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Joseph Biden intronisé: Le sacre d'un empereur d'Occident

par Abdelhak Benelhadj

Plus qu'une élection, la présidentielle américaine est un spectacle rituel inscrit en lettres d'or dans l'ordre politique de ce pays. Il a été perturbé cette année par une dramatisation supplémentaire liée à la pandémie et à ses conséquences politiques.

Les conditions dans lesquelles D. Trump a perdu et J. Biden a gagné ont conféré à ces événements un supplément d'intérêt et ont accentué une dérive déjà observée lors des scrutins précédents.

Les exceptionnelles élection et réélection de B. Obama, le premier président non « caucasien » de l'histoire américaine, ont occulté l'ampleur planétaire, plus particulièrement occidentale, de ces consultations. Ces présidentielles sont d'évidence locales, mais leur mise en scène et leur audience -pas seulement médiatique- hors d'Amérique leur donne une dimension qui ne peut s'expliquer par le seul poids des Etats-Unis.

Nul ne peut ignorer en effet l'importance militaire, économique, financière, culturelle... de ce pays. Le Pentagone, les GAFAM, Wall Street, le dollar... symbolisent la puissance d'une nation qui a émergé de manière visible entre les deux guerres au cours du siècle précédent et qui, bien que sa place et son rôle soient disputés, pèse encore de manière déterminante sur l'évolution du monde.

Il est donc parfaitement concevable que l'élection d'un président américain soit suivie avec attention par les opinions publiques hors des Etats-Unis.

Cependant, ces arguments quantitatifs ne suffisent à épuiser la question. L'Amérique n'est pas seulement un grand et puissant pays. Il l'est assurément. Mais il n'est pas que cela. Le président américain n'est pas n'importe quel président et l'Amérique n'est pas n'importe quel pays, aussi grands et puissants soient-ils.

Certes, les Iraniens, les Palestiniens, les Vénézueliens, les Russes, les Chinois, les Mexicains ou les Cubains, dont la prospérité et la sécurité dépendent partiellement ou totalement des décisions de Washington, observent les élections américaines avec une étroite acuité. Différemment, les Européens (en particulier les Britanniques), les Canadiens, les Australiens ou les New Zélandais se sentent concernés de manière encore plus directe.

C'est un peu comme si le président qui devait accéder à la plus haute des responsabilités est, peu ou prou, aussi « leur » président. L'antipathie que leur inspire D. Trump (ainsi présenté dans de nombreux médias européens) et la sympathie qu'ils éprouvent pour son adversaire participent d'un parti-pris qui dépasse le regard intéressé mais distancié qu'ils peuvent avoir pour un voisin proche ou lointain, par exemple pour l'élection d'un dirigeant russe, chinois, japonais, sénégalais, marocain, voire israélien (aussi intenses et soutenus soient les efforts acharnés de la communauté juive européenne pour passer de la sympathie, de la collusion des intérêts à l'« identité »).

A considérer la frontière « civilisationnelle » tracée par les Européens et régulièrement rappelée entre le « nous » et le « eux », l'Amérique, sans conteste, est du côté du « nous », quelles que soient les raisons que chacun se donne pour le justifier.

L'« anti-américanisme primaire » que manifestent certains Européens à l'égard de leurs puissants « alliés » participe de ce « nous » et exprime une opposition politique similaire à celle qui oppose les partis européens entre eux. Ces disputes, ces différends ne renvoient pas à une différence de « nature ».

En vérité, dans le choix entre Trump et Biden, tout se passe comme si les Européens votaient avec leurs pieds. Ils ont d'ailleurs été sondés comme électeurs virtuels d'un scrutin auquel ils n'étaient pas conviés en droit, mais néanmoins assimilés à un ensemble auxquels Américains et Européens étaient partie prenante.

