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Ils ont tout et rien dit

par El Yazid Dib

«Les campagnes électorales sont une excellente occasion de dire n'importe quoi, que ne surpassent peut-être que les lendemains d'élections» Jean Dion

Sortir des salles, détruire en esprit leur clôture demeure un assaut salvateur pour ceux qui veulent affronter l'ire collective et amadouer la méfiance qui taraude la rue et les placettes publiques.

Morose et inclusive, la campagne s'essouffle avant son entame. Elle se passe viralement dans des salles. Seuls les intéressés y ont l'information. Le reste, reste rivé à la rumeur, aux journaux ou au zapping.

L'on tente toutefois de lui injecter des ingrédients à même de cahoter sa léthargie. Apres les coups dans l'eau de certains anciens ténors silencieux depuis des lustres et qui recouvrent les vertus de la voix, voila que d'autres aussi se mettent à la sauce. Zeroual, Hamrouche, Ghozali, Bencherif ont essayé de narguer l'actualité pour en extraire les déficits d'alimentation énergétique, se voulant encore paraitre dans la peau de tenants de quelques bribes dans la production de l'acte politique. Rien d'essentiel n'a été rapporté à un temps plein de suspicion d'un coté et rassasié de certitude de l'autre coté. Tout ce qui a été débité est connu, sinon dépassé.

La certitude en question, l'unique porte sur le verrouillage tant braillée d'une élection que l'on dit prématurément fermée. Pourtant il en reste, ces voix qui pourraient également apporter des décibels en vue d'une hypothétique réviviscence d'une campagne moisie et infertile. Nezzar n'a pas parlé, lui qui a le mérite de briser les tabous et briser les cadenas de chasteté d'un système politique trop verrouillé sur les bords. Le bavardage n'est cependant utile que s'il est suivi d'actions ou d'inspiration à l'action. Zerhouni homme impassible et réservé, longtemps architecte de la trame systémique d'un régime fiévreux n'a dit mot et ne semble pas paré pour en dire davantage que le silence impérial qui l'estampille. Taleb Ahmed s'est confiné à son tour dans une observation lui ôtant toute interférence dans la scène nationale, tant certaines parties pivotant autour de son idéologie positionnelle ont marqué leur périmètre. Le FIS aurait opté pour une attitude d'indifférence ne favorisant ni les candidats, ni ceux qui les boycottent. Une suggestion d'une phase transitoire ne peut s'assimiler à un appel de vote ou d'abstention. Belaid, Sifi et autres icones nationales donnent le signal de la mort politique. La leur. S'ils ne se sont pas exprimés, cela supposerait que plus rien ne les intéresse, que leur état de santé à vivre dans un retrait des plus meurtriers et en retraite de la realpolitik. Le pire pour un spectateur d'une œuvre, c'est de ne pouvoir ni applaudir ni huer les auteurs. Placardé devant un écran, les yeux plantés à un journal ; seul le soupir se hisse au firmament de la poitrine pour traduire une expression aphasique.

Tout est à l'heure de la timidité. Cette campagne n'a pas encore commencé nonobstant une semaine après son lancement. Ici dans ce bourg rendu pseudo-cosmopolite par l'effet visionnel de toute part ; la vie du jour n'a pas la tête dans les affiches. Non accrochées, de peur d'être cisaillées ; ces portraits que crève un visage au regard voulu bon enfant, n'ont pu éveiller le moindre clic chez les spectateurs qui comparativement aux législatives ou communales s'arrêtaient pour épier et scruter les candidats. Là, dans ces présidentielles tous les candidats même sans images sont connus.

Chacun d'eux draine derrière lui une histoire. Grande ou petite. Héroïque ou banale. Réelle ou virtuelle. Dans le grand boulevard, les quelques colonnes en métal servant à l'affichage électoral ; restent debout, placides et totalement silencieux devant les commentaires des uns et la diatribe des autres. Ah, si ces panneaux avaient des oreilles ! Ils iront raconter à ceux qui n'y sont pas encore pendus les différences d'avis.

Il n'y a pas dans une seule permanence visitée, une personne qui aurait le sens de la croyance avec programme et argumentation en bout, face à de badauds, de curieux, ou de sympathisants en quête de dissiper définitivement leur incertitude. Il n'y aurait, en dehors des véritables guérilléros avérés et certifiés, qu'une clique de passionnés et d'enthousiasmés en voie d'engagement.

