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Deux pays, deux ratages

par K. Selim

Le règne de Mohamed VI est un «rendez-vous raté avec l'histoire». C'est Moulay Hicham, le prince «rouge», celui qui dérange si fortement au palais royal, qui le dit au journal Le Monde à la veille de la parution d'un livre intitulé le «journal d'un prince banni». Une de ses idées-forces est que le Maroc n'évoluera pas sans abolition du Makhzen qualifié de «pouvoir néo-patrimonial qui empêche le développement économique» et de «système de prédation et de subjugation». Pour lui, sans abolition du Makhzen, la monarchie en payera le prix. Mais le plus remarquable est ce jugement tranchant sur un ratage d'une opportunité historique pour un monarque qui avait au moment de monter sur le trône, en 1999, de vraies cartes pour engager le pays vers le changement et la modernité.

Hormis la différence d'âge entre Abdelaziz Bouteflika et Mohamed VI, on est frappé par cette similitude sur les possibilités d'un changement de cap ou d'une transition qui ont été dilapidées au profit de la préservation du statuquo. Les deux hommes ont accédé au pouvoir durant la même année 99. Au Maroc, la forme ultra-autoritaire de la monarchie sous Hassan II était arrivée à une forme d'impasse qui a automatiquement créé de l'espoir pour le nouveau règne. Hassan II avait, lui-même, entrouvert les portes d'une réforme à la fin de son règne pour justement aider son fils à profiter d'une dynamique positive. Elle n'a pas été mise à profit. En Algérie, malgré une élection très fortement affectée par le retrait des six candidats à la présidentielle de 1999, les conditions d'un changement «contrôlé» étaient réunies. Les islamistes armés ont été vaincus militairement, les politiques du FIS lâchés - et affaiblis - par Madani Mezrag qui a négocié sans eux et une société fatiguée par des années de violences qui était disponible pour un changement ordonné.

Or, ces conditions n'ont pas été mises à profit pour aller de l'avant dans l'aggiornamento du système. Bien au contraire, Bouteflika aura surtout œuvré à remettre en cause les rares avancées dans l'optique de rétablir la plénitude du pouvoir tel qu'il prévalait sous Houari Boumediene. Sa première cible aura été de remettre en cause l'existence même d'un chef de gouvernement qui serait l'expression d'une majorité parlementaire. Il l'a éliminé de facto - d'où la démission de Benbitour qui constatait que la « tradition» qui voulait que les dossiers économiques relèvent du chef du gouvernement était remise en cause par le poids des conseillers présidentiels - avant de le formaliser dans la Constitution. Le Parlement perdait de ce fait la possibilité, permise virtuellement par la Constitution, d'être un lieu important de la politique.

Qu'observait-on en parallèle au Maroc ? Le même cheminement avec un gouvernement formellement en charge des affaires mais réellement supplanté par le «gouvernement du palais» constitué par les conseillers du roi. La similitude est tellement frappante entre les deux pays en dépit de l'état d'animosité qui règne entre eux qu'aujourd'hui on n'hésite plus à parler d'évolution «makhzénienne» en Algérie avec le poids de l'argent et la dévitalisation générale des institutions formelles. Les rendez-vous ratés avec l'histoire au nom d'une «stabilité» régressive ne sont, cependant, pas de la même voilure. L'Algérie est une République, le mouvement et le changement sont présumés faire partie de sa vocation historique. Et de ce point de vue son ratage avec le tournant historique est plus lourd que celui d'une monarchie encore largement fondée sur les allégeances traditionnelles.