Tous les chefs d'états et de gouvernements en Europe se sont ainsi sentis impliqués comme membres d'une communauté transnationale qui dépasse les nations et sont intervenus à la fois pour condamner la prise d'assaut du Capitol et l'ancien président accusé de l'avoir commandé, et pour se réjouir de l'élection de J. Biden.

« L'UE a de nouveau un ami à la Maison Blanche après quatre longues années » « L'Europe est prête pour un nouveau départ », a tweeté la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Le président du Conseil européen, Charles Michel, a estimé qu'il était « temps de revenir aux convictions, au bon sens et de moderniser notre relation ».

Prévisible fut le message venu de Londres : « Le leadership américain est vital sur les questions qui nous concernent tous (...) je suis impatient de travailler avec le président Biden », a écrit sur Twitter le Premier ministre britannique Boris Johnson. (AFP, lundi 21/01/2021)

Par-delà ces messages diplomatiques convenus, les Européens -transparents en cela- ne se font-ils pas quelques illusions sur un retour au multilatéralisme, entendu comme une demande, pressante et toujours déçue, d'une plus grande participation aux décisions au sein de cet espace géopolitique limité aux nations convaincues d'appartenir à cet agrégat culturellement homogène d'Occident ? Nous y reviendrons.

Quand il est fait référence à la « communauté internationale », c'est à cet « entre-nous » limité que renvoient discours et dépêches.

De multiples exemples en attestent. Prenons un exemple caricatural puisé dans l'actualité. C'est le président français qui nous le fournit.

Jeudi 07 janvier, très exactement deux mois après la proclamation des résultats, à l'appel à peine voilé de leur chef, des partisans en colère de D. Trump lancent un assaut contre le Capitole en une opération tenue pour un coup d'Etat généralement ainsi observée dans de nombreux pays du Tiers-monde.

Un commentateur inquiet faisait référence à l'attaque, le 11 septembre 1973, du Palais de la Moneda à Santiago qui a entraîné la mort de Salvador Allende (ordonnée en sous-main par l'ex-secrétaire d'Etat Henry Kissinger), et l'instauration d'une dictature militaire.

Fort heureusement, cet événement n'a fait que des dégâts matériels, mais plus gravement 5 morts. Mais on n'a pas révélé tous les ressorts de cette affaire.

Nous le saurons peut-être à l'occasion du procès (et même des procès) que nombre de ses ennemis et adversaires projettent d'intenter contre l'ancien président.

Cette opération a universellement indigné et scandalisé. Mais comment qualifier l'indignation du président français qui s'est exprimé le jour même dans une allocution prononcée solennellement derrière un pupitre à l'Elysée, diffusée sur les réseaux sociaux jeudi vers 03 heures du matin ? Des voix se sont élevées en France pour en critiquer l'opportunité et la pertinence.

« Aujourd'hui, la France se tient au côté du peuple américain avec force, ferveur et détermination, et au côté de tous les peuples qui entendent choisir leurs dirigeants, décider de leur destin et de leur vie par ce choix libre et démocratique des élections » « Je veux dire notre confiance dans la force de la démocratie américaine (...) Je veux dire notre lutte commune pour que nos démocraties sortent plus fortes de ce moment que nous vivons tous ». (Reuters, J. 07/01/2021)

Jusque là, il s'agit de l'expression d'une solidarité avenante et de bon aloi. Mais la suite de ses propos préoccupe : « Nous ne cèderons rien à la violence de quelques-uns qui veulent remettre en cause » la démocratie, a déclaré Emmanuel Macron.

« C'est notre choix, depuis plusieurs siècles, de mettre la dignité humaine, la paix, le respect de l'autre, la reconnaissance de la liberté au-dessus de tout, qui est aujourd'hui menacé dans nos démocraties », a-t-il ajouté.

