Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Ghaza : la vérité est bombardée, Google devient complice du silence: « Nous savons trop bien que notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens.»1

par Khelfaoui Benaoumeur*

Chaque jour, à Gaza, des dizaines de morts s'ajoutent à la liste macabre des bombardements, de la famine et des files d'attente brisées par la mitraille. Pendant que les bombes pulvérisent les corps, des multinationales du numérique - à commencer par Google - orchestrent la guerre de l'image et anesthésient l'opinion. Le silence international n'est plus une simple lâcheté : il est une complicité active. Gaza n'est plus une ville. Gaza n'est plus une terre. Gaza est devenue une blessure à ciel ouvert, un gouffre d'humanité où chaque jour des dizaines de corps s'empilent sous les décombres, dans les ruines des tentes, sur les routes où l'on faisait la queue pour un peu d'eau ou un morceau de pain. Ici, la mort n'a plus besoin d'être annoncée : elle est le quotidien, elle est la respiration de chaque enfant, de chaque mère, de chaque vie promise à l'effacement.

À Gaza, les cimetières sont saturés, les morgues débordent, et l'air lui-même porte l'odeur du deuil. Des enfants meurent non pas d'une maladie incurable, mais d'avoir tendu la main pour un bout de pain. Des mères enfouissent leurs enfants dans la poussière et s'accrochent encore à l'idée que le monde finira par les entendre. Mais le monde ne répond pas. Le monde regarde ailleurs.

Une famine provoquée par l'homme

L'ONU elle-même l'a reconnu : une famine massive ravage Gaza, conséquence directe du blocus israélien. Une famine « entièrement provoquée par l'homme », aggravée par les bombes, accompagnée par les armes occidentales.

Le rapport est clair : ce ne sont pas des catastrophes naturelles, mais une volonté politique d'éteindre un peuple. Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l'alimentation, écrivait : « Une famine provoquée par l'homme est un crime de masse, un assassinat prémédité. » Voilà exactement ce qui se joue à Gaza : un assassinat collectif, mis en scène en direct et en silence.

l Quand l'information devient une arme

Dans ce carnage méthodique, il ne s'agit pas seulement de détruire les corps. Il s'agit aussi d'éteindre la vérité, d'anesthésier l'opinion internationale, de recouvrir la poussière du massacre d'un vernis médiatique. Comme l'avait dit Malcolm X : « Si vous n'êtes pas vigilants, les médias vous feront aimer l'oppresseur et détester l'opprimé. » Voilà le cœur du drame.

Car pendant que les bombes tombent, les images sont trafiquées, sponsorisées, achetées. Des documents révèlent que Google a signé un contrat de 45 millions de dollars avec le bureau de Benyamin Netanyahou pour relayer la propagande israélienne via YouTube et sa régie publicitaire. Un contrat de sang. Un marché de l'oubli. L'entreprise qui prétend « organiser l'information du monde » devient ainsi la cheville ouvrière d'un récit mensonger qui maquille les crimes, blanchit l'horreur, transforme les victimes en coupables et les bourreaux en victimes supposées.

Les algorithmes comme champs de bataille

Est-ce cela la neutralité technologique ? Est-ce cela la liberté de l'information ? Non. C'est la complicité pure et simple, la mise en location d'un empire numérique pour couvrir un génocide. Car oui, le mot doit être prononcé : génocide. Et Google, X (ex-Twitter), Outbrain, Teads et d'autres plateformes deviennent les nouveaux mercenaires de ce crime. Leurs algorithmes servent de champ de bataille. Leurs écrans deviennent des tranchées où la vérité est enterrée.

Tandis que des enfants meurent de faim, les dividendes du mensonge grossissent sur les places financières de Californie.

Ce ne sont pas de simples « campagnes publicitaires » : c'est une guerre psychologique, une guerre contre la conscience.

l Le silence comme arme de destruction massive

Les vidéos sponsorisées, vues des millions de fois, répètent qu'il y a de la nourriture à Gaza, que la famine est un mythe, que les bombes ne visent que des terroristes. Mais qui peut encore croire à ces fables quand les hôpitaux sont rasés, quand les écoles de l'ONU sont bombardées, quand les cadavres d'enfants alignés sous les bâches bleues témoignent d'une vérité qu'aucun algorithme ne peut effacer ?

Le silence international est plus qu'un scandale : il est un crime par omission. Edward Saida l'avait dit avec une clarté implacable : « La question de la Palestine est avant tout une question de justice, et non de charité. ». Et pourtant, les capitales occidentales se taisent. Elles continuent d'armer Israël, tout en prônant les droits de l'homme ailleurs. Elles financent les plateformes qui relaient la propagande israélienne et elles détournent le regard des charniers.

Une mécanique infernale

La complicité est totale :

- Les bombes occidentales tuent.

- Les algorithmes occidentaux effacent.

- Les gouvernements occidentaux se taisent.

