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Impulsions, expulsions

par Ali Brahimi

« La dictature puise sa force de la faiblesse des peuples » Anonyme.

En ce début du troisième millénaire, le monde arabe est en train de vivre une période fantastique de son existence, grâce à l'impulsion démocratique effectuée par la jeunesse tunisienne.

Ainsi, celle-ci a su révolutionner, depuis le débit de cette année, la mentalité de la jeunesse arabe, selon toutefois la particularité et le niveau de conscience spécifique à chaque pays, en effervescence du Golfe à l'Atlantique. Récemment, c'est au tour de la jeunesse syrienne d'afficher sa volonté de changer profondément la situation du pays, estimé dénué en perspectives claires Au Yémen, en ébullition depuis des semaines, le pouvoir a récemment affiché les habituelles et itératives échappatoires.

A la veille de la grande marche organisée vendredi passée par l'opposition, le président yéménite «élu», a plus de 90% des suffrages, a déclaré ce qui suit : « Comment peuvent-ils imaginer - il s'adressait à ses opposants - un seul instant que le pouvoir accepte d'aller se faire pendre? » Vendredi, il a rameuté des milliers de personnes à sa solde leur annonçant : « au cas où je quitterais rapidement le pouvoir, il appartiendrait à la majorité du peuple d'en décider». C'est-à-dire faire plier les manifestants confondus sciemment à El Qaida. Comme en Libye !

En d'autres termes, c'est à sa garde rapprochée d'assurer la continuité du régime car le danger de la prétendue Qaida est présent, argue-t-il, à l'intention des USA faisant semblant qu'ils sont constamment préoccupés par ce péril alors qu'il s'agit, dans leur esprit, celui de l'Iran menaçant la sécurité d'Israël élément central de convergence concurrentielle entre l'Europe et les USA. L'ex président égyptien a payé le prix fort en jouant sur ce registre. Conforté, par ces rapports de force ci-dessus mentionnés, le président yéménite a enfoncé le clou dans ce sens, en refusant tout départ hâtif, voire se permet d'insinuer qu'il est dans son élément et c'est le peuple qui ne l'est pas ! En vérité, un tempérament schizophrénique lié au goût maladif du pouvoir dictatorial dichotomique. De par son impudence et imprudence, le président yéménite s'approche chaque jour de la potence (1)

En ce qui concerne la Syrie, dirigée de père en fils, les causes du soulèvement, d'après un communiqué laconique du genre baathiste, sont sociales et, qu'en plus, fomentées par des forces étrangères. Et, comme d'habitude, une longue série de mesures d'apaisement dont la démission du gouvernement, en tant que bouc émissaire puis reconduit jusqu'à nouvel ordre (?), et, en projets, dont la levée de? l'état d'urgence. En fait, le vocabulaire méprisant classique de la langue de bois conforté en manifestations de soutien de la part des militants du parti unique, au jeune président syrien coincé entre la vieille garde et les aspirations des gens en majorité de son age (2).

Donc, il a devant lui une occasion inespérée, d'être en diapason avec sa génération mieux disposée à la démocratie que celle vieillissante, afin qu'il puisse se débarrasser de la chape de plomb instaurée par le parti du Baath crée en 1947, coïncidant curieusement avec la date de création de l'Etat d'Israël, de plus en plus préoccupé voire irrité par les inattentions et multiples écarts des dirigeants arabes du Golfe à l'Atlantique.

A l'évidence, ces régimes ne semblent nullement disposés à changer de fusil d'épaule et tous ont annoncé, à l'unisson, des projets d'amendements politico constitutionnels afin, comptent-ils, de noyer le poisson dans la même bassine d'hier. En d'autres termes, ils font la sourde oreille aux requêtes fondamentales, clairement affichées par les jeunes manifestants qui exigent la refonte, de fond en comble, des approches politiques de la gouvernance

Malgré tout, il serait malhonnête de nier les progrès, certes insuffisants, enregistrés dans les domaines économiques, sociaux, culturels, et relativement politiques notamment ceux liés à la liberté d'expression, malheureusement constamment menacée par des groupes d'intérêts, décidés à la museler sinon la mater. Y compris au prix de l'élimination physique des journalistes et commentateurs, des blocages existentiels rencontrés par l'ensemble de la jeunesse arabe écartelée, cette dernière décennie, entre l'Internet et ses nombreuses sources informatives d'une part et, d'autre part, les habituels visages et commentaires de l'information, sans âme, dite «officielle», peu perçue et lue car dépourvue de charme et de pertinence.

