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Se battre ou bouder ?

par Abdou B.

«Ceux qui méprisent l'homme ne sont pas de grands hommes».  Vauvenargues

Contrairement à beaucoup de commentateurs, aux professionnels du nihilisme et à certains opposants dont les principes et les discours varient selon une curieuse météo, l'histoire n'est pas figée en Algérie. Et toutes les ruses, la volonté de maintenir le système en l'état attribuées aux «ombres» ne tiennent plus la route pour des raisons objectives qui transcendent les souhaits des uns, la volonté des autres, les manœuvres de plus en plus inopérantes des rentiers, des incompétences nationales et surtout des appareils qui résistent au changement, ne peuvent faire mentir le réel. Ce dernier est invoqué quand il arrange et subit le déni lorsque des réformes sont annoncées. La réalité des plus brûlantes au Maghreb, dans le monde arabe qui se transforme en direct et à grande vitesse, interpelle le pouvoir algérien mais aussi les oppositions disparates, éclatées, versatiles, à part de rares îlots de lucidité.

L'exemple du cafouillage d'une certaine opposition dans le drame libyen peut se reproduire. Si demain le régime sanguinaire en Syrie tombe, va-t-on reconnaître une nébuleuse «révolutionnaire» à connotation religieuse et presser l'Algérie de faire un saut dans le vide ? Ce n'est pas exclu, et des leçons doivent être tirées.

La première consisterait à dire que le scénario catastrophe du style égyptien, tunisien, syrien ou yéménite est le plus dangereux pour la démocratie et l'avenir. Un consensus basique, patriotique, contre toute ingérence étrangère en Algérie, ne signifierait en rien que ses promoteurs et signataires cèdent sur des convictions, des propositions pour une alternance dans le pays. Cela ne voudrait pas dire que l'opposition se rallie avec armes et bagages à M. Bouteflika. Celui-ci, depuis sa première élection, a connu toutes les formes de critiques. Parmi ces dernières, beaucoup sont frappées du sceau de la subjectivité, de la rancune, sans chiffrages et propositions sérieuses incluant le contexte international qui pèse lourdement sur les politiques nationales. Le mérite de ceux auprès de qui M. Bouteflika ne trouve aucune circonstance atténuante, est de relativiser les discours triomphalistes, parfois contradictoires, de certains ministres et dignitaires mus plus par l'allégeance et la flatterie que par la rigueur et la modération pédagogique. Par contre, affirmer que le Président a échoué partout, sur tout et tout le temps relève de la fantaisie et parfois de la parano qui attribue aussi les échecs, et il y en a, au DRS qui serait omniscient et infiltré jusqu'au berceau du nouveau-né.

 Mais il est admis, dans certaines limites et de bonne guerre, dans la logique des joutes politiques et d'un système à forte carence démocratique, que les uns brodent en lettres d'or jusqu'à l'excès, et que d'autres brocardent une gouvernance entamée à un moment explosif de l'histoire du pays.

A l'évidence, les deux premiers mandats n'ont pas été de tout repos pour l'ancien chef de la diplomatie sous Houari Boumediène. Et ils auraient été tout aussi compliqués pour un autre, par la complexité et la dangerosité d'un système et d'un pays arrivés au bord de toutes les ruptures par les affrontements féroces qui opposaient, d'un côté, l'armée, et de l'autre, un des plus grands partis totalitaires dans l'histoire du monde arabe. Des oppositions fortes à l'intérieur du pouvoir, une destruction profonde du champ politique, l'exil et les assassinats parmi les élites, une mondialisation galopante et un terrorisme ravageur ont accompagné tout au long la gouvernance Bouteflika. Sans pour autant que l'opposition s'organise et fasse bloc pour la succession. Ce qui aurait été un pas considérable pour le pays, qui aurait eu (qui aura) une alternative conséquente et crédible.

Après avoir repris le FLN, dont il est le président d'honneur, il a tempéré les ardeurs du jeune RND, avec ses ambitions légitimes, qui entend devenir la première force politico-administrative, mais au service du programme présidentiel, en attendant plus, à la fin du troisième mandat. Ce qui est légitime.

Certains rappels paraissent nécessaires pour mieux évaluer les mandats et tenter modestement une projection pour après. En déclarant avec force qu'il ne voulait pas «être un président aux trois quarts», M. Bouteflika a mis les bouchées doubles aux plans interne et externe en déblayant le terrain, ayant constaté que le message envoyé n'a pas été compris ou carrément «mal entendu». Au pouvoir dès 1999, M. Bouteflika a de suite pris le contrôle des trois courants identifiés comme acteurs majeurs et représentatifs dans la société, du moins dans les administrations, les associations tenues par les subventions, de certains postes techniques dans les organisations de masse» héritées du parti unique? L'inventaire fait par M. Bouteflika allait lui permettre une large autonomie d'action, tout en éliminant de potentiels rivaux et en neutralisant progressivement les tenants du «quart manquant» durant la période 2000-2006. Le FLN historique, qui peine à passer de la légitimité héritée de la guerre d'indépendance à celle démocratique, a été le premier et symbolique soutien de M. Bouteflika. Sur les autres versants qui constituent la majorité, on trouve le RND, monté à la hâte pour épouser des contours modernistes, ex-«éradicateurs», et le MSP, branche des Frères musulmans d'Egypte, censé capter des courants extrémistes et des restes éventuels de l'ex-FIS. Mais sa proximité avec le pouvoir le fragilise et l'oblige à être sans arrêt au pouvoir avec des accents d'opposition stérile.

Habile à la manœuvre, le président Bouteflika a rendu lisibles et visibles des courants de plus en plus hétéroclites mais qui lui sont totalement dévoués, soutiennent ses décisions et actions. Avec patience et persévérance, il a par petites touches réussi l'exclusion, sinon la marginalisation des forces (à l'intérieur de son camp) susceptibles de vouloir le pouvoir ou le partager avec lui. Les crises à répétition, le coup d'Etat réussi ou avorté, les scissions dignes des feuilletons de catégorie Z au sein des partis de la majorité le confortent. Les trois partis en question ne tiennent que pour lui et grâce à lui. Les éradicateurs et les réconciliateurs fortement marqués, avec bien entendu des objectifs articulés autour du contrôle ou la prise du pouvoir, ont été écartés par vagues successives. Aujourd'hui, les choses s'accélèrent pour tout le continent et pour l'Algérie.

Dire que les ruses et les manœuvres du pouvoir, et il y en a, sont en mesure de figer l'histoire reviendrait à mépriser profondément les Algériens. Les conflits sociaux, les contradictions qui s'aiguisent, le refus de l'aventure comme en connaissent des pays voisins, témoignent d'une maturité qui ne trouve pas encore sa traduction dans la majorité des partis. Ceux-ci ont la lourde responsabilité de se démocratiser, de faire vivre l'alternance chez eux pour être crédibles. La crise mondiale, le Maghreb en ébullition et l'Algérie qui bouge ne leur laissent que peu de temps pour la sieste rentière.

Accompagner et protéger la plus petite des réformes ou bien faire l'enfant gâté dans son coin ? La réponse n'oblige pas de se délester de ses convictions ni de programmes chiffrés et construits. Si l'histoire et celle du pays ne sont pas figées, certains partis, au pouvoir et dans l'opposition, paraissent plus que figés. Or, la jeunesse, le mouvement social et le pays, dans le désordre, vont plus vite et ne trouvent pas encore des «compagnons de route».