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Recep Tayyip Erdogan, héros des Arabes

par Mohammed Beghdad

Les Algériens dans leur ensemble connaissaient la Turquie grâce notamment au célèbre feuilleton télévisé qui a pour héros Mohannad pour avoir fasciné, durant des mois, toutes les chaumières des pays arabes. Ils sont actuellement en passe de suivre ces temps-ci les envolées ardentes de l'héros de ce papier, en l'occurrence le premier ministre de l'ex-empire Ottoman, Recep Tayyip Erdogan. En effet, depuis le début des révolutions arabes, la Turquie par l'intermédiaire de son leader politique est devenue omniprésente dans cette crise du monde arabe contrairement à la totalité de ses dirigeants qui se sont murés dans un silence profond, voire dans une hibernation totale en attendant le passage de la tempête pour espérer sortir sains et saufs du tsunami qui a déjà emporté trois pays et non des moindres. Tous les gouvernants arabes faisaient presque le mort en faisant la mine de ne pas être concernés, chacun de par ses distinctes spécificités, par ce qui se passe chez les voisins. De plus, les visites interarabes se font très rares depuis le début du printemps arabe au grand dam de la charte de la ligue arabe. A cause de leurs politiques intérieures désastreuses, ils sont tétanisés par ces soulèvements qu'ils n'ont jamais envisagés dans leur imaginaire mais lorsque les peuples se réveillent, on ne peut rien y faire contre leur volonté sauf à se soumettre à l'écriture de l'histoire.

Donc, la Turquie a démontré au cours de ces dernières années de façon magistrale sa force et prouvé ses capacités à jouer un rôle d'avant-garde au sien des affaires arabes considérablement mieux que les concernés eux-mêmes. Pratiquement, tous les peuples arabes la regardent avec une admiration pleine les yeux, éprouvant une grande fierté qui nous fait tant rêver. Elle est devenue incontournable par ses incessantes actions et par ses intenses activités diplomatiques que ce soient par ses déclarations ou par les opérations de ses dirigeants sur le terrain.

Si Erdogan peut s'exprimer clairement notamment sur la question palestinienne et de ses relations israéliennes héritées depuis les politiques précédentes, ainsi que sur le bouleversement arabe, c'est un signe très significatif de la crédibilité qu'il puise de sa légitimité populaire. Si la Turquie a retrouvé cette verve, c'est tout simplement grâce à la conformité que tirent ses gouvernants des urnes électorales tout en sachant que la majorité qui les a élus est tenue disciplinée derrière ses responsables car ils émanent de ses seules aspirations. Ils ne font qu'exprimer leurs désirs et leurs souhaits selon les programmes adoptés. Lorsque les citoyens, par le biais de concrètes élections, sont acquis à la cause de ceux dont ils leur font confiance, leurs leaders ne peuvent qu'être fermes intérieurement solides devant les partenaires internationaux. Cette Turquie n'est pas uniquement une force politique mais également un modèle économique, scientifique et culturel qui dépasse de loin tous les pays arabes réunis et dont c'est la cause essentielle du refus de son entrée par les pays majeurs dans l'Union Européenne. Les sentiments forts qui commencent à lier les arabes à Erdogan datent depuis quelques années. Nous n'allons pas citer ici tous les événements mais seulement quelques haltes importantes depuis que nous avons commencé à connaitre les principes de l'homme que lui vouent les peuples arabes une reconnaissance à tous points de vue grâce à ses positions qui font honneur à la fonction qu'il occupe depuis 2003 dans son pays. Il est à son troisième mandat et ce n'est pas encore fini. Lorsqu'il a pris les rênes du pouvoir à Ankara, on était loin de douter qu'il sera l'homme qui va gouverner le plus longtemps après le fondateur de la Turquie contemporaine Kemal Mustapha Atatürk en réussissant à allier l'islam à la modernité et à la laïcité par son intelligence et son pragmatisme. Pourtant, personne dans le monde ne donnait chère à sa peau en posant l'économie de son pays sur de bons rails (17ème puissance économique mondiale) avec un taux de croissance en 2010 de 9% dans le groupe du G20 auquel il fait partie après s'il vous plait celui du géant chinois ! Rappelons que le G20 qui regroupe en son sein 19 pays dont le BRICS et le G8 en plus des autres pays de l'Union Européenne, représente 85 % du commerce mondial pour les deux tiers de la population mondiale et plus de 90 % du produit mondial brut (somme des PIB de tous les pays du monde) comme le note Wikipédia. Erdogan a aussi ramené le calme et la paix et a largement sorti son pays des turbulences qui ont caractérisé durant des années. Bien sûr que nul n'est parfait et complètement à l'abri et que tout n'est pas rose dans son pays où il doit s'attaquer à d'énormes problèmes comme la plupart des pays à travers le monde.

