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Merci à la malbouffe !

par Sid Lakhdar Boumediène

Lorsqu'on évoque la thématique de la qualité de l'alimentation humaine, il n'y a pas grand risque de se placer du côté du langage et des remarques convenus. Une position qui met à l'abri de toute contradiction et permet à beaucoup de s'attribuer à bon compte l'éloge d'une vérité de bonne conscience, utile à l'humanité. C'est à ceux-là que je vais rappeler une autre vérité, celle qu'ils dissimulent.

Ce mot est partout, la malbouffe est considérée par presque tous comme le fléau absolu contre l'hygiène alimentaire et la santé publique. Si bien qu'elle est devenue à l'esprit du plus grand nombre la cause essentielle du risque de toutes les maladies morbides. Ce qui n'est pas faux mais nous y reviendrons plus loin pour éclairer au préalable cette affirmation d'une autre vérité qu'on a bien pris soin d'occulter. La malbouffe est un mot récent inventé par ceux qui veulent donner des leçons de bonne conduite sanitaire aux autres. Il n'est pas un seul intervenant dans les médias, qu'il soit professionnel dans le domaine ou non, qui nous assène de ce langage, frappé du sceau du bon sens et de la bonne discipline. C'est même devenu une mission de responsabilité morale lorsqu'il s'agit des enfants et des adolescents. Parmi les accusés, le roi des enfers, au premier rang de tous les criminels, celui qui est la cause de tout, le responsable de la déchéance humaine, la damnation du monde, le si célèbre McDonald. Je préviens le lecteur que le choix de cet exemple n'est motivé que par sa célébrité iconique dans les discours habituels sur la malbouffe.

Replaçons les choses dans leur vérité et levons le rideau qu'ont placé les détracteurs de la nourriture rapidederrière lequel est dissimulée une toute autre réalité. Elle était auparavant bien plus dangereuse pour l'humanité surtout qu'elle s'accompagnait d'une effroyable injustice envers les populations.

La malbouffe c'est quoi ?

On pourrait définir avec la malice de monsieur de La Palice comme ce qui est le contraire de la bonne bouffe. L'emploi d'un mot très populaire, la bouffe, au lieu de nourriture, montre la volonté de le dévaloriser. Pour le défendre je garderai ce mot négatif et accusateur pour lui opposervolontairement un argument contradictoire en dérision.

Bouffer signifie qu'on ne se nourrit pas mais qu'on se gave machinalement pour uniquement satisfaire un besoin physiologique. Cette marque sémantique de la déviation alimentaire s'analyse dans ses deux conséquences.

La première est dans la compositiondes aliments qui sont accusés de nuire à la santé et la seconde dans la dénaturation du sens sociologique de la nourriture. Les colorants, les additifs, la quantité élevée de sucre, de graisses, de sel et de plusieurs autres ingrédients sont la cause du mal.

La seconde conséquence de la malbouffe est sociale, par sa rapidité, elle a détruit la valeur conviviale de participation collective à un moment de partage. Il n'y a plus le plaisir de cuisiner, de se réunir et de trouver le temps d'échanger y compris pour les chamailleries familiales du déjeuner sacré du dimanche.

Tout cela est vrai mais examinons maintenant ce que cachent ces deux vérités trop facilement brandies avec la bonne conscience des lanceurs d'alerte médiatiques et quotidiens.

La nourriture, c'est d'abord nourrir

Jamais dans l'histoire la nourriture n'a été aussi saine et, malgré les insuffisances que nous rappellerons plus loin, jamais elle n'a été autant en capacité d'être à la portée du plus grand nombre dans les sociétés humaines.

Son insalubrité aurait glacé de terreur les détracteurs de la malbouffe puisqu'ils veulent revenir à la mythique nourriture perdue. Pourtant il n'est pas possible de compter le nombre de millions de décès dus aux contaminations mortelles car il faut rajouter ce que la médecine en ces époques précédentes n'avait aucune idée des causes de la plupart des décès. Saletés et contamination dans le dépeçage, le transport, le stockage et la consommation.

