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2031, fin de transition

par Abdou B.

«Si l'homme est créé libre, il doit gouverner; si l'homme a des tyrans, il les doit détrôner»Voltaire

Le RND est catégorique. «Nous ne sommes pas de ceux qui pensent comment rester au pouvoir jusqu'en 2030". Ces propos de M. Chorfi, d'habitude plus pondéré, s'adressaient en fin de compte au secrétaire général du FLN qui, lui, ne cache pas ses ambitions en affirmant que son parti restera encore au pouvoir y compris en 2030. Mais pourquoi cette date et pas 2029 ou 2032 ? Mystère et boule de cristal ! Certains experts nationaux et étrangers estiment que 2030 n'est pas le fait du hasard, une simple maladresse verbale ou l'expression d'une ambition qui n'a rien d'anormal. Si les citoyens, en 2030, choisissent le FLN pour diriger le pays, il n'y aurait absolument rien à redire. La légitimité des urnes est indépassable et tout le monde doit l'accepter. Le fait, selon les expertises en question, l'année 2030 serait la fin, scientifiquement démontrée, de la transition actuelle, mais aussi et surtout, ce sera l'année de la fin des critiques, des traîtres, des ennemis du pays, des Kabyles dont la nationalité est soit incertaine, soit confirmée «ennemie» des révolutionnaires du pays.

 En 2030, beaucoup de ces «individus» seront portés décédés, exilés, grabataires, soit pour les plus jeunes enfermés dans des camps de rééducation dirigés par des commissaires politiques du peuple, ex-étudiants en Corée. Sous toutes les latitudes, la révolution, les vrais nationalistes «jaloux pour leur pays», qui ont crapahuté dur, les armes à la main, face aux armées coloniales, se défendent et éradiquent les ennemis de l'intérieur. Pour ceux de l'extérieur, on se remet à Dieu Tout-Puissant. L'engeance en question est constituée de réseaux connectés entre eux et avec l'étranger, ses ambassades et ses représentants de passage. Les naïfs se demandent pourquoi ces ennemis, qui ne sont pas présumés, ne sont pas déférés devant la justice au-dessus de tous. Parce que c'est compliqué et il est possible de se trouver devant des incidents diplomatiques (à cause des nationalités douteuses, etc.), des complicités au sein même de la justice, dans les zaouïas, les regroupements de notables sous-traitants etc., etc. C'est que le complot ourdi est énorme, et les ramifications multiples. Il est donc souhaité, hautement stratégique, de rester dans le flou, de citer des «parties», «d'aucuns», «certains»? Ce qui est en politique une navigation à vue, avec des adversaires sinon des ennemis fantômes, jamais identifiés, jamais déférés devant un juge, même s'ils sont traîtres, ennemis avérés et critiques. Et il y a du monde. Il y a les critiques artistiques qui ne sont pas dans la norme, et des intellectuels plutôt contestataires. Un Cheniki dont la compétence en matière de théâtre n'est plus à démontrer, un A. Zaoui, brillant écrivain et homme de culture, qui avait fait de la BN un haut lieu reconnu dans le monde, figurent parmi les énergumènes qui critiquent avec talent. Ce qui les rend indéfendables. Ils feraient de l'ombre à des «critiques» qui nous parlent d'un temps que les moins de quarante-cinq ans ne peuvent connaître. Il y a des jeunes qui veulent ériger un commerce informel là où ils veulent. Ils ne peuvent comprendre un refus alors que tous les espaces, théoriquement interdits, sont occupés par l'informel sur tout le territoire. Bientôt un fast-food sur les parvis de l'APN, des ministères, des hôpitaux (ça existe !), des commissariats? Il y a aussi des marcheurs empêchés de marcher, eux qui pensaient que l'état de siège est levé. Il y a des universitaires, des médecins, des enseignants qui contestent et protestent. Il y a la surprise de ce début d'année. Des journalistes du secteur public rejoignent ceux du privé pour «activer» la loi d'avril 1990 (tiens, tiens !) et la (re)création d'un haut conseil de l'information. C'est de la sédition pure et simple qui gonfle les chiffres des «ennemis», «traîtres» et autres nationalités douteuses. Des jeunes occupent des espaces, coupent des routes au moment où les architectes veulent une organisation démocratique. Les enseignants contractuels ne désarment pas, les étudiants préparent une marche qui sera sûrement interdite. Les médecins passent d'une grève à une autre au moment même où, quelque part dans le pays, des esprits naïfs mais volontaristes parlent du? tourisme en Algérie. Toute la planète sait, et les Algériens les premiers, que le pays ne sera jamais un pays attractif pour les touristes, mais on fait semblant, on en parle en prenant des ruses de sioux pour éviter de peser les vrais obstacles définitifs. La bigoterie dominante, les prêches du Moyen Age, le délabrement urbain, le règne sans partage de la saleté et des ordures dans tout le pays, la disparition des trottoirs (les touristes ne marchent pas au milieu de la chaussée, là où ils vont), le couvre-feu de fait sur le territoire où tout est fermé dès 20h, sombre et inquiétant... Si les Algériens vont en Tunisie, pourquoi les Européens, les Asiatiques et les Américains viendraient en Algérie, dépenser des euros et des dollars ? A coup sûr, les complots ourdis par les «ennemis» et les «presque pas Algériens» fonctionnent avec efficacité et chassent le touriste.

