Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Les jeunes, l'autre enjeu électoral

par Cherif Ali

Les jeunes, en âge de voter, représentent quelque 45,12% du corps électoral ; les abstentionnistes se recrutent, globalement, dans leur catégorie, d'où l'intérêt des candidats à la présidence de la République, qui s'adonnent à une surenchère féroce pour capter les voix de ceux, d'entre eux, qui iront aux urnes.

Tous y vont de leurs promesses : un «Revenu National Minimum» pour les sans-emplois dit l'outsider Ali Benflis, même si beaucoup y voient un «copié-collé» du RSA Français «Revenu de Solidarité Active», irréalisable en Algérie, car 30% des allocataires en France ont un travail et ce revenu-là, n'est qu'un complément pour eux, ce qui n'empêche pas le candidat de surenchérir avec la réduction du service national, le logement et l'accès des jeunes aux responsabilités nationales, rien que ça ! En face, dans le camp du favori, on leur promet une réévaluation du dispositif du microcrédit existant, plus le logement pour les célibataires et les étudiants en plus des facilités qui seront accordées à ces derniers de créer leur start-up, au sortir de l'université, avec, s'il vous plait, un appui financier des pouvoirs publics !

Et le must, il faut aller le chercher du côté des lièvres, chez le candidat Abdelaziz Belaïd, qui nous fait sa crise de «jeunisme» à 50 ans et qui promet aux jeunes le «pouvoir» et aux vieux le «mouroir».

Loin du tohu-bohu dont ils sont pourtant l'enjeu, les jeunes d'aujourd'hui, veulent vivre leur temps, étudier juste ce qu'il faut pour un certain nombre, trouver un job pour beaucoup et se marier pour la plupart, leur problème n'est pas que matériel, et ça les candidats et la candidate à la présidence de la République ne l'ont ni perçu ni compris !

Nos jeunes ont le «blues», connaissent le «spleen» et leurs problèmes ne se résolvent pas à coup de place dans un marché, fut-il «parisien» ou par l'attribution, au pied levé, d'un local, pour l'exercice d'un hypothétique commerce sans lendemain.

Et la solution à leurs avatars ne se réglera pas par des «promesses- bidons» à la hussarde, ni par décret, encore moins par le biais d'un miraculeux plan Marshall, et tous ceux qui pensent avoir trouvé l'angle parfait pour résoudre cette question des jeunes et de cette manière, font fausse route.

Aujourd'hui par exemple, voyez par vous-même, à la question posée «Et la jeunesse ?» on vous répond ! «Quelle jeunesse ?»

Et pourtant, les jeunes sont partout dans la rue, jour et nuit, dans les cybers, bus, voitures, marchés, stades, sans oublier les murs et les halls d'immeubles, qui restent, leurs endroits de prédilection.

Et une fois encore, à la question qui leur est posée : «qu'est-ce que vous attendez des élections présidentielles du 17 avril en tant que jeunes ?» On vous répond : «nous n'attendons rien du tout, absolument rien !» Ça résonne comme une sentence de tribunal. Ça tombe comme le couperet de la guillotine.

Et le problème est tellement profond qu'il n'a pas, comme de bien entendu, échappé à la sagacité de Abdelmalek Sellal qui lors de ses sorties dans les wilayas, n'est pas allé par quatre chemins pour dire aux walis et à tous les responsables locaux, sur un ton aussi péremptoire qu'émotionnel : «Laissez les jeunes souffler, laissez-les vivre !».

Pour souffler déjà, beaucoup de jeunes ont pris le parti d'arrêter les études ; une grande proportion des 16-20 ans n'est plus intégrée au système éducatif ; d'autres, franchement, n'avaient ni les aptitudes ni l'envie de continuer leur scolarité au-delà du collège. Les 16 ans et plus, sont ceux ayant raté le B.E.M et l'entrée au lycée, non sans avoir au préalable, redoublés de quelques classes ; les 20 ans et plus constituent la tranche des recalés du B.A.C et de leurs congénères qui l'ont passé et repassé, en vain.

Donc, l'école, le lycée, ils les quittent qui forcés, qui usés, mais en tout les cas sans regrets, car ces jeunes là sont dans l'insouciance des lendemains ; même le système éducatif a bonne conscience et s'en sort quitte ; il est certes décrié, mais il continue néanmoins à remplir l'objectif républicain qui lui est assigné, à savoir : «l'école obligatoire jusqu'à 16ans ».

Oui mais entre temps, il y a eu la libéralisation de l'enseignement avec l'ouverture des écoles et lycées privés, avec paraît-il, des meilleurs résultats et une pédagogie plus adaptée aux «apprenants», mieux que ce qui est dispensé par l'école publique aux dires des parents qui acceptent de faire des sacrifices, les autres, sont résignés pour la plupart, car pris par les vicissitudes de la vie.

