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La télévision libyenne : une arme redoutable

par El Yazid Dib

L'on peut ne pas conquérir son peuple par l'aviation et l'artillerie. Mais l'on peut aisément le faire par une petite boîte magique. La télévision.

L'on dira un jour que c'est grâce à la télévision que le régime Kadhafi s'est un peu prolongé. Ce moyen, chez qui sait s'en servir, est une arme redoutable. Le «guide» en use mieux qu'il utilise son fusil d'épaule. Il suffit d'une image, d'un son et d'une scène le montrant sur son cinq, que voilà la crédulité d'un monde, le sien, arrive à se consommer dans le «donc tout va bien».

Les bombardements sur la Libye ont provoqué l'ire de certains esprits tenus encore sous la domination de cette nébuleuse notion de l'impérialisme et de la main étrangère. En vérité, ceux-ci ne devraient pas avoir lieu si la communauté arabe avait pris le dessus. Les monarchies du Golfe ont vite dépêché leur armée commune au secours de Bahreïn. Une formation militaire arabe aurait fait office de casques bleus dans le désert libyen, évitant du coup à l'OTAN et aux USA de faire expérimenter leur dernier cri en termes de capacités militaires nouvelles. Certes, Kadhafi est une bizarrerie qui nage dans ses propres fantasmes. Les raids aériens n'ont pu le faire reculer pour l'avancer davantage vers la sortie. Il se croit toujours, en fait il fait croire mordicus à ses adeptes qu'ils sont en guerre contre les croisés, les impies et les mécréants. C'est le propre de la pathologie d'un dictateur en fin de déchéance gouvernementale. Il crée l'ennemi quand il n'existe pas. Il fait d'un peuple avide de liberté et de démocratie un amas de rats et de rongeurs.

Il est ni président, ni roi. Sinon, il aurait jeté sa démission ou remis son trône, disait-il à son peuple. «Je suis un guide, je suis là pour l'éternité». Il leur affirme qu'ils doivent le sacraliser en qualité de gloire arabe, musulmane, africaine et américano-latine. Enfin, une espèce de messie tiers-mondiste. Il n'arrive pas à comprendre ce qui se passe dans la cavité de son peuple. Son seul souci maintenant reste cette bénite télévision qui continue à lancer ses théories et sa résistance. Elle lui sert plus qu'une arme de destruction massive. Il s'en sert à transmettre toute une artillerie, qui en fait se trouve ainsi plus meurtrière que celle engagée sur terrain.

L'infliction d'une zone de défense à la diffusion serait une mort silencieuse pour tout son régime. L'imposition d'un brouillage dans ces écrans qui perpétuent à prendre la révolution pour un homme serait un salut pour ces combattants. Il continue à sévir dans les plasmas d'El Jamahiriya, comme si rien ne se passait. Chant patriotique, démonstration de pro-défilés, lecture de pseudo-soutiens. Même les résidents de l'ile de Lampedusa où les citadins de la base militaire de la Sardaigne sont montrés comme des pro-Kadhafi.

Voilà que grâce à cette télévision, il arrive à pervertir l'information en usant de cadavres de citoyens tués par ses troupes pour les exhiber comme étant des victimes du sauvage canonnage occidental. Un journal télévisé permanent osant même faire le récit du tsunami nippon ou les marches de soutien organisées en sa faveur à Lima ou devant le siège du Pentagone. Tout confirme que la propagande finira de la même manière que finira son initiateur.

L'on se souvient de celle irakienne du temps de Saddam. Au moment où les GI's étaient à l'orée de Bagdad, son ministre de l'Information y est furtivement montré, monté sur les décombres de la ville, fustigeant à coups médiatiques la prise de Bagdad. Le soir même, l'écran s'est éteint. A l'aube, les Marines déambulaient sur les bords de l'Euphrate, éventrant les palais royaux.

Il semble que la surdité l'a atteint à tel point qu'elle cause en son «livre vert» des blogs noirs indéchiffrables par les clefs dont il est le seul à avoir possession. Le système de lecture lui refuse l'accès. Sa révolution pour ce peuple est une partie ternie de l'histoire post-69. Les raisons génésiaques à son soulèvement se sont toutes estompées. Le roi Idriss est parti. Il est vite remplacé par un autre s'appelant autrement. Son Etat n'est pas une constitution. Son parlement n'a pas de partis. L'expression populaire, à son sens, ne se débite qu'à travers la voix du maître. Du guide. Une tentative à la ayatollah. Il veut forcer le sort à lui réserver contre vents et marées une issue des plus mythologiques. Kadhafi compte devenir une marque de révolution. Il ne veut donc pas qu'elle soit déposée. L'exclusivité. Il a fait de cette pauvre contrée une hérésie, une blague à dimension étatique. Kadhafi ne rougit pas. Il a une tête osée. Un visage dur. Shih. Son bégaiement laisse transvaser un récit vers un délire personnel pris pour un régime politique. Il le fait croire, à coup de barils, à tous les courbeurs d'échine. Contre un baril de plus, il obtient une motion de soutien. Cette fois-ci, le jeu est en phase d'être ; pour lui fermé à jamais.