 Afin de changer cet état de fait, des reporters armés de leur seul courage et l'arme de l'objectivité, se trouvant partout dans le monde arabe, ont été sauvagement assassinés sinon isolés, ces dernières temps, car ils ont rapporté clairement et légalement les opinions et aspirations des gens et photographier des événements fondateurs. A l'image du reporter-photographe Ali Hussein Djaber, de la chaîne El Djézireh, criblé de balles dès la première quinzaine de la révolution libyenne. Le soir, avant son transfert au Qatar, une cérémonie mortuaire émouvante lui a été dédiée par des milliers de jeunes de Benghazi, soulevant la sympathie et l'admiration des peuples arabes.

Ainsi, ces martyrs pourraient constituer le catalyseur du réveil définitif des peuples, tétanisés depuis au moins un demi-siècle, pour qu'ils enterrent une époque afin qu'ils démarrent une autre. A l'exemple du jeune martyr tunisien Bouazizi, s'immolant par le feu, déclencheur de la deuxième révolution tunisienne.

A propos d'époque, en Algérie, des mentors de l'ex parti unique ainsi que leurs similaires et auxiliaires, ont peu commenté les profondes raisons de ces immolations et leurs conséquences sur les mentalités des gens. En revanche, ils ont posé des questions du genre : comment peut-on nier les progrès déployés depuis 1962 ? Bien sûr que non En revanche, assurer que ces acquis ont été exclusivement obtenus par la grâce d'un parti politique, un gouvernement, etc., cela dénote du mépris, voire la dénégation des efforts de la collectivité nationale. Au fait, ces balivernes, à quoi bon les étaler, surtout en ces moments-là ?

Est-ce une malédiction propre aux peuples arabes d'être ainsi ballottés entre le passé et le présent ? Assurément non, nous semble-t-il, ce serait plutôt à cause du manque de clairvoyance des élites politiques, toutes appartenances politiques confondues, encore sous influence «culturelle» de la période du populisme et du despotisme pourvoyeurs de mensonges et des mirages.

A ce propos, un dirigeant - genre yebdouli : il me semblerait et du : peut-être oui, peut-être non -, lié d'une façon atavique à l'unicité de pensée du néo destour tunisien, avait récemment déclaré : « Aujourd'hui, il est temps de rendre à l'Etat tunisien son autorité (Haibete Edaoula) ». En d'autres termes, la recréation est terminée En revanche, la jeunesse et les partis politiques notamment progressistes, en Tunisie et l'Egypte, ont clairement annoncé leur décision de protéger la révolution (Himayete Athaoura). Dorénavant, c'est cette rivalité qui déterminerait l'avenir des générations arabes. Le limogeage du ministre de l'Intérieur tunisien, favorable au changement radical, et son remplacement par un membre du Parti de Ben Ali, serait-il le point de départ de cette rivalité ? En tous les cas, le dernier mot appartient à : lekhbar idjibouh etouala. C'est-à-dire la jeunesse. Toujours !

En Algérie, un responsable politique de la coalition, liguée autour du pouvoir, recommande le remodelage des lois issues de la Constitution, estimée dépassée. Même, le ministre des Affaires religieuses avait annoncé, la veille du prêche de vendredi écoulé, la nécessité d'amender la loi fondamentale. Ainsi, toutes les institutions de l'Etat vont, dès maintenant, claironner les bienfaits du changement en ces temps d'instauration de nouveaux mécanismes de gouvernance, à l'échelle du monde arabe. C'est une bonne chose en soi.

En effet, à l'avenir, il n'existera plus de présidents à vie dans le monde arabe. C'est bel et bien fini ! Décidemment, la Tunisie et ensuite l'Egypte ont donné un sacré coup de pied dans la fourmilière. En Libye, entre autres pays arabes en chamboulement inédit, des absurdités entêtées en tous genres, continuent d'être affichées par un régime aux abois car en fin de règne quelle que soit l'issue de cette révolution atypique.

