou de pensions, le tout en réduisant le plus possible les dépenses publiques. L'équilibre du budget est en soi un objectif vertueux, mais la recherche d'un retour rapide à l'équilibre, l'état ne dépense pas plus que ce qu'il a perçu, est difficile et dangereux en période de très faible croissance, notamment quand le chômage explose. Les contribuables ardemment sollicités, consomment moins, l'Etat qui tire un tiers du PIB, dépense moins: l'austérité décourage le retour de la croissance et du coup, pénalise les rentrée fiscales. Celles-ci seront moindres en 2013 qu'elles l'ont été en 2012 !

Opération «transparence»

Les keynésiens prônent depuis près d'un siècle la théorie contraire : en période de récession, il faut au contraire accroître la dépense publique. Mais Keynes est, paraît-il, ringard et le « libéralisme économique » est lui toujours vénéré même si son application dogmatique nous fait traverser depuis 2008, la pire crise économique que la planète ait connue depuis le krach de 1929. Dans la zone Euro, cette orientation d'austérité générale et des petites économies qui n'en sont pas, est imposée par l'Allemagne et un ou deux autres états, comme les Pays-Bas, qui ont intérêt à un euro surévalué. Les autres pays, notamment dans l'Europe du Sud en paient des larmes de sang?

Leurs populations inquiètes commencent à douter, non plus seulement de la politique menée par telle ou telle majorité politique, quelle que soit sa couleur, mais de l'efficacité de la classe politique dans son ensemble. Cette constations sourde renforce les extrêmes de l'échiquier, à l'extrême droite comme à l'extrême gauche, violemment dénoncées comme « populistes » par l'establishment politique. Cette dernière critique a trois limites importantes : c'est un peu comme quand on accuse le thermomètre d'être le coupable de la maladie ; la liberté d'expression (même erronée) est une exigence démocratique ; la classe politique européenne devrait s'interroger sur la distance grandissante, partout constatée en Europe, entre le Peuple et ses représentants élus.

L'affaire Cahuzac, tombe d'autant plus mal que beaucoup, à gauche comme à droite, parmi les économistes comme parmi les élus, commencent à douter à haute voix de l'efficacité d'une telle orientation économique.

François Hollande est honnête. Il semble sincèrement convaincu de la justesse de son orientation économique et surtout, il doit bien mesurer les rapports de force intra-européens. Il manque de chance et il joue certainement ces jours-ci, faute de résultats économiques probants à venir, son éventuelle réélection.

Il a donc dû réagir avec force à ce climat délétère. Cahuzac a été viré vite-fait, et le Président a exigé que tous ses ministres rendent publics leur patrimoine, souhaitant que députés, sénateurs et autres grands élus face de même. Cette opération de transparence a été lança rapidement. Aura-elle dans un premier temps, des effets positifs dans l'opinion publique ? Laissons détailler Le Point: Ces déclarations font apparaître huit ministres «millionnaires », Laurent Fabius, Michèle Delaunay, Jean-Marc Ayrault, Michel Sapin, Marisol Touraine, Victorin Lurel, Valérie Fourneyron et George Pau-Langevin.

L'ex-Premier ministre, Laurent Fabius (Affaires étrangères) déclare ainsi des biens immobiliers d'une valeur supérieure au total à 3 millions d'euros. Michèle Delaunay (Personnes âgées), ancienne cancérologue et chef de clinique, dispose d'un patrimoine de 5,4 millions d'euros, à 80% des biens immobiliers. Dans un entretien, la ministre confie vivre cette publication comme «une épreuve». «C'est un patrimoine très important. Et difficilement compréhensible de la majorité des Français qui sont dans la difficulté », dit Michèle Delaunay.

Le 1er MinistreJean-Marc Ayrault possède lui deux maisons, une en Loire-Atlantique et une dans le Morbihan, ainsi qu'un garage à Nantes d'un coût de 20.000 euros. Propriétaire d'un combi Volkswagen acheté en 1988, évalué à 1.000 euros, le chef du gouvernement a aussi contracté plusieurs crédits à la consommation.

Quant à Michel Sapin (Travail), il a déclaré plusieurs maisons et appartements à Paris, sur l'Ile d'Yeu ou encore à Argenton-sur-Creuse, son fief familial. La garde des Sceaux, Christiane Taubira, dispose de plusieurs biens immobiliers en Guyane et de trois vélos. Son collègue de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, a pour sa part deux maisons, ainsi qu'une moto BMW évaluée à 300 euros. Manuel Valls (Intérieur) ne dispose que de 108,71 euros sur son compte courant à la BNP. Beaucoup de ministres ont des patrimoines de classes moyennes françaises en fin de carrière.

François Hollande est propriétaire d'une résidence de 130 m2 à Mougins, dans les Alpes-Maritimes, évaluée à 800.000 euros. Il est en revanche locataire de son appartement dans le XVe arrondissement de Paris. Il affirme ne détenir aucune valeur mobilière (actions cotées ou non, placements...) ni aucun compte à l'étranger. Il n'a pas de collection d'objets d'art, de bijoux et ne déclare pas le moindre véhicule.

A la date de la déclaration, il a fait état des sommes déposées sur trois comptes courants ainsi que d'un contrat d'assurance-vie, le tout représentant environ 10.000 euros.

L'ENA fabrique des élites

Il n'y a donc dans cette affaire rien de très scandaleux : il y a des ministres riches, car ils l'étaient avant d'être ministres et des ministres qui ont des conditions de vie plus modestes. Et il faut le reconnaître, le revenu des grands élus de la Nation est infiniment moindre que celui des grands patrons du CAC 40, l'indice boursier qui permet de juger les 40 entreprises françaises?