 Sa révolution va finalement solder ses comptes avec celle, une nouvelle version Facebook qui est en cours de chargement en Libye. Kadhafi est en cycle final de mener son dernier combat. L'ultime qui lui reste de ce reliquat de 1969. Le monde a changé. Les révolutions aussi. Son discours menaçant et belliqueux, sa folie d'assauts répétés laissent apparaître en sa personne un homme traqué par l'actualité et rattrapé par l'histoire. Sa télévision tente de réhabiliter le personnage en le mettant coude à coude avec Nasser, Tito et autres grands de dernier siècle. Il s'est dit «fusil à la main, je mourrai en héros». Même l'héroïsme d'antan n'est plus de mise. Le temps des Patrice Lumumba, Ernesto Che Guevara, Nelson Mandela, Fidel Castro et autres est une page, certes héroïque, mais tournée.

 Elle diffuse, cette télévision des extraits pleins d'enthousiasme populaire lénifiant la révolution de septembre, les différents serments prêtés à la sauvegarder, l'engagement eternel derrière le guide. Enfin, elle fait presque office d'un huissier de justice ou d'un notaire qui vient vous rappeler vos promesses et vous rafraichir un peu la mémoire. C'est démentiel !

Nous ne sommes plus en phase révolutionnaire à la tuniso-égyptienne. C'est une phase somalo-rwandaise. Une guéguerre civile, pas encore mûre pour se contenir dans une guerre. Car une guerre dans son sens civil traduit une relation belliqueuse entre différents mouvements sociaux, ethniques, idéologiques ou religieux. L'usage de l'armement en est un élément déterminant. Mais là, on assiste à un massacre perpétré par une armée dotée et équipée contre un peuple qui ne fait que de la résistance. La mesure n'est pas conforme. Elle n'est pas proportionnelle. La famille du guide veut s'éterniser dans les parois cervicales du peuple libyen. Le père en a abusé depuis plus de quatre décennies. Le massacre se commet à l'œil regardant du reste du monde.

 Le Conseil de sécurité de l'Onu avait mis beaucoup de temps pour décider du plan à appliquer. Sollicitant des autorisations par-ci, par-là, il aurait permis à toutes les forces intervenantes, d'abord d'occuper le terrain par leurs services spéciaux et canaux de renseignements, préserver leur éventuels intérêts matériels y installés, pour ensuite déclencher «l'aube odyssée».

Mais en réalité, l'on aurait puminimiser les dégâts par l'adoption d'autres approches. Ils pouvaient arrêter les tirs par la suppression du câble à cette terrible machine d'émission. Ils pouvaient faire éviter la mort d'hommes par l'extinction du tube cathodique. Chez ce Kadhafi, ce tube est plus criminel que le cylindre d'un mortier. Il produit de la peur au sein des insurgés, des révoltés, des révolutionnaires, enfin chez tous ceux qui ne sont plus d'appoint maintenant avec le guide. Mais aussi dans le cœur de ceux qui restent en attente. Ils finiront par croire que tout va bien, et qu'ils ne sont que des malfrats, recherchés par toutes les polices du monde. Le verdict salutaire et définitif des décideurs internationaux, cherchant à motiver l'intervention, n'est pas pour demain. Quoique le guide soit mourant, agonisant, il suscite néanmoins l'idée qu'ils sont là, ces coalisés, pour un baril et un placement d'œil sur une côte stratégique.

L'essentiel résidera cependant qu'il faudrait éviter, autant que faire se peut, de faire de ce Kadhafi un martyr à la Saddam. Pour cela, il faudrait réduire à néant ces pilonnages pris par quelques masses populaires comme une «hogra». S'il attire vers lui de la sympathie, la révolution serait un peu ébréchée. De toute façon, chaque jour qui passe est un jour en moins dans sa vie. L'on ne conquiert pas son peuple par l'aviation ou par l'artillerie. Mais par une petite boîte magique. Un écran plat. La télévision. L'on en connaît un grand bout, nous.