Le discours, lundi passé, du président des USA, dénote une satisfaction par rapport aux anciennes interventions guerrières du Pentagone. Mercredi passé, à Londres, la réunion de l'OTAN élargie, confirme ce contentement. Ainsi, les gouvernants des USA, de Grande-Bretagne et de la France ont su, par rapport à leurs prédécesseurs, tirer les marrons du feu, en termes électoraux. En outre, le départ du guide libyen suscite des controverses, dont le danger d'El Qaida au Maghreb (?), au cours de ce sommet, notamment de la part des stratèges de la Maison Blanche, soi-disant perplexe sur le sort à réserver aux partisans du guide libyen. Un leurre !

Parfois, on se dit si les dirigeants arabes ne seraient pas victimes de l'indifférence et l'insouciance des peuples qui les ont laissé agir ainsi et atteindre cet âge critique et ce degré d'impunité, les prédisposant à tous les excès, dont ceux de langages et gestes comiques, puis subitement les abandonner à leur triste sort et qui, du jour au lendemain, se mettent à la recherche pathétique d'un lieu d'exil.

Il serait utile d'ajouter que les membres de la famille des dictateurs arabes sont empêtrés jusqu'au cou dans des situations condamnables. A ce propos, ils déposent des centaines de milliards de dollars dans les banques internationales. La fortune des membres de la famille régnante en Libye est estimée à plusieurs dizaines de milliards de dollars déposés aux USA, entre autres lieux soi-disant protégés, voire du top secret. Lors de son intervention, citée plus haut, le président des USA a pris la décision de geler les avoirs, estimés à plus de 30 milliards de dollars, appartenant à la cognation dudit guide. Ils serviront, d'après M. Obama, à la reconstruction de la Libye qui se souviendra longtemps de la folie de son Caligula !

Ainsi, gouverner dans le bon sens, c'est savoir comment quitter, en beauté et avec honnêteté, le pouvoir d'autant plus lorsque l'Histoire l'exige. En tout cas, celle-ci reconnaîtrait les siens. Par conséquent, perdurer dans l'arrogance, envers et contre tous, ne mènerait qu'au destin tragique des dictatures, toujours jetées aux oubliettes de l'Histoire des peuples. Fatalement !

A l'évidence, le chemin menant vers l'alternance sereine du pouvoir, basée sur la volonté des peuples donnant un mandat limité dans le temps est âpre, certes, mais salutaire à long terme. Aussi bien pour l'élu que pour l'élisant. Après tout ce temps passé, certaines élites arabes n'ont pas su imaginer des forces concourantes en ce sens. Il est temps de ne plus disperser les efforts et il serait opportun d'essayer de les consolider dans l'ordre, l'entente mutuelle, la sérénité collective intergénérationnelle, et surtout qu'elles renforcent la Démocratie directe, allant droit au but. En effet, elle est amoureuse des raccourcis afin d'engloutir définitivement les intrus. En tout cas, l'Histoire enregistre, quoique l'en fasse, toutes les entourloupettes rencontrées dans son chemin, de bout en bout, d'un Monde arabe en pleine pulsion de jeunesse.

Notes

(1) Dans la campagne, un poussin est souvent piégé par un petit bout de laine. Ainsi cloué au sol dans la nasse et si on essaye de le débarrasser, de cette situation, il s'enlise d'avantage puisque à chaque fois qu'il bouge il s'entrelace avec le filet de laine jusqu'à l'épuisement et la mort. Fatalement ! A ce sujet, on dit : El felouss kikarbâ fi khait assaouf kai imout. Une sagesse de paysans marocains d'antan.

(2) À propos de la jeunesse, au Maroc, les départements de l'Agriculture et de la Pêche sont dirigés par un ministre âgé d'une quarantaine d'années. Le même âge que le roi Mohamed VI. Pareil pour la plupart des partis politiques dirigés par des jeunes docteurs d'Etat. Et alors ? Alors les temps ont changé.