Les bureaux foisonnent à chaque coin de rue. Des grosses banderoles, avec une effigie du candidat qui vous saute aux yeux restent l'unique enseigne politique qu'ici l'on semble faire de la politique. A l'intérieur, parfois un personnel enrégimenté du filet social escamoté à toute législation de travail, se limitant à un gardiennage des lieux. Rien n'est engagé comme débat. Dans les salles, rendues en l'espace d'une journée aux couleurs du candidat de l'heure, l'on y voit que de la famille. Des galas, des sorties libres, des convivialités de marchés sont absents au profit d'une entrée sélective, renforcée aux portes de ces salles de show politique. La séance du discours n'est perçue autrement que dans la foule choisie, l'attroupement dirigé et les vivats sollicités. C'est comme l'on se bat pour convaincre les siens, ceux qui apparemment sont déjà convaincus. Alors que la bataille d'une campagne se trouverait en extra-muros du sentiment d'appartenance au candidat. Elle devrait se passer ailleurs que dans un terrain conquis. Le citoyen indécis, l'électeur en quête de la bonne adresse n'ont pas trouvé de preneurs. Le matraquage télévisuel, les reportages d'un temps diplomatique révolu, les phrases brèves et intempestives rapportées ne servent à rien, tant que le bulletin de vote demeure la propriété privée de son détenteur. A quoi serait-dû cet écart citoyen dans l'intérêt d'une élection jugée encore et pour la énième fois grave et axiale ? L'éternité des demandeurs du siège présidentiel semble être le premier indice de cette évasion électorale. Les candidats présentés sont usés, réchauffés et sentent la compromission. Chacun d'eux, continue de dire pour l'avoir déjà dit pouvoir remodeler le régime, une fois élu. L'Algérie n'a pas enfanté uniquement ces visages. Elle est pourtant généreuse en termes de procréation de personnages déterminés pouvant avoir la capacité de faire finir la prodigalité et l'inconstance politique. Les candidats ou leurs représentants ne cessent de rabâcher, presque à l ?unanimité les jeunes, l'emploi, le logement, la hogra, la harba. De tels synopsis sont mêlés à toutes les sauces orales. L'islam, la société, les mœurs font un langage commun sans nulle différence de l'un par rapport à l'autre. Aucune audace d'aller très loin dans le bouleversement des choses n'est à remarquer. Aucun acte révolutionnaire n'est venu se transcrire dans le discours. Dragueurs de affluences, charmeurs d'auditoires, voila ce que sont ces tribuns. Ce n'est pas évident, qu'uniquement par son rang d'ancien premier ministre capricieux, parfois se voulant constant que l'on aspire à faire changer le sobriquet d'étiquetage que l'on vous colle. La fatalité si elle était miséricordieuse envers vos volte-faces et vous gratifie encore d'une chance conjoncturelle pourrait broyer à jamais les infimes relents d'une obséquiosité enjointe pour laquelle vous n'y êtes que prédestiné. C'est facile de pouvoir convertir ses positions chaque jour, soit à chaque rappel, mais c'est impossible aussi d'arriver à vous refaire une virginité quelque soit le poste en mire. Même dans les directions de campagnes tout est à l'urgence et à l'amateurisme.

Ce n'est pas, parce que l'on a été Wali dans une contrée avenante ou un second ministre à l'ombre à une époque équivoque que l'on peut croire à la facilité des choses. L'acte politique n'est pas un acte d'autorité. Dans ce monde d'élections l'administration appartient à un autre monde où la règle écrite est un droit, quoique pertinemment bafoué. Seule l'évidence et le bon sourire peuvent décanter les couacs d'une permanence mal entourée. Le secours apporté à son choix ne doit pas se limiter à rassembler uniquement les siens. Il doit s'étendre justement aux autres et viser le recrutement d'autres, de surcroit parmi les potentiels antagonistes. N'est-ce pas là le véritable sens du management stratégique qui stipule comme un credo sacro-saint que rendre les ennemis en amis est la prouesse des big-boss ? Alors venir se sauver et sauver son choix n'est pas en fait le bon choix du moment. Le président-candidat, à la date du 18 avril risque d'être pris en otage par une victoire qui sera à son tour otage de monopole. Chacun y verra son empreinte et se l'appropriera. La masse votante ne sera donc, en fin de parcours qu'une rançon à glaner par les uns et les autres. Il est encore temps de pouvoir redresser la trajectoire. Sortir des salles, détruire en esprit leur clôture demeure un assaut salvateur pour ceux qui veulent affronter l'ire collective et amadouer la méfiance qui taraude la rue et les placettes publiques. Barakat ne fait pas son spectacle dans des salles, c'est la rue avec ses décors variés qui lui tient lieu de grand espace non clôturé. Aller prêcher là où l'inverse se fait est un vrai militantisme. Mais se fier dans des fauteuils et des bureaux calfeutrés et souhaiter la résurrection du messie, on risque de trop espérer et en vain. Pour les autres rappelés au service d'une besogne, faire un tour et prendre un micro le temps que la salle s'échauffe, sachant de qui et comment elle est remplie s'est se leurrer ou duper son candidat. C'est un exercice comme l'on pratique une fonction, l'on se pointe et pointe son émargement et l'on attend sa solde.