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Erdogan, trublion ou nouveau leader ?

par Abdelkader Leklek

Pas question de se laisser distancer sur son futur terrain d'influence, Erdogan emprunte les airs et pose lui aussi son avion sur le tarmac de Tripoli.

À la suite du couple Sarkozy/Cameron, les talonnant presque.

Mais ces derniers, n'ont-ils pas anticipé et ne l'ont-ils pas devancé, façon de lui couper l'herbe sous les pieds, quand ils ont su les dates de son projet de voyage en Libye et ailleurs en Afrique du Nord ? Qu'à cela ne tienne, après l'Egypte où malgré le chaleureux accueil populaire qu'il a reçu, le Premier ministre turc n'a pu réaliser son but, de rentrer à Gaza par la voie terrestre du poste frontalier de Rafah. Le commandement militaire en gestion des affaires du pays depuis la chute de Hosni Moubarak, lui a refusé ce coup d'éclat, et l'impact qu'Erdogan aurait pu avoir sur l'opinion publique arabe, s'il avait réussi la performance de pénétrer dans la bande de Gaza, martyre aux yeux de tous les Arabes et de tous les musulmans. Pas dupes, le maréchal Tantaoui et consorts d'accéder à la demande du Turc, en ce moment de crise entre la Turquie et Israël.

Question d'intérêts, les militaires égyptiens reçoivent chaque année depuis 1979, une aide américaine qui varie selon les exercices budgétaires de deux à quatre milliards de dollars U S. C'est la deuxième aide militaire extérieure, en volume, qu'accordent les Etats-Unis, après celle dont ils dotent chaque année l'armée israélienne. Tenus par l'engagement de l'Egypte dans les Accords égypto-israeliens de Camp David, et contraints à leur respect, les maîtres actuels de l'Egypte, prennent garde et travaillent à la préservation de leur amitié avec les Etats-Unis. Selon eux, le créateur du parti islamiste turc A K P demandait trop de sacrifices à la fois à ses nouveaux amis égyptiens. Il faut dire qu'il avait pour lui, au moment de formuler sa demande, comme moyen de pression, sur les militaires égyptiens, la mobilisation et le soutien des révoltés égyptiens qui avaient fait fuir l'ambassadeur de l'Etat hébreu de sa résidence du Caire.

En conséquence, et sur pression de leurs alliés américains, les militaires égyptiens exploitant cet incident diplomatique et profitant de l'aubaine, avait depuis rétabli l'état d'urgence, levé avec la chute de Hosni Moubarak. Qu'importe, pour Erdogan de ne pas pénétrer à Gaza, ce n'était peut-être qu'une autre action de séduction, forte en symboles. Par contre les bénéfices turcs, engrangés de la visite égyptienne de deux jours, lundi 12 et mardi 13 septembre 2011, sont faramineux. N'a-t il pas courageusement déclaré que reconnaître l'Etat palestinien: «n'est pas une option mais une obligation». Et quand devant les ministres des Affaires étrangères de la Ligue arabe, il omettait volontairement de citer l'Etat d'Israël, son ami d'hier, parmi les grandes puissances de la région,que sont, selon Erdogan, l'Arabie Saoudite, l'Egypte, l'Iran et bien sûr la Turquie. N'a-t-il pas fait acte de défiance envers l'Etat hébreu ? Il avait à ce moment là, mis tous ses auditeurs ministres k.o, par ce courage politique, s'il en est. Car tous autant qu'ils et seulement eux de par le monde, voudraient avoir pareilles aptitude, pour dire des vérités à Israël, et se les dire, les uns les autres. Mais hélas c'est le Turc dans l'enceinte de l'Organisation des pays arabes qui l'a dit haut et fort. En ajoutant, qu'Israël n'a pas le droit, ni le privilège de tout se permettre en Méditerranée. Et joignant l'acte à la parole, il décida que désormais, des bâtiments de guerre de la marine turque escorteront, tous les navires turcs à destination de Gaza. Pour une déculottée, s'en est une, vertement administrée, combien même, elle est poliment enrobée, dans l'emballage de l'aide entre coreligionnaires. Mais l'impact sur la rue arabe en sa faveur, selon la sémantique des communicants est acquis et pour longtemps au Premier ministre turc, même s'il n'a pas pu mettre les pieds à Gaza. D'ailleurs le cherchait-il vraiment ? Mais le ressenti des militaires égyptiens après son départ d'Egypte, c'est qu'Erdogan leur a habilement forcé la main. Cependant stratégie contre manœuvre, les deux parties, politiquement du moins, se neutralisent. Car pour les deux diplomaties turque et égyptienne, la technique de «zéro problème avec nos voisins» développée par le ministre des Affaires étrangères turc Ahmet Davoutoglou, affichée par les deux pays en direction d'Israël et de sa sécurité, n'engage désormais en apparence que l'Egypte. Et au final le Premier ministre turc aura bousculé les militaires autant, sinon plus, que ne l'aurait fait la révolte de la place «Et-Tahrir». Parce que réellement c'est la rue arabe qui menace les régimes arabes et tourmente Israël. Elle effraie aussi les pays du Sud de l'Europe à partir de l'île italienne de Lampedusa, où les boat people accostent chaque jour depuis «le printemps arabe». La rue arabe inquiète également les décideurs américains, depuis leur cuisant échec en Irak. Mais Erdogan en bon marin turc, a vite fait de comprendre cela et depuis, il surfe sur cette vague, avec une douce agressivité, boosté par des vents fortement favorables.

