«
Le problème, c'est qu'on n'a plus d'histoire à nous raconter à nous-mêmes». C'est
la conclusion extrêmement juste d'un ami sur le fait algérien. Une histoire
passée, celle d'autrefois, on en a : elle est sublime, dure, elle a bien
commencé mais est tombée dans la routine quand les martyrs ont quitté la salle
et laissé la place à des figurants. On en connaît les héros, le monde entier en
était spectateur et il y avait beaucoup d'actions. Mais aujourd'hui ? Après
avoir chassé le dernier colon ? C'est quoi l'histoire qu'on peut se raconter ? Le
mythe qui donne du sens au pain ou à l'accouchement ? Tout le monde le sait : on
n'a pas de héros et de premier rôle, les spectateurs s'ennuient par millions, le
dialogue est faussé, les répliques se font avec des pierres et ce n'est pas une
histoire d'amour entre le peuple et lui-même. D'ailleurs, même la salle est
vide : l'Algérie a tenté de revenir sur la scène internationale mais elle n'a
plus de rôle, n'est plus belle et ne joue pas bien. Une histoire nationale ne
suffit pas pour garder le charme d'un peuple, il lui faut aussi une histoire
présente. Le second tome de la naissance. Entre 62 et 80, on avait plus ou
moins remâché le chewing-gum du développement algérien et de la prospérité pour
tous, mais après, on a recraché, avec des milliers de morts. Le FIS a tenté de
vendre une histoire qui finit après la mort mais elle est entrée en concurrence
avec une histoire du FLN qui commence avant la naissance. Puis, il y a eu
l'histoire d'un peuple debout contre le terrorisme, sauf qu'il y a eu peu de
survivants et beaucoup de morts. C'était massacre à la tronçonneuse et pas « la
bataille d'Alger ». Et après. Il y a eu Bouteflika, histoire
d'un remake avec Bouteflika dans le rôle de
Boumediene mais ça n'a pas marché car le peuple est devenu jeune et ne se
souvient pas. Puis ? Puis, on est tombé dans l'ennui. Avec des milliers
d'antennes paraboliques. Il y a eu même une tentative pour récupérer la balle
de Novembre 54 sous la forme du ballon de foot 2010, mais cela est vite retombé.
Les Algériens regardent la lune ou la télé, tournoient dans leurs mémoires, chassent
les cheveux imaginaires, mais n'ont pas d'histoire. Ce manque d'histoire
s'appelle chez les spécialistes « la légitimité », le mythe fondateur, le sens
collectif, la NASA
pour marcher dans le cosmos ou le projet national, mais c'est la même chose. Le
problème est d'ailleurs presque insoluble dans l'état actuel des choses : les
vieux gouvernent et ne rêvent pas et les jeunes rêvent mais ne gouvernent pas. Les
uns n'ont que de la mémoire, les autres n'ont même pas encore des photos
souvenirs. Le règne de Bouteflika est marqué par la
nostalgie et la rediffusion. Il n'a pas donc fonctionné comme mythe de relance,
sauf pour l'autobiographie.
Question
donc : comment inventer une histoire pour un peuple ? C'est le génie des grands
réveilleurs de pays entier. Obama est par exemple une
histoire américaine et elle se vend bien dans le monde et il y a beaucoup de
gens qui l'écoutent. Et chez nous ? Cela sera possible avec un Président qui
aura la facilité de parole de Boudiaf, le sens de l'honneur de Boumediene, l'intelligence
de ne pas être comme Ben Bella,
l'honnêteté de Zeroual et le sens du rythme de Hasni
et de Maatoub et l'âge immédiat de la nation
immédiate et qui pourra faire rêver les femmes algériennes de sa masculinité et
faire s'habiller les Algériens à sa façon à cause de son élégance. Il faut un
mythe, une histoire, et très vite. Depuis une décennie ou deux, le pays a perdu
ses spectateurs internationaux et le un tiers de ses spectateurs locaux. Il
reste à peine deux tiers, dont la moitié est trop âgée pour construire des
fusées et l'autre moitié a démantelé les couleurs de drapeau national : le
croissant pour les islamistes, le vert pour les amateurs de foot et le blanc
pour ceux s'ennuient ou n'ont pas encore choisi. Et l'étoile pour les
insomniaques.