Les obstacles intérieurs à son pays ne l'ont pas empêché de briller sur le plan extérieur. C'est justement à travers ses prises de positions courageuses que nous avons appris à connaître cet homme et que le peuple arabe l'a déjà plébiscité par son aura.

Tout a commencé à Davos en Suisse au cours du forum économique international organisé annuellement. Cela s'est passé en fin janvier 2009, ce jour-là, au cours d'un débat en présence du président israélien Shimon Peres et du Secrétaire Général de la ligue arabe de l'époque, Amr Moussa, il fut interrompu après 12 minutes d'intervention et empêché de continuer son intervention par le modérateur, le dénommé Iganatus David, après un plaidoyer du président israélien Shimon Peres qui avait duré plus que le double de son temps. Telle une tête de turc, Erdogan avait brusquement quitté la session après avoir dit hautement à son interlocuteur du jour : « est ce que les palestiniens possèdent les mêmes armes qu'Israël, dont celles de destruction massive ? Bien sûr que non ! Les israéliens ont bombardé l'UNRWA, les écoles et les mosquées ». En revenant le lendemain dans son pays, il était accueilli par une immense foule comme un véritable héros de la cause palestinienne. Tandis le désolant Amr Moussa qui devait être très ferme sur la défense de Ghaza, était resté fixé sur son fauteuil car ne disposant pas de la liberté nécessaire et de la légitimité dont jouit Erdogan.

La seconde halte de notre héros s'est déroulée le 31 mai 2010 lorsque la flottille pour Gaza, alors constituée de bateaux de militants pro-palestiniens, tentait de casser le blocus de la bande de Gaza et qui a été attaquée par une opération Commandos de l'armée israélienne. L'intervention militaire contre la flottille « Free Ghaza », comprenant huit cargos et transportant près de 700 passagers, de l'aide humanitaire et des matériaux de construction destinés à la population de la bande de Ghaza, avait fait 9 tués parmi les humanitaires turcs. Cette action qui avait été largement condamnée par la communauté internationale, avait ramené la Turquie à prendre des mesures de rétorsion à la hauteur des évènements en expulsant l'ambassadeur israélien, en suspendant les accords militaires. Le 2 septembre 2011, l'ONU, sous les ordres des puissants, rend public le rapport de sa commission d'enquête en légalisant le blocus maritime par Israël qui était donc justifié à intercepter la flottille ainsi qu'à faire usage de la force à des fins de « légitime défense ». C'est la goutte qui a fait déborder le vase chez Erdogan qui estime toujours le blocus comme illégal en portant le conflit devant la cour internationale de justice. Dans cette affaire qui n'a pas encore connu son dénouement politique, on remarque l'obstination de la Turquie, à travers Erdogan, à aller jusqu'au bout de ses principes. La troisième étape est l'aide fournie à la Somalie, qui pour ceux qui l'ignorent encore, fait parti, eh oui ! de la ligue arabe en tant que membre à part entière. Afin de récolter des fonds pour venir en aide aux somaliens, la Turquie avait accueilli, au cours du mois d'août dernier, une réunion de l'Organisation de la Coopération Islamique (OCI). Quoique les besoins exprimés sont estimés de l'ordre 2,4 milliards de dollars, la conférence n'avait misé que sur 500 millions de dollars. Au final, sur les 350 millions promis par les 57 pays membres, la Turquie a fait un effort très honnête de 150 millions.