Les aliments avariés étaient la norme quotidienne et les quelques méthodes de préservation comme le sel et la cuisson ne pouvaient éliminer le désastre dans l'hygiène.

Mais comme si cela ne suffisait pas pour raviver la mémoire des détracteurs de la nourriture actuelle, c'est encore plus grave lorsqu'on prend en compte l'insuffisance de la nourriture pour maintenir l'humanitéen vie. Prenez un livre d'histoire, pas un seul chapitre n'oublie de mentionner le mot famine.

Elle a été l'un des fléaux les plus mortels à l'égal des grandes épidémies. Heureusement que les sociétés n'ont jamais cessé de trouver des solutions pour arracher de la terre la subsistance suffisante pour nourrir les populations. Ce sont des grandes innovations dans les nouveaux engrais, le révolutionnaire procédé des conditionnementspour les conserves et bien d'autres qui ont à peu près éradiqué la famine dans le monde et amélioré l'hygiène dans les produits alimentaires. Ce sont ces avancées que veulent remettre en cause les combattants de salon contre la malbouffe

Le rapport de 2015 de la FAO et les suivants reprennent à peu près le même constat, « Malgré une démographie galopante, l'être humain souffre de moins en moins de la faim.

Ces vingt dernières années, alors que la population mondiale gon¬flait de 2 milliards d'individus (7,3 milliards), le nombre de personnes sous-alimentées diminuait de plus de 200 millions.

Un résultat que l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) salue dans un rapport destiné à montrer que les recettes pour lutter contre la faim sont éprouvées même si elles ne sont pas universelles ».

200 millions d'individus dans le monde qui sont encore menacés de famine et les détracteurs de la malbouffe veulent leur faire manger un bon steak et des légumes frais du terroir, en bio et en production locale trois fois plus chère. Autrement dit, la malbouffe serait le premier danger de mauvaise santé pour ces malheureux. Soit ce sont des inconscients, soit ce sont des irresponsables.

Pour les écologistes et les détracteurs de la malbouffe, il faudrait couvrir la planète de champs bio pour y creuser des millions de tombes aux morts de la famine.

La bonne bouffe, une exclusion sociale

Cela m'étonnerait que personne ne se soit posé la même question que moi. Comment se fait-il en France (puisque c'est là où j'habite) qu'au repas de midi les salles de restaurant soient bondées, encore plus les terrasses les jours de soleil ?

C'est vrai que dans les assiettes on aperçoit des aliments qui semblent ceux que la santé recommande, variéeset en quantité suffisante. Mais nous savons tous combien couterait la facture salée au boutd'un mois pour la majorité des citoyens dont le revenu n'est pourtant pas misérable en moyenne si cela était permanent.

Comment font-ils surtout qu'à l'évidence il n'y a pas que des cadres à hauts revenus mais aussi du personnel au salaire beaucoup plus bas ? La réponse est simple, plus de la moitié d'entre eux bénéficient de l'avantage du ticket restaurant, une rétribution intégrée dans le contrat de travail pour la plupart des entreprises qui n'ont pas un lieu de restauration.

Font-ils de même aux repas dans le domicile ? A ce compte il faudrait tripler les salaires pour se priver continuellement des plats cuisinés. Il ne s'agit pas de misère mais de prix et de temps à y mettre. C'est la nourriture industrielle qui l'emporte sur les prix comme sur le temps après une journée harassante de travail. Et c'est très bon !

Que dire alors du budget que représenterait une sortie en famille au restaurant oùseraient servis les produits qu'on nous vante comme sains pour la santé et qui permettent une convivialité sociale de qualité.

C'est facile de critiquer les fasts food et la nourriture préparée industriellement avecun ton professoral mais avez-vous vu l'étincelle dans les yeux des enfants et dans ceux d'au moins un des deux parents (il y en a toujours un des deux qui fait partie des rabats joie contre ce qui leur parait être une malbouffe) ? Allez faire manger aux enfants des brocolis sans avoir mal à constater l'expression de leur visage sinon la fronde.