Cela ferait de lui le leader turc du monde arabe, car depuis des lustres la place est à prendre faute de candidats crédibles aux yeux des peuples arabes. L'homme malade depuis 1914, se serait-il rétabli pour réinstaurer la Pax Othmanica qui régnait sur l'Empire ? Crâneur qui pourrait présentement répondre. En Tunisie où il arrivait le mercredi 14 septembre, Erdogan, s'est essayer à alterner tout au long de son voyage, entre l'attitude du théoricien et la bonhomie de l'ami ému par le succès et le triomphe de la révolte des amis tunisiens retrouvés. Tout de go, il annonçait : «Islam et démocratie ne sont pas contradictoires. Un musulman peut gérer un État avec beaucoup de succès», cela c'est pour la théorie. Et en même temps c'est un appel du pied, aux hésitants parmi les Tunisiens, en leur susurrant que : si vous voulez un Etat comme celui des Turcs, votez pour les islamistes tunisiens d'En-Nahdha. Cela se passe à la veille des élections à la Constituante tunisienne. Le timing n'est pas innocent.

Pour le pathétique, le Premier ministre turc a choisi de jouer sa partition sur une variation combinant affectif et émotionnel. Il jouera la carte palestinienne, la seule jusqu'à preuve du contraire qui fédère les peuples arabes. Et plus terre à terre, mais en bon communicant, connaissant le penchant passionnel et la place de la symbolique dans le culturel arabe, Erdogan dira aux Tunisiens : «tout nous rapproche, rien qu'à voir nos deux drapeaux quasi-similaires et nous devons nous rapprocher encore davantage». Très bon coup de communication, mais pour l'emblématique des couleurs, il aurait pu ajouter les drapeaux du Canada, de la Confédération suisse, de la Principauté de Monaco, de la Pologne et de l'Indonésie. Ils sont tous rouges et blancs. Arrivé en Libye il accomplira sa prière du vendredi 16 septembre, avec toute la Libye sur la place verte, rebaptisée place des Martyrs depuis la chute de Kadhafi. Dans son discours il évoquera Omar El Mokhtar et son martyre et il dira, je le cite :

«Je suis heureux d'avoir été témoin de la victoire et de l'avènement de la démocratie en Libye». Si pour la victoire sur Kadhafi, le Premier ministre turc peut avoir raison, sur la démocratie en Libye il semble aller vite en besogne car vu la composante d'obédiences diverses, voire antagoniques du Conseil National de Transition, il serait avisé de ne préjuger de rien. Ainsi l'échec de ce conseil à former son premier gouvernement, et ses interminables ajournements, ne sont que des indices, si minimes soient-ils, de son hétérogénéité idéologique de ses différentes sensibilités politiques et de ses revendications d'équilibres régionaux toujours insatisfaites, quoi que l'on fasse, pour un clan ou pour un autre.

Mais enfin ce qui fait courir tout ce beau monde, c'est la manne de 140 milliards de dollars de contrats à prendre, pour la reconstruction de tout ce qui a été détruit par les avions et toute machinerie de guerre de l'OTAN, en Libye. Que cela soit pour les Européens, pour les Turcs ou pour les Américains, tout est à reconstruire : infrastructures, communications, santé, formation etc. et chacun parmi tous ces visiteurs intéressés de la Libye d'après Kadhafi, use pour occuper la place et le rang les plus rentables et les créneaux les plus juteux, de son entregent, de ses réseaux anciens ou nouveaux. Les économies nationales de ces prétendants aux marchés libyens sont toutes fortes, car la moins performante, celle de la Turquie en l'occurrence, occupe la 6ème position des économies européennes. Elles ont toutes besoin de débouchés pour relancer l'activité chez elles, afin d'éviter les crises de chômage, et les aléas politiques d'une récession économique. Erdogan en plus d'avoir les faveurs de la rue arabe depuis la flottille de la paix pour Gaza, et les neuf martyrs turcs pour la Palestine, tués par Tsahal, lors de l'abordage du navire battant pavillon turc, le Mavi Marmara, il n'a cessé depuis le «printemps des révoltes arabes» de développer un discours qui, lu au premier degré, semble être très hostile à Israël.

Cependant, et en réalité, Erdogan jusqu'à preuve du contraire, n'a jamais remis en cause l'existence d'Israël, ni n'a coupé définitivement les ponts avec l'Etat hébreu. Il exige seulement qu'Israël présente simplement des excuses pour ses crimes contre des Turcs dont un Américain d'origine turque. Pour conclure, les agissements de tous ces prétendants sont, somme toute, logiques, car en matière de relations entre Etats, il n'y a pas de place à l'amitié, combien même, existeraient-ils d'innombrables traités scellant ces amicales liaisons et ces fraternelles relations.

Entre les différentes puissances il n'y a de l'espace que pour les intérêts. Hier encore M. Sarkozy, recevait en France et en grandes pompes Kadhafi et toute sa suite, y compris sa tente, ses frasques et ses dromadaires. Le premier décembre 2010 aussi, Recep Tayyip Erdoðan, transcrit en turc latinisé depuis 1928, par Mustapha Kemal Attaturk, recevait le Prix international d'Al-Kadhafi des droits de l'homme, doté de 250.000 dollars U S. Deux mois après, le 17 février 2011, la révolte des Libyens éclatait et commençait à Benghazi. Alors Erdogan trublion ou bien nouveau leader du monde arabe, chacun appréciera. Mais, ce qui est sûr, c'est que c'est un bon commercial pour placer et vendre le produit : Turquie. Excepté le problème de la minorité kurde et le casse-tête chypriote, deux casseroles que traîne la Turquie et qu'elle ne peut vendre ni solder qu'à elle-même.