D'autres parents, tentent tout de même, de jouer un rôle d'appoint en investissant les associations, fructifiant, ainsi, le partenariat parents-écoles ; cela se traduit par une proximité avec les professeurs et un marquage « à la culotte» de leurs enfants : révision strict des devoirs à la maison, sans oublier les fameux cours de soutien dispensés dans les conditions et aux tarifs que nul n'ignore. D'autres parents plus laxistes, s'en remettent aux seuls enseignants ignorant tout du cursus de leurs enfants et surtout des problèmes des premiers nommés.

Les enfants, pour leur part, passent à l'école le temps qu'il faut et les rues s'emplissent et se vident à leur rythme. Va et vient complexe : c'est toujours l'heure de l'école pour quelqu'un, non sans crainte au regard de tous les faits divers dont les enfants sont victimes.

Le cap du primaire passé, le gros de la masse des élèves accède au collège, grâce aux cessions de rattrapage dès la 6éme pour un grand nombre qui, en prime, quittent le primaire avec une scoliose, pour cause de cartable trop lourd et de chaise cassée ou mal ajustée.

Au collège, le changement réside principalement dans l'infrastructure et les données restent les mêmes : enseignants au rabais, effectifs surchargés, programmes inadaptés, manque de professeurs de français, quand ce n'est pas ceux des mathématiques, cantines et ramassage scolaire inexistants, tout comme le chauffage d'ailleurs.

Et à toutes les étapes, les élèves «apprennent, beaucoup plus qu'ils ne comprennent». Le brevet d'enseignement moyen signifie, pour ceux qui ont redoublé de classe, l'élimination en cas d'échec. En tous les cas, les objectifs de l'école fondamentale sont saufs :

l la règle de l'école obligatoire a été respectée.

l aucun élève n'est exclu avant ses 16 ans et la réussite au B.E.M.

Ceux qui rentrent au lycée, ne visent qu'un seul objectif : le baccalauréat et l'entrée à l'université où ils se retrouveront dans des campus «au service minimum» en matière d'amphis, de réfectoires, de chambres et de moyens de transport ; beaucoup d'étudiants se contenteront d'un label «enseignement supérieur» peu significatif, au regard des lacunes qu'ils ont accumulé dans leur scolarité, dès le primaire, le collège et le lycée.

Ajouter à cela, l'absence d'éléments culturels extérieurs à l'université à même de compenser la faiblesse de leur niveau, tels que les livres, les dictionnaires, les ordinateurs en nombre insuffisant ; dans ces conditions, à quelles connaissances, quels sujets de réflexions, les étudiants peuvent-ils accéder par eux-mêmes ? en l'absence de documents et d'ouvrages de référence ? Une infime minorité est familiarisée avec les livres et une majorité n'a jamais tenue entre ses mains un quelconque ouvrage ou simple roman. Pour les exposés, un seul salut pour les étudiants : le copié- collé ! Pour la majorité déjà, avoir simplement la moyenne demande des efforts titanesques. Ils ne sont pas découragés pour autant, car au bout du compte, ils sont gagnés par la certitude d'obtenir, quoiqu'il advienne, un diplôme à la valeur intellectuelle douteuse, mais socialement monnayable.

En définitive, on peut dire que l'université algérienne donne le diplôme sans assurer le savoir.

Au sortir de l'université, on se met encore une fois à poser la question à tous ces jeunes diplômés : «wech les jeunes, kifech, kech khedma ?» Et la réponse est cinglante : «l'Algérie ce n'est pas un pays pour les jeunes, c'est pour les pistonnés ; les meilleurs d'entre- nous font la queue au filet social, à l'ANSEJ ou à la mairie pour acquérir une place au marché» Ça c'est les diplômés qui parlent, les autres, les 16-20 ans qui n'ont été intégrés ni dans le système éducatif, ni enrôlés par le marché de l'emploi, se partagent la rue et se disputent les parkings sauvages et encombrent les tribunaux.

Des stages de formation professionnelle semblent être la solution pour certains, pour d'autres, c'est les affaires, où l'emploi informel, quand ce n'est pas le trafic de drogue. Mais dans l'absolu, tous ces jeunes, s'accordent à dire que seul l'emploi peut les stabiliser dans leur vie de tous les jours ; ils ne s'interdisent pas de rêver d'avoir un logement et la cerise sur le gâteau, se marier.