« Ce qui est arrivé aujourd'hui à Washington n'est pas américain, assurément », a-t-il conclu, cette fois en anglais, un drapeau américain derrière lui à 03h du matin, sans doute pour ne pas rater les pics d'audience à 09h PM sur l'autre rive de l'Atlantique. (AFP, J. 07/01/2021)

N'y aurait-il pas ici une singulière confusion (au sens étymologique) qui interroge ? Question d'autant plus pertinente qu'on peut l'observer abondamment sur d'autres terrains.

Il a été copieusement reproché à D. Trump un usage déraisonnable et même psychopathologique des médias .

A l'évidence, il n'est pas seul à tenir la communication pour une dimension cardinale de l'action politique. Mais n'a-t-on pas abusé du caractère performatif des discours des politiques aujourd'hui privé de cap et de moyens ?

N'est-ce pas au contraire les médias qui président désormais au destin des nations ?

Les médias au coeur de la démocratie américaine.

Pendant toute la durée de la campagne américaine, les médias européens, français en l'occurrence, ont consacré un espace-temps considérable aux élections américaines.

La technique utilisée est toujours la même, totalitaire.

Totalitaire, en ce que tous les médias d'information continue (télévisuels et radiophoniques) sont en « édition spéciale continue ». Avec un seul thème asséné toute la journée, et rien d'autre. Des images et du son en boucle. Le monde « unidimensionnel » que critiquait naguère Herbert Marcuse.

Qu'il s'agisse des présidentielles ou de la pandémie, le régime auquel sont soumis les auditeurs et les téléspectateurs est identique : les débats organisés, la nature des images, le contenu des reportages, des entretiens...

Samedi 07 novembre, ce sont les médias qui proclament J. Biden président . Les plus grandes chaînes de télévision américaines, le National Election Pool (NEP) composé de CNN, NBC, CBS, et ABC ont annoncé sa victoire, quatre jours après le scrutin. Associated Press  et Fox News (qui se sont retirés du NEP en 2017), ont diffusé l'information avec un temps de retard.

Ce n'est qu'à la suite de cette consécration, qui ne le doit à aucune institution publique démocratique, que le nouveau président est investi de sa charge et s'autorise officiellement à l'assumer.

D. Trump, convaincu d'avoir été escroqué, n'en a pas convenu. Offusqué, il déclare : « Depuis quand laisse-t-on les médias proclamer qui sera notre prochain président ? »

Trump fait mine de s'en étonner et de s'en offusquer puisque les administrateurs de « tuyaux », Twitter et ses homologues décident sans jugement légal de supprimer les comptes de qui ils veulent, en l'occurrence d'un ancien président des Etats-Unis, sans en référer à aucune cour de justice. Un peu comme si votre facteur s'autorisait de lire votre courrier et décidait qu'il n'était pas digne d'être transmis à votre correspondant.

Le plus scandaleux sans doute en cette affaire est ces machines participent hypocritement d'un jeu politicien en s'abritant derrière la rupture d'un contrat privé. Ces monopoles privés à l'échelle mondiale assurément interpellent. En dehors de leurs actionnaires, à qui au juste ces machines rendent-elles compte ?

En fait, il en a toujours été ainsi.

Revenons à la proclamation des résultats de l'élection présidentielle. Rituellement, à la suite cette proclamation médiatique, le perdant téléphone au gagnant et ils conviennent ensemble et cordialement, avant la prise de fonction officielle le 20 janvier, de la transmission du pouvoir.

Pour en revenir à la journée du 07 janvier, la pandémie avait instantanément disparu des plateaux. Plus de médecins ni d'experts ès virus sur les plateaux de TV pendant plus de 48 heures.

Place aux experts en américanologie et en trumpologie.

Les Français ont alors eu droit à des exposés informés sur la justice américaine, sur leurs moeurs politiques, avec un historique détaillé sur les anciens présidents, des anecdotes croustillantes sur les péripéties de la vie des hommes politiques sur l'autre rive de l'Atlantique : de longs développements qui accentuent et confirment l'idée que l'Europe et l'Amérique décidément appartiennent au même « monde ».

