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La hogra, instinct grégaire de domination

par Farouk Zahi

«Hogra : cette maladie de l'impunité, nourrie par le courage de la lâcheté » (Ali Akiki- cinéaste).

Transcrit de l'arabe parlé, ce vocable ne pouvait trouver meilleure définition que celle donnée dans un récent hommage-épitaphe consacré au défunt Mohamed Benmebkhout alias Mahmoud Skif. (1). La hogra, ce véritable fléau social a, immanquablement, fait le lit de tous les dénis que l'entendement humain ne peut accepter et quel qu'en soit l'auteur. Viscérale, la rage de se faire justice par tous les moyens devient, un morbide leitmotiv. Faute de régler son compte avec l'agent public, auteur du « délit », on se vengera sur sa représentation matérielle ou symbolique. Cette extériorisation par le geste violent, instinctivement animal, est générée par le sentiment de frustration devant le non droit. Le recours consacré par les textes n'est, enfin de compte, qu'un ballon de baudruche.

Que pouvait ressentir ce petit fonctionnaire devant la machine répressive (excavateur) d'un wali qu'il instrumentalisait sur le champ pour détruire sous les yeux d'une assistance nombreuse et muette constituée d'élus locaux et de responsables civils et militaires, le logis qu'il comptait édifier pour ses enfants ? S'il est vrai que la construction ne respectait pas les règles d'urbanisme, les textes fondamentaux du pays font le distinguo entre les divers appareils chargés du respect des bonnes règles.

Par le passé, l'abus d'autorité constituait l'exception et s'inscrivait dans le registre des déviations, il trouvait toujours réponse auprès d'une hiérarchie soucieuse de son image de marque. Malheureusement les temps qui ont bien changé, ont confiné toute réclamation ou protestation dans une sorte d'omerta ambiante. Exercé sans état d'âme, l'affront est souvent public et sous l'œil placide d'une assistance résignée. Le supérieur hiérarchique ameuté par le tumulte, ne fera pas mieux, il s'érigera dans le meilleur des cas, comme arbitre neutre s'il ne prend pas, carrément, le parti du subalterne. Le plaignant, étiqueté d'excessif, risque le panier à salade du service d'ordre appelé à la rescousse. Les agents dits de sécurité, ne semblent être plus chargés des éventuels débordements exogènes mais endogènes. On peut admonester et malmener physiquement tout contrevenant à l'ordre qu'ils ont, eux-mêmes, établis. Un pauvre quinquagénaire s'est exposé la semaine dernière, au courroux d'un postier de l'âge de son fils avec le refus de décaissement en prime : « La kh'lost ana machi radjel ! ». Intraduisible, la sentence virile a toute les chances d'être exécutée par l'ensemble du bureau de poste. Le public docilement aligné ne fera, dans le meilleur des cas, que hocher de la tête. Certains même s'en iront jusqu'à dire : « pour qui se prend-il celui là ?... il n'a qu'à attendre (subir) comme tout un chacun ! ». Cette lâcheté résignée a encouragé toutes les dérives, elle s'est insidieusement installée dans les mœurs quotidiennes d'une communauté qui semble s'y complaire. Si l'affront à l'endroit de l'usager est admis par tous, à l'endroit du chef, il prend une autre tournure. La réaction, le plus souvent cinglante, est érigée en dogme. On commence par la suspension immédiate avant la procédure disciplinaire. On fera fi des dispositions réglementaires régissant la chose. La galère du mis en cause peut durer des mois, voire des années. On connaît le sort des fonctionnaires pris dans la spirale de la procédure judiciaire. Pour rappel, le sort funeste de ce cadre intègre de Sonelgaz, acquitté 48 heures après sa mort en prison, n'est pas prêt d'être oublié par ses proches et ses anciens collègues. Ces mères accompagnées de ribambelles d'enfants jetées à la rue font, désormais, partie du décor. Les sempiternels discours sur la protection légale de la mère et de l'enfant ne font que conforter la conviction bien établie que le beau rôle est à celui qui tient le manche de la cognée par le bon bout. Les paliers d'immeubles sont régulièrement animés de curieux à l'écoute de cris hystériques d'épouses ou de filles qu'on tabasse sans égard.

Mohamed Gharbi, cet ancien maquisard et patriote qui a eu à défendre son pays à deux reprises dans sa longue vie ne doit pas comprendre ce qui lui arrive. A bout de patience, il ne pouvait contenir cette pulsion criminelle qui l'a conduit à la détention voilà dix longues années déjà. Il dit avoir alerté les autorités compétentes censées le protéger contre ce qu'il croyait être une atteinte à son honneur et à sa dignité, mais en vain. Il ne se trouvera, peut être, personne pour valider ses allégations. Si la victimisation par le fait judiciaire, est toujours perçue comme excessive, elle ne demeure pas moins, admise dans une large proportion.

On parlera alors, de lourdeur de la main de la justice sans préjudice des voies d'appel quant à l'arrêt rendu. Quand elle est, par contre, le fait d'une hiérarchie elle en devient insupportable. La subjectivité dans ce cas, ne laissera aucune place à l'empathie ce qui aboutira forcément aux situations calamiteuses de « mise à mort ». Il ne sera tenu compte d'aucune circonstance atténuante ni de recours. Il est de triste mémoire ces arrêts ministériels qui relevaient de leur fonction, sous l'œil jubilatoire de caméras voyeuses, des cadres présumés coupables de mauvaise gouvernance (le mot étant à la mode).

Les incommensurables dégâts psychologiques subis sur l'entourage familial, notamment les enfants, ne peuvent être justifiés que par l'instinct de nuire. Sinon, comment expliquer cette volonté hargneuse de démolition morale ? N'est ce pas là, les formes raffinées de la hogra sublimées par de lâches postures béates, parfois mêmes goguenardes ?     Les réhabilitations inconséquentes ne feront que conforter le fait reconnu du déni érigé en autoritarisme abusif.