 Au beau milieu de la guerre en Libye, en plein massacre en Syrie, au Yémen, en Jordanie, à Bahreïn, Mme Hanoune veut une constituante alors que M. Belkhadem ne veut pas revenir sur les «acquis» de 1962 à ce jour. Pourtant l'Egypte et la Tunisie ont fait table rase d'un passé de dictature et avancent hardiment. Le chef héréditaire de la Syrie est bien revenu sur 50 années d'état d'urgence et le chef autoproclamé au Yémen évoque clairement son prochain départ. Khadafi est bel et bien fini mais le FLN, majoritaire au sein de la majorité, ne veut pas «brader» «les acquis de la Révolution». Une constituante ? Il ne manquerait plus que le programme du FFS ! Et pourquoi mettre de côté le projet du code communal ? Le fait que l'APN va se trouver avec un texte qui va subir un record d'amendements, plus nombreux que les articles, ne choque pas le gouvernement qui ne rêve que d'une tutelle, la sienne, sur les élus et les Assemblées. Il ne manquerait plus que l'élu soit légitimé par les urnes et échappe juste un peu à l'administration non élue ! Mais enfin.

 Heureusement qu'il y a quelques bonnes nouvelles. A l'heure où l'Occident, mécréant et néanmoins impérialiste, achève presque la guerre en Libye, avant de passer à un autre pays, l'UA innove et fait preuve d'une audace folle. Le club des rois fainéants a «une feuille de route» pour le cas Khadafi. L'OTAN tremble sur ses bases et l'armée américaine se replie dans la panique. Après avoir réglé en 2 jours le conflit en Côte d'Ivoire, l'UA promet qu'on va voir que ce sera la solution africaine qui va l'emporter en Libye. Amen !

 En attendant, il y aura de vraies bonnes nouvelles bientôt, aux plans politique, économique, administratif (plus de photocopies légalisées, le biométrique en cinq jours, les paiements obligatoires par chèque le 1er avril de la première année de fin de la transition évoquée plus haut, état civil reçu sur le net, etc.). Les TV privées sont annoncées avec 6 autres chaînes publiques sur une TNT à 25 chaînes gratuites et 6 payantes dès le Ramadhan prochain, la levée de l'état de siège sera réelle et partout, à partir de l'année prochaine? Le tout nous amènera à la fin de transition en 2031. Elle est pas belle, la vie !