Evidemment, cette idée aurait quelque crédit si elle était cordialement partagée... et si de part et d'autre Américains et Français avaient une conception identique de l'élection.

Au grand dam des intégristes de la laïcité en France qui reconnaissent aux Etats-Unis la direction d'un ensemble dont leur pays n'est qu'une partie , les cérémonies de prise de fonction de J. Biden ont été empruntes de la religiosité ordinaire qui formalise ce genre d'événements sous toutes les latitudes et en toute circonstance. Les Américains vont plus loin et placent la foi au coeur de leur ordre civil et politique. Que de confusions entretenues à propos des « pères fondateurs » et de la « Démocratie en Amérique »...

Religiosité politique américaine

« In God we trust »

En principe, la présidence américaine est indépendante de la foi et de toute religion.

Depuis 1787, sous Thomas Jefferson le premier amendement de la Constitution garantit cette séparation. Dix ans plus tard, John Quincy Adams, partisan de la laïcité le confirmait et déclarait : « Le gouvernement des États-Unis n'est en aucune manière fondé sur la religion chrétienne ». Tous les présidents ne se sont pas conformés à cette tradition. Ce fut le cas de John Quincy Adams est le premier président, en 1825, de Theodore Roosevelt ou de Lyndon Johnson à bord de Air Force One, à la suite de l'assassinat de J. F. Kennedy.

Mais ça, c'était avant...

La tradition toutefois n'a pas oublié le geste de George Washington, premier président de l'histoire des États-Unis. Après avoir prêté serment devant Robert R. Livingston, l'un des cinq rédacteurs de la déclaration d'indépendance américaine, George Washington se serait laissé aller jusqu'à embrasser une Bible maçonnique Saint John's Lodge Numéro 1.

Croyants ou pas, les présidents se succèdent, la main sur la Sainte Bible.

Plus récemment, le président G W Bush Jr. sacrifie à la tradition lors de sa prise de fonction, le 20 janvier 2001 :

« Nous sommes guidés par un pouvoir plus grand que nous-mêmes, qui nous a créés à son image. Et nous sommes confiants en des principes qui nous unissent et qui nous font progresser. Les Etats-Unis n'ont jamais été unis par le sang, la naissance ou le sol. Nous sommes unis par des idéaux qui nous sortent de notre milieu, qui nous élèvent au dessus de nos intérêts et qui nous enseignent ce que signifie le fait d'être des citoyens. Tout enfant doit apprendre ces principes. Tout citoyen doit les mettre en œuvre. Et, en épousant ces principes, tout immigrant rend notre pays plus américain et non pas moins américain. Les ennemis de la liberté et de notre pays ne doivent pas s'y tromper. Les Etats-Unis restent engagés dans le monde, de par l'histoire et par choix, en mettant en place un équilibre du pouvoir qui favorise la liberté. Nous défendrons nos alliés et nos intérêts. Les églises et les associations caritatives, la synagogue et la mosquée donnent à nos communautés leur humanité et elles auront leur place d'honneur dans nos projets et dans nos lois. » Et il ajoute comme il se doit : « Que Dieu vous bénisse et que Dieu bénisse les Etats-Unis ».

Joe Biden est le deuxième président catholique de l'histoire des Etats-Unis, après John F. Kennedy. Au lendemain de sa proclamation, Joe Biden assiste à la messe pour remercier Dieu de son succès. Il affiche sa foi au poignet avec un chapelet que portait son fils le jour de son décès, d'un cancer du cerveau, en 2015.

Dimanche 08 novembre, au lendemain de la validation par les médias de son élection, il assiste à la messe de l'église de St-Joseph on the Brandywine, dans sa banlieue huppée de Wilmington (Delaware).