Alors, posons-leur encore une fois la question : «avoir un logement, une fois que vous serez mariés ?» «non, non ! avant, sinon ce n'est pas possible, car avec la famille ça ne marchera pas !». Et ici «le laissez-les vivre» du Premier Ministre, prend tout son sens. Ces jeunes veulent vivre leur temps et se construire en dehors du cocon familial : travail- logement, ces deux mots sont dits à l'unisson, le mariage suivant de très près.

En fin de compte, la jeunesse serait bien un mythe dont la spécificité apparait très mal : rien ne lui est destiné en propre ! «On a une vie programmée comme un âne qui va labourer le matin et revient le soir» me disait un jeune. «Et s'il n'est pas nécessaire d'aller labourer, je reste au lit jusqu'à midi. Là, je me fais virer par ma mère, mais si on me laissait tranquille, je dormirais jusqu'à 16 heures».

Quant à voter, mieux vaut ne pas poser la question !

Et notre société, se cherche encore pendant que «son armée inutile de jeunes», en errance, n'en finit pas de grossir ! Tous rêvent d'Europe : «là-bas, la vie est plus facile, disent-ils»; même les diplômés de l'enseignement supérieur, font le même rêve «pour valoriser leur formation et leur diplôme», prétendent-ils, «pour acquérir le savoir et revenir» surenchérissent les plus futés parmi eux.

Nos jeunes aiment le pays et ils veulent le quitter : quel paradoxe ! Telle est l'équation que doivent résoudre nos candidats et notre candidate à la présidence de la République, au lieu de s'engager sur des promesses qu'à l'évidence, ils ne pourront jamais tenir !

Pendant ce temps-là, l'expression « la jeunesse perdue» continue à fleurir dans la bouche des ainés et même des politiques.

On peut au regard de la demande des jeunes «emploi-logement-local commercial», déplorer sur le principe, leur mentalité d'assistés, mais sur un autre registre, on ne peut que blâmer tous ces gouvernants, tous ces candidats qui pensaient régler le problème de la jeunesse «en quelques lignes dans leur programme électoral».

Les jeunes, en réponse, disent qu'ils ne s'intéressent pas à la politique. C'est en fait le verbiage politique et la langue de bois qu'ils rejettent ; ils sont fatigués des promesses sans lendemain et de l'intérêt qu'on leur manifeste soudainement la veille des élections où tous les candidats et la candidate les courtisent et vont même jusqu'à négocier leur présence dans leurs meetings.

Certes, l'Etat a favorisé l'enseignement, construit des logements, des routes et des hôpitaux. C'est suffisant, ce n'est pas assez, le problème n'est pas là, car aujourd'hui, il est peut être victime de son succès ou de son omnipotence ; il est, présentement, confronté à la triple rébellion du social, de l'enseignement et des libertés :

1. du social tout d'abord, qui est dans le même temps soumis aux exigences économiques de profit, de rentabilité et corrélativement, de grèves et de conflits sociaux.

2. de l'enseignement ensuite, incapable de se mettre à niveau dès lors qu'il ne s'est préoccupé que du quantitatif au détriment du qualitatif.

3. des libertés, enfin, qui font partie des acquis et des réformes ; souvent, les jeunes ne savent pas quoi dire mais ils savent, pour les plus férus, l'exprimer à travers les réseaux sociaux et les forums les regroupant : pour passer le temps» disent-ils et aussi quelques messages qu'il appartiendra aux ainés, notamment ceux qui sont au pouvoir, ou qui s'apprêtent à le prendre par l'urne, de décoder.

Il faut dire que beaucoup reste à faire au plan social, mais aussi générationnel, sinon comment expliquer, que 50 ans après l'indépendance un jeune algérien sur cinq ne connait de la guerre de libération, que les récits familiaux, ou ce qu'il suit, cycliquement, à la télévision, comme reportages redondants, sur les maquis ou les hommes qui ont fait la révolution.

Il faut avoir le courage d'admettre, aujourd'hui, que ce qui était charnel pour les moudjahidines n'est plus qu'un «ouï-dire» pour les adolescents, tant que l'histoire n'est ni écrite ni enseignée correctement.

Le fossé se creusera davantage entre les générations, les jeunes estimant, aujourd'hui plus que jamais, qu'ils n'ont pas eu la part de pétrole qu'il leur revient, ou les postes de commandement auxquels, légitimement, ils aspirent, 52 ans après l'indépendance et qui exige une «transmission générationnelle du pouvoir» maintenant !

Nos jeunes, c'est connu : quand ils adhèrent, ils aiment jusqu'à en mourir, comme par exemple, quand ils fêtent les victoires de l'équipe nationale de football et les accidents qui s'en suivent et quand ils détestent, c'est en masse qu'ils l'expriment !

Et toutes les promesses électorales, aussi mirobolantes soient-elles, n'y changeront rien.