 Erdogan ne n'est pas contenté non seulement de mettre la main aux poches de son pays mais il s'est aussi déplacé en plein mois du Ramadhan dans la capitale somalienne, le vendredi 19 août 2011, accompagné de sa femme et de sa fille, du ministre des Affaires étrangères et de ses proches, du vice-Premier ministre, de la ministre de la famille, du ministre de la santé et du vice-président du parti au pouvoir en venant apporter sur le terrain son soutien moral et humanitaire à la population déshéritée. Il faut noter que ce pauvre pays arabe n'a pas reçu une seule visite d'un dirigeant non africain depuis au moins deux décennies. Erdogan avait promis de rouvrir son ambassade à Mogadiscio le plus tôt possible alors qu'elle ce malheureux pays ne dispose que de 5 représentations diplomatiques, tous du continent africain. Ce mouvement toutes azimuts montrent bien la stratégie, la grandeur et les ambitions de cette Turquie qui commence à fasciner les peuples arabes en particulier et le monde en général.

 La dernière étape d'Erdogan est celle des révolutions arabes qui ont commencé à bouleverser le monde arabe depuis le 19 décembre 2010. La Turquie, en tant que nation qui commence à retrouver son poids tant sur le plan politique et géostratégique et aussi historique, est en train de jouer un grand rôle dans ce qui se passe dans la zone qu'elle veut être sous son influence. La course-poursuite que s'est livré Erdogan avec le tandem Sarko-Cameroun la semaine dernière en Libye ainsi que son périple triomphal à travers les 2 pays arabes qui ont connu des changements notoires ces derniers mois, en sont un indice très palpable pour la Turquie de ne pas rester figé par ce qui se dissémine dans le pourtour méditerranéen notamment dans la rive sud où elle possède d'énormes atouts par rapport à l'occident pour étendre de manière sensible ses différentes coopérations avec les pays de son environnement.

 Recep Tayyip Erdogan a été accueilli comme un prodige dans l'Égypte postrévolutionnaire où il a prononcé un discours très applaudi dans l'enceinte de la ligue arabe. A tel point que le magasine français titrait en ce 13 septembre 2011 «Que peut espérer la Turquie au sein du monde arabe ? » en quelque sorte « il est venu chercher quoi celui-là ? Ou encore, il ne nous lâche pas là où nous fourrons notre nez, il est toujours présent ! ». On constate fort bien qu'il dérange très certainement les desseins de l'occident qui veut s'accaparer des richesses des pays arabes et profiter que dans un sens unilatéral à l'heure où la Grèce, l'Espagne, l'Irlande et l'Italie pour ne citer que ceux-là sont en train de vivre une crise économique et financière sans précédent. Les jours à venir vont encore nous dévoiler la face cachée de l'occident qui à défaut de porter l'aide nécessaire et la technologie adéquate aux pays sous-développés, continuent ses occultes exploitations car les pays du sud n'ont pas encore entamé toutes leurs ressources naturelles.

 A l'heure actuelle et à cause de nos politiques épouvantables, nous sommes dans l'incapacité de se défendre devant ces nouveaux colons tant que les peuples arabes ne sont pas encore libérés politiquement, intellectuellement, scientifiquement et culturellement. A défaut de les copier, on se contente d'apprécier ces pays qui émergent tels que la Turquie et d'autres. Ces derniers jouent actuellement le rôle qui devait en principe nous revenir et semblent être un garde-fou pour les néo-colonisateurs mais ne nous trompons pas, on ne peut être défendu que par soi-même lorsque les conditions de l'émancipation et du développement seront concrètes.