Célébrant sa victoire, il déclare : « La Bible nous dit qu'il y a un temps pour construire, un temps pour récolter, un temps pour semer et un temps pour guérir. » « J'ai fait campagne pour restaurer l'âme de l'Amérique ». (AFP, D. 08 11 20)

C'est naturellement à la guérison de l'âme que songe le nouveau président des Etats-Unis. Les Américains l'ont immédiatement compris.

Faisant pétition de laïcité et de séparation des registres, les Français ont écouté, sans doute avec un certain embarras, mais ils sont vite passés à autre chose.

Pas un mot sur la contradiction manifeste entre les pétitions de laïcité régulièrement assénées par les hommes politiques en France, avec des lois de plus en plus rigoureuses encadrant le comportement des citoyens depuis au moins deux décennies, et le regard affectueux et les commentaires émus devant le sacrement explicitement religieux de ce président américain.

Toutefois, la contradiction n'est qu'apparente.

S'ils ne sont pas particulièrement croyants, les Français révèrent avec une singulière nostalgie la monarchie de droit divin qui gouvernait leur destin sous l'Ancien Régime, fût-ce en la retrouvant dans le général de Gaulle, une sorte de monarque républicain, l'incarnation d'une longue lignées de souverains de Hugues Capet à Louis XIV, avec une affection compatissante pour Louis XVI, la famille royale et les « émigrés » qui ont fui ailleurs en Europe et dans le Nouveau Monde.

Les élites françaises n'ont jamais exprimé adhésion enflammée, ou une ferveur ardente par exemple pour Maximilien Robespierre dont la plupart d'entre eux ne savent même pas qui il a pu être ou ce qu'il a fait. Cependant, les Français, pour en avoir été régulièrement entretenus, assimilent confusément la Révolution à la « terreur » révolutionnaire.

Napoléon Bonaparte, sous la statue duquel se déroulent régulièrement des cérémonies émouvantes dans la cour des Invalides, a oblitéré ce qui subsiste de la Révolution. Restent des reliques inoffensives à vendre au bon peuple et aux touristes : le drapeau, la Marseillaise, le 14 juillet et quelques autres symboles vidés de leur contenu. Les sans-culotte et la Commune ne sont plus que de très lointains souvenirs. Mais le Sacré-Coeur construit pour en effacer les traces est toujours visité et adulé, Louise Michel et ses compagnons oubliés.

Depuis, la France vit sous le régime de la « Restauration », prête pour une américanisation à un rythme accéléré.

Ce dont ne veulent pas les Français c'est qu'une religion étrangère s'implante dans leur pays et prenne la place d'un catholicisme qui n'est menacé que par lui-même : en plus de la crise des vocations et de la raréfaction des ouailles, les églises et cathédrales ne sont plus envahies que par les touristes et les « marchands du Temple ». Noël et Paques relèvent davantage des CCI et du ministère du commerce que du ministère de Dieu.

« America first ! »

L'Amérique a toujours combiné deux stratégies pour conserver et élargir l'espace de sa prise en main du monde. Disons-le tout de suite : celle-ci n'a plus rien à voir avec celle qui était la sienne à la fin de la dernière guerre, même si l'URSS était plus puissante que la Russie d'aujourd'hui.

L'« hyperpuissance » de H. Védrine arrive avec un demi siècle de retard .

1.- Multilatéralisme à l'américaine.

Dès 1945, Washington a construit pièce par pièce les institutions internationales dont il avait besoin pour asseoir sa domination et contenu le monde soviétique dans ses limites (jusqu'à son effondrement en 1990) : les Nations Unies déménagées de Genève à New York (1946), le GATT (1947/48), la Banque Mondiale et le FMI (1944), l'OCDE (dérivée du Plan Marshall en 1961), les systèmes intégrés de défense (OTAN, OTASE...)... Les Etats-Unis ont repris le projet wilsonien à leur compte, sans avoir eu besoin de négocier avec qui que ce soit.