C'est une mécanique parfaite, une mécanique infernale où chaque rouage a son rôle : l'avion qui bombarde, la caméra qui déforme, l'algorithme qui anesthésie, le politique qui justifie. Et cette mécanique ne s'arrêtera pas d'elle-même.

l Gaza, la conscience du monde

Mais l'histoire ne s'écrit pas seulement par les bourreaux. Mahmoud Darwich nous a appris que « la Palestine mérite vie ». Et Gaza, malgré la famine, malgré les bombes, malgré le blackout médiatique, crie encore.

Son cri perce les murs numériques, il traverse les mensonges sponsorisés, il résiste aux milliards de dollars versés pour étouffer la vérité. Oui, Google et ses semblables pourront effacer des vidéos, invisibiliser des images, réduire des témoignages au silence numérique. Mais ils ne pourront pas effacer la mémoire des peuples, ni empêcher la vérité de ressurgir comme un torrent.

Comme l'a rappelé Martin Luther King : « Un mensonge ne peut pas vivre éternellement. » Et le mensonge israélien, entretenu par les géants du numérique, ne survivra pas au témoignage des survivants, ni aux images que l'histoire conserve dans ses entrailles.

l Choisir son camp

L'archevêque sud-africain Desmond Tutu, qui connaissait l'odeur du sang et du racisme d'État, disait : « Si vous êtes neutres dans des situations d'injustice, vous avez choisi le camp de l'oppresseur. » Gaza nous oblige à choisir.

Et le silence, aujourd'hui, fait pencher la balance vers le camp du crime. Devant un génocide, il n'y a pas de neutralité. Se taire, c'est se rendre complice. Diffuser la propagande du bourreau, c'est devenir bourreau soi-même.

Gaza est le miroir du monde : elle révèle qui nous sommes, elle révèle qui nous trahit, elle révèle qui continue à croire en l'humanité.

l Manifeste pour l'humanité

Aujourd'hui, Gaza est la plaie ouverte du monde. Elle est le cœur battant de l'humanité, mais un cœur qu'on étrangle sous les bombes et qu'on bâillonne sous les algorithmes. Ne pas la voir, ne pas l'entendre, c'est accepter que la vérité meure sous les décombres autant que les enfants.

Nous ne pouvons plus dire : « Nous ne savions pas. ». Nous savons ! Nous voyons ! Nous entendons ! Les preuves sont là, brûlantes, irréfutables : dans chaque cri étouffé, dans chaque silhouette d'enfant au ventre creusé par la faim, dans chaque regard de mère qui enterre son fils sous les gravats. Et si nous restons muets, ce n'est pas l'ignorance qui nous condamnera, mais la lâcheté... ?

Gaza nous juge déjà. Gaza est le tribunal où chacun de nous se tient à la barre. Gaza est le miroir où se reflètent nos trahisons, nos hypocrisies, nos renoncements. Mais Gaza est aussi l'étincelle qui peut rallumer le feu de la dignité humaine.

l Alors, choisissons notre camp.

- Nous refusons le camp des bombes, des algorithmes et du mensonge, où l'on compte les profits pendant qu'on enterre les enfants.

- Nous affirmons le camp de la vérité, de la justice et de la vie, où chaque mot, chaque geste, chaque image devient une arme contre le silence.

- Nous choisissons de ne pas laisser l'humanité être ensevelie sous les ruines.

Car il ne s'agit plus seulement de défendre Gaza. Il s'agit de défendre l'idée même d'humanité. Si Gaza meurt dans l'indifférence, ce n'est pas seulement la Palestine qui s'éteint : c'est le monde entier qui abdique son âme.

l Gaza est notre dernier miroir. Saurons-nous y contempler notre honte... ou rallumer la flamme de la dignité ?

Et pour que nul n'oublie, rappelons ce verset qui nous place face à notre responsabilité :

« En vérité, Allah ne modifie point l'état d'un peuple, tant que les [individus qui le composent] ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes. Et lorsqu'Allah veut [infliger] un mal à un peuple, nul ne peut le repousser : ils n'ont en dehors de Lui aucun protecteur » (Sourate Ar-Ra‘d, verset 11).

Ce verset n'est pas un ornement. Il est une injonction. Le changement ne viendra pas des puissants, ni des algorithmes, ni des marchés. Il viendra de nous, ou il ne viendra pas.

Alors écrivons-le, gravons-le, répétons-le :

- Nous ne serons pas complices.

- Nous ne serons pas silencieux.

- Nous ne laisserons pas Gaza mourir.

Parce que défendre Gaza, c'est défendre l'idée même d'humanité. Et si Gaza s'éteint, c'est l'humanité entière qui s'éteindra avec elle.

Et si cela arrivait, alors ce ne serait pas Gaza qui aurait disparu... mais l'humanité en chacun de nous.

*Maitre de conférences,

Université Ksdi Merbah Ouargla

Notes :

1- Nelson Mandela