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Faites la grève mais pas la politique !

par Kharroubi Habib

Des rassemblements, sit-in et autres manifestations, tous exprimant des revendications sociales, ont pu avoir lieu ces derniers temps à proximité de la Présidence de la République à El-Mouradia.

 Il y a peu, c'était chose impossible. Ceux qui auraient eu la velléité de s'approcher du saint du saint du pouvoir se seraient fait disperser sans ménagement par un service d'ordre instruit pour faire avorter coûte que coûte leur «outrecuidante» audace. Voilà que maintenant la destination d'El-Mouradia n'est plus hermétiquement fermée. Des revendications sociales s'expriment sous les fenêtres de cette Présidence de la République, sous l'œil certes vigilant des polices, mais sans que leurs auteurs fassent l'objet d'une répression déchaînée.

 Est-ce à dire que le pouvoir s'est converti à la liberté d'expression et de manifestation ? Si c'est le cas, sa tolérance est sélective. Comme le prouve sa constance à empêcher les rassemblements et marches qu'organise chaque samedi la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD), qui n'ont pourtant pas El-Mouradia pour destination.

 Pour comprend le comportement des autorités, il faut se faire à l'idée qu'elles ont décrété que l'Algérie «ne connaît pas de crise politique, mais des crises sociales». Partant de cet axiome qu'elles se sont forgé, elles ont lâché du lest et permettent les manifestations revendicatives à caractère social. Et quoi de plus valorisant pour elles auprès de l'opinion internationale que de laisser faire des sit-in aux alentours de la Présidence !

 N'est-ce pas la preuve qu'en Algérie la contestation s'exprime en toute quiétude et qu'elle est loin de toute revendication politique ? Mais que la CNCD ou tout autre acteur politique s'avisent d'aller faire entendre leurs mots d'ordre et slogans, leur tentative sera étouffée manu militari en deux temps trois mouvements. Depuis les émeutes de janvier et puis l'embrasement par la révolte dans le monde arabe, le pouvoir s'accommode de la flambée de revendications sociales. Elles ont pour avantage, de son point de vue, d'être un dérivatif à la contestation politique à laquelle se seraient ralliés les citoyens privés du droit de faire entendre leurs doléances sociales. Des grèves éclatent un peu partout, quelquefois sans même que soit respectée la législation du travail en la matière. Sans pour autant que la justice ait été saisie pour prononcer leur illégalité. Une justice prompte en d'autres temps à prononcer ce genre d'oukase.

 L'Algérie offre le spectacle, en plein «printemps arabe» éclos par la convergence de revendications politiques et sociales, d'être en apparence agitée uniquement sur le front social. C'est cette illusion qu'entretient le pouvoir en étant devenu subitement si «compréhensif et accessible» à l'expression de revendications de cette sorte.

 Non seulement il laisse faire, mais il a décidé d'ouvrir les coffres de l'Etat pour les satisfaire. Il n'y a qu'à demander, à la condition de ne pas mêler la contestation politique. La manne financière est mise à contribution pour acheter la paix sociale. Peu importe que cela se fasse au détriment des équilibres financiers ou économiques. L'urgent étant de neutraliser l'amorce de l'agitation politique qui a commencé à poindre avec l'arrivée du «printemps arabe».

 Gagner du temps, c'est le but primordial du pouvoir.