Sur cette base, elle a administré « son monde » jusqu'à ce que, peu à peu, le monde rétrécisse son espace. Dès les années 1970 avec le retour du Japon, de l'Allemagne, de l'Europe et aujourd'hui l'émergence de la Chine, l'Amérique n'est plus l'Amérique.

La rupture des Accords de Bretton Woods (fin de la valeur-or du dollar et du régime de change fixe ou ajustable, 1 once d'or = 35$) marque un des signes majeurs de ce déclin qui est masqué aujourd'hui par la puissance militaire (relative), la domination monopolistique des GAFAM et une communication quasi-totalitaire qui semble -à tort- étouffer et ne plus laisser la moindre place à tout autre qu'elle.

2.- L'«unilatéralisme » signifie que les Etats-Unis n'ont plus besoin des institutions et de la « communauté » internationales pour gérer leurs intérêts.

G. W. Bush n'a sans doute jamais oublié la séance du 14 février 2003 où son pays a été humilié par un Dominique de Villepin debout prêt à user de son droit de veto pour bloquer la le projet de résolution américain pour légaliser leur agression de l'Irak.

L'agression a eu lieu mais en dehors de toute légitimité et de toute légalité. J. Chirac avait tenu à la qualifier convenablement : un acte de banditisme international . Depuis, la France -déjà avant la fin du mandat de J. Chirac- s'est affaissée et a cédé aux lois de la gravité.

Donald Trump a poussé l'unilatéralisme à un niveau jamais atteint avant lui. Mais il a de glorieux ancêtres : on en trouve traces chez Monroe (1817-1825), chez Théodore Roosevelt (1901-1909), plus proche de nous, chez R. Reagan

D. Trump ajoute l'insulte publique à l'adresse de tous ceux qui lui font obstacle.

Exemple : Le 16 juin 2015, dans sa Tour Trump Tower à New York, il ouvrait sa candidature à la présidence de son pays sachant à quel public il voulait précisément s'adresser, sachant quels électeurs allaient l'accompagner durant tout son mandat. Il les entretint en ces termes : « Quand le Mexique envoie ses habitants (sous-entendu, aux Etats-Unis), il n'envoie pas les meilleurs. Il envoie des personnes avec énormément de problèmes ! Et ils apportent ces problèmes avec eux. Ils apportent de la drogue. Ils apportent du crime. Ce sont des violeurs ».

Janvier 2018. Réunion à la Maison blanche. Objet : la régularisation de centaines de milliers de clandestins arrivés jeunes aux Etats-Unis, et dont le statut temporaire accordé sous Barack Obama a été supprimé en septembre 2017.

« Pourquoi est-ce que toutes ces personnes issues de pays de merde viennent ici ? », a demandé le président Trump, selon le "Washington Post" qui cite plusieurs sources anonymes assurant que le président faisait référence à des pays d'Afrique, au Salvador ainsi qu'à Haïti. Ces propos ont également été rapportés par le "New York Times", expliquant que les Etats-Unis devraient plutôt accueillir des ressortissants de la Norvège.

« Pourquoi avons-nous besoin de plus d'Haïtiens ? » « Ils ont tous le sida », aurait encore demandé le président.

Sous la présidence Trump, l'Amérique a égaré son surmoi.

Il a pourtant de « glorieux » prédécesseurs : Truman, Nixon, Reagan... qui se « lâchaient » aussi, mais en petit comité, entre soi, loin des micros et des caméras. Trump, lui, s'exhibe et se pavane.

J. Biden n'est pas de cette étoffe.

J. Biden est un vieux routier de la politique, un professionnel de l'acrobatie parlementaire, aussi patiné que le bois dont on fait les pupitres du Capitol. Son discours est aussi policé que les vieux manuscrits qui racontent l'histoire de son pays. Il connaît toutes les ficelles du métier avec une expérience approfondie des protocoles et procédures retorses qu'il est nécessaire de maîtriser pour mettre naviguer en toute sécurité dans cette gigantesque machinerie politique qui prétend diriger le monde.