Allez exiger aux parents, surtout aux mamans que les sociétés emprisonnent encore de nos jours dans la cuisine, un tel effort alors qu'elles travaillent durement pendant la semaine ! Exigez qu'elles passent tous les jours des heures à préparer les bons plats que les bonnes consciences placent comme une obligation sanitaire et de convivialité assurée.

Faire plaisir et se faire plaisir sans se ruiner et sans trimer au-delà de ses forces et disponibilités, laissons les donneurs de leçons fréquenter les mêmes endroits que nouset préparer la même nourriture que nous sans avoir la moindre gêne avec leur contradiction hypocrite.

Le mythe des mots

Mon passage rapide comme prof de gestion et de droit dans une école hôtelière m'a confirmé le sentiment que j'avais auparavant. J'étais exaspéré par deux mots qui, une fois prononcés, sont le sceau de la garantie de l'excellence par le goût et de la bonne santé. Dans les oraux de spécialité, tous les étudiants reprenaient ce qu'on leur avait rabâché, aussi bien en cours que dans les médias, c'est à dire les produits du terroir et de proximité locale.

Deux expressions d'ailleurs identiques dans leur définitions mais le doublement donne cette impression qu'il y a plusieurs garanties d'excellence des produits. Je me suis toujours posé la question pourquoi les produits du terroir local pouvaient exclure l'excellence des produits des autres lieux.

Toutes les régions locales comme celles du monde revendiquent des terroirs et de la proximité pour leursmarchés et leurs restaurants. Ils en vantent tous les qualités de fraîcheur et de goût. On peut effectivement supposer qu'il est dommage de faire venir une tomate de l'autre bout du monde avec les conditions risquées du transport et la certitude d'un niveau élevé de coût en carbone pour la planète. Mais au risque de ce que nous avions présenté plus haut, c'est à dire un prix aussi exorbitant qu'une production insuffisante pour nourrir toutes les populations dans le monde.

Dans l'esprit de ces étudiants apparait l'image fantasmée du bon vieux paysan enraciné dans la terre et qui bichonne ses brindilles de blé comme on fait la coiffure aux stars de cinéma. On verrait presque le brave éleveur chanter des berceuses aux vaches de l'étable. Et le maraicher sculptant un tableau de Van Goghpour la beauté de ses fruits.

Mais bien entendu !

Mais bien entendu que ma position est provocatrice, en humour, est qu'elle se place volontairement dans un autre extrême, je l'avais annoncé en début de cet article. Bien entendu que la malbouffe existe et qu'elle est un vrai souci de santé. Bien entendu qu'une nourriture plus équilibrée avec des légumes et fruits frais est recommandée pour une meilleure santé. Bien entendu que la misère des autres peuples ne peut occulter les risques d'obésité et de mortalité dans les pays riches. Ce n'est pas incompatible de prendre en compte le nécessaire évitement des deux écueils du problème afin d'en trouver le juste milieu.

C'est une évidence et aucun lecteur ne peut m'accuser d'être de mauvaise foi. Je suis conscient qu'il faut mener les deux politiques à la fois. Mon parti pris est l'irresponsabilité de priver des millions de personnes d'une nourriture dont l'objectif est de privilégier la suffisance des produits alimentaires de base aux prix raisonnables.

Tout le monde connait cette parole qu'on a prêtée à Marie Antoinette lors des émeutes qui ont précédé la révolution française. Pourquoi protestent-ils ? Majesté, ils n'ont plus de pain. Alors qu'on leur donne des gâteaux ! avait-elle répondu. Cette parole est certainement une légende mais elle a toujours été retenue dans son image pour l'époque moderne.

Les ennemis de la malbouffe répondent la même chose. Ils n'ont pas de pain, qu'on leur donne tous les jours des steaks, des légumes et des fruits frais du terroir de qualité sans lésiner sur les prix !