Au début des années 2000, l'auteur de ces lignes avait calculé que l'espérance d'exercice de son mandat était en moyenne de 1,4 mandat pour l'ensemble des députés. Un très grand nombre de ministres ne l'ont été qu'une fois.

Ces déclarations de patrimoine, ces chiffres sociologiquement rassurants, on est élu ou politiquement responsable que de façon statistiquement temporaire, suffiront-ils à réduire la méfiance croissante des électeurs vis-à-vis de la classe politique ? Pas complètement. Tout d'abord parce qu'un ministre fraudeur comme Jérome Cahuzac aurait mentit s'il avait du déclarer son patrimoine réel, dont un compte bancaire off-shore, paraît-il nanti de 15 millions d'Euros. Ensuite parce que la représentation parlementaire est loin de représenter sociologiquement la réalité française. Comme il est souvent risqué d'être réélu député, les fonctionnaires sont très largement présents sur les bancs de l'Assemblée nationale : ils sont les seuls à retrouver leur travail en cas d'échec électoral. Sont également surreprésentées des professions libérales comme les médecins ou les avocats qui peuvent mener de front une double activité, politique et professionnelle. On compte très peu de chefs d'entreprises, notamment de PME. Et l'on ne trouve qu'un seul ouvrier parmi les 750 députés et sénateurs?

Enfin, et c'est ce qui est peut-être le plus préoccupant, nos élites sortent à peu de chose près, d'un même moule. Grands commis de l'état, ministres ou préfets, députés ou sénateurs réputés, nombre de patrons de grandes entreprises ont le plus souvent été formés à l'ENA, l'Ecole normale de l'Administration, la plus grande école prestigieuse française. Mais cela est également vrai pour les promotions issues de l'école polytechnique et d'HEC. Que l'on soit de droite ou de gauche, on se connaît, on se tutoie et on a été souvent formé aux mêmes modèles. Il n'est pas non plus rare qu'un énarque passe de la direction d'un grand service ministériel à la direction d'une entreprise privée et vice-versa?

Nos élites ne sont guère diversifiées : formation initiales identiques, esprit de corps, parfois connivence, refus des intrus, tout cela crée une distance sensible entre les grands élus et grands commis de l'état et? le petit peuple. En tous cas, c'est comme cela que ce dernier le ressent.

La parité voulue entre les hommes et les femmes élues a ouvert une première fenêtre salutaire. Malgré de très fortes difficultés, on commence à voir également des élus ou des responsables de l'état, issus de l'immigration. C'est largement insuffisant mais c'est un signal positif. Mais en matière de mixité sociale, la représentation parlementaire a d'énormes progrès à réaliser.

Un pays heureusement très contradictoire

Le « cher et vieux pays » pour reprendre l'appellation ironiquement émue de Charles de Gaulle, est heureusement très contradictoire, voire parfois légèrement schizophrénique. Les Français se méfient des politiciens, mais ils adorent « leurs » hommes politiques. Les Français héritent en effet d'une double tradition, monarchique et républicaine, voire révolutionnaire. On voit bien la contradiction de ces multiples cultures sur le regard porté sur le Président de la République par ses concitoyens. Côté tradition monarchique, le Chef de l'Etat doit effectivement apparaître comme un chef, au-dessus des partis, un brin autoritaire, lointain? Côté de républicain, on traque le moindre signe qui désignerait un monarque, le tyran en germe ! Mais les électeurs détestent chez le Président, la familiarité feinte ou réelle, qu'il s'agisse de l'accordéon chez Giscard, le « casse-toi, pauvre con ! » de Sarkozy ou même la familiarité trop bon enfant de l'actuel locataire de l'Elysée. Pas facile?

Les Français se méfient de tous les élus politiciens mais ils adorent le plus souvent « leurs » élus. Emblématiques de ce ressenti peu cohérent, les maires. Qu'on est voté pour lui on non, le maire bénéficie en général d'une image extrêmement positive dans l'opinion. Le mandat est souvent mal rémunéré dans les petites communes, mais un maire a statistiquement la possibilité de remplir plusieurs mandats et il bénéficie d'une considération que peuvent lui envier le député ou le sous-préfet du coin, malgré des pouvoirs infiniment supérieurs.

Rapprocher, malgré tout, les élus du peuple reste un objectif politique essentiel. Quelques mesures sont à l'étude. Depuis longtemps.

Interdire ainsi les doubles ou triples mandats serait une première mesure salutaire : il n'est pas légitime d'être à la fois maire, député, responsable d'innombrables organismes publics ou associations. Mais les élus ne sont pas très favorables à l'interdiction de ces cumuls. Garantir à l'élu en contrepartie, un véritable statut avec une rémunération significative, équivalente à tout le moins au salaire d'un cadre supérieur dans le privé, avec des réelles garanties de retour à un emploi en cas d'échec électoral. Là, ce sont les gouvernements et surtout le Ministère de l'économie qui font la tronche.

Réduire le nombre des élus ? La France est championne du monde au nombre d'élus au KM2. Ils sont quelque six cent mille en France, élus à tous les niveaux géographiques : commune, canton, département, région, pays. Et on rajoute encore des couches nouvelles aux mille-feuilles. On a vu ainsi récemment apparaître les « communautés de communes », les « Métropoles » et même les « Pays », nourrissant d'abondantes bureaucrates locales, sans nécessairement rajouter une efficacité nouvelle.

Les électeurs souhaitent-ils une simplification de ce fourmillement administratif local. Pas du tout ! Les Français adorent « leurs élus à eux ». En Alsace, petite région (Conseil régional) composée de deux départements (conseils généraux), les élus de droite et de gauche avaient proposé un referendum de bon sens regroupant dans une même entité les deux conseils généraux et le Conseil régional. Les Alsaciens ont refusé qu'on les prive de leurs vieilles institutions. Contre qui râler, après ?