C'est pourquoi nulle innovation, nulle surprise ne devrait être attendu de sa politique et de ses décisions.

En foi de quoi J. Biden, à l'exception de mesures mineures, cosmétiques, qui ne prêtent pas à conséquences, et moyennant une communication publique plus épurée et délicate, ne reviendra sur aucune décision stratégique de D. Trump.

Mais il serait erroné d'en attendre une faiblesse quelconque qui fragiliserait les forces économiques et financières, politiques et militaires qui constituent les piliers de cette nation. Les pactes publics ou dissimulés qui ont été conclus sous D. Trump ne seront que très marginalement érodés.

Mais avant de fixer les idées sur la politique du nouveau président dont les premiers pas n'infirment pas ce qui précède, posons immédiatement et simplement cette hypothèse :

Jamais Biden n'aurait été élu et Trump humilié s'il n'y avait pas eu deux événements majeurs et totalement imprévisibles qui ont tout bouleversé et brouillé tous les calculs.

- D'une part, ce qui a été tenue pour une « grippette » venue d'ailleurs, longtemps sous-estimée et niée et qui très vite s'est avérée être une terrible catastrophe mortifère qui, au moment où nous écrivons ces mots, aura provoqué plus de morts aux Etats-Unis que la seconde guerre mondiale, à raison - selon les périodes - d'un « 11 septembre » par jour. 

- D'autre part, le froid assassinat, filmé en direct et partout diffusé, de G. Floyd, un Afro-américain de Minneapolis (Minnesota) par un policier « caucasien » convaincu de sa totale impunité.

Le retour au sein de l'OMS et de la COP21.

« L'Accord de Paris n'avait pas été conçu pour sauver l'environnement. Il a été conçu pour tuer l'économie américaine » déclare Donald Trump au Sommet du G7, dimanche 22 novembre 2020, avant d'aller jouer au golf.

J. Biden n'en pense pas moins. D'autant moins d'ailleurs que la COP21 est une gigantesque mise en scène conçue pour donner du grain à moudre à tous ceux qui sont réellement inquiets de l'avenir de la planète et de son climat. 

L'OMS est surtout une affaire privée, financée par des fonds privés charitables, majoritairement américains.

La vaccination très inégale qui a commencé dans le monde donne un aperçu des moyens et de ce que peut faire cette organisation quand il s'agit d'en venir à l'essentiel. Et l'essentiel aujourd'hui est de vacciner les pays occidentaux capables de payer cher les vaccins mis à leur disposition par le « Big Pharma » (les biotechs et leurs industries). L'état du paysage épidémique mondial aujourd'hui est tel que beaucoup de pays occidentaux « avancés » ne sont pas couverts à la hauteur qui convient pour protéger leurs populations.

Le reste du monde compte ses morts et attendra. Tout le reste relève du bavardage.

D'autres sujets sont plus sérieux :

« L'empire n'a pas d'amis. Seulement des ennemis et des vassaux »

- Biden maintiendra son offensive anti-chinoise pour réduire les déficits commerciaux américains et les excédents chinois, la concurrence technologique, militaire et spatiale... et tout sera fait avec l'aide des « alliés » (anciennes puissances coloniales) pour contrer la présence chinoise en Afrique, en Asie et en Europe ;

Le porte-avions américain « USS-Roosevelt » est arrivé ce samedi 23 janvier à Taiwan pour signifier de manière claire la fermeté de Washington.

En 2020, malgré toutes les pressions, contrôles, hausses des tarifs douaniers, mesures non tarifaires, multiplication des sanctions... les ventes de produits chinois à l'étranger ont atteint 2 600 Mds$, ce qui a permis à l'État d'enregistrer un excédent commercial record de 535 Mds$. Pékin a vu son excédent commercial avec les États-Unis s'accroître de 7,1% à 316,9 Mds$.

Sans commentaire.

- Biden continuera la politique de réduction de la présence et de l'influence russe au Proche-Orient, notamment en Turquie, en Méditerranée, en Afrique. Il exercera les pressions nécessaires pour que, coûte que coûte, soient interrompus en mer Baltique les travaux de construction de Nord-Stream II, afin de limiter la dépendance énergétique de l'union Européenne et de tarir les revenus de la Russie. Washington vise un but stratégique : briser toute idée d'axe Rome-Berlin-Moscou-Pékin par tous les moyens...

Evidemment, c'est sur Berlin (avec l'aide des « alliés » européens) que Washington pèse aussi fort qu'il peut pour que soit mis fin à l'idée d'« Eurasie » prêtée à V. Poutine. On peut comprendre que ce projet mette dans l'embarras la France déjà inquiète en 1991 que la chute du « Mur » n'entraîne la fin de l'Union européenne.

- Remettre en cause des traités en renonçant unilatéralement au traité INF sur les arsenaux intermédiaires en août 2019 avec l'intention d'accélérer le développement de nouveaux missiles conventionnels, ce qui implique une relance de la course aux armements escomptant ainsi, en reprenant la Doctrine McNamara comme sous R. Reagan, provoquer un collapsus intérieur russe.

En mai 2020, Trump retire tout aussi unilatéralement son pays du traité Ciel ouvert qui permet le contrôle des armes en ouvrant à ses signataires le survol réciproque de leurs territoires respectifs.

- Les « alliés » auraient tort de se faire des illusions. Ils seront traités comme avant. Seul le style et la com' changeront. Les dirigeants européens réalisent une performance peu commune : ils arrivent à persuader leurs concitoyens qu'il est possible de négocier d'égal à égal avec un partenaire qui assurent leur sécurité. Et cela dure depuis 1949. Stupéfiant !

L'atlantisme a fabriqué une armée de Monnet, de MacMillan, de Lecanuet, de Blair... rejoints de l'autre côte du « Rideau de fer » par les Lech Walesa, les Václav Havel... avec une armée d'« intellectuels » qui ont enfanté des générations de petits européens qui gouvernent aujourd'hui fièrement la subordination du continent.

Derrière le contrôle des pays pétroliers du Proche-Orient il y a le primordial contrôle des pays consommateurs (Europe, Japon, Chine pour l'essentiel). La crise de 1973 le révèle à l'évidence.

En 1973, contrairement à l'intoxication médiatique universelle (qu'on retrouve encore aujourd'hui dans les manuels), à laquelle l'opinion a été exposée à haute dose, ce sont les Etats-Unis qui ont organisé la crise pétrolière avec la collaboration de leurs « alliés » proche-orientaux, notamment saoudiens.

Les acteurs (enturbannés et révolutionnaires du Tiers-monde) ne sont pas ceux qu'on croit et les victimes désignées non plus.

Cependant, au grand dam des architectes américain, les défaits de la dernière guerre ont discrètement pris leur revanche sur le terrain économique et commercial. C'est pourquoi les Européens et les Japonais ont été (et le demeurent) les vraies menaces économiques et commerciales de l'Amérique. Elles ont été (et le demeurent) les cibles de leurs attaques .

L'Amérique ne s'isole pas. Elle impose ses normes partout.

Tout au moins fait-elle tout pour s'en convaincre. Même si sa puissance relative aujourd'hui n'est pas comparable à celle qu'elle avait en 1945, ainsi que nous l'avions souligné plus haut.

Ses normes sont celles des empires, des nations-mondes  : la langue, la culture (c'est d'ailleurs pourquoi les Etats-Unis n'ont pas de ministère qui lui est consacré), la technologie (et notamment les brevets et programmes informatiques, via les galaxies intégrées que les GAFAM ont tissées), le droit et la justice extraterritorialisés, la défense (on peut évoquer les « flottes » qui contrôlent le commerce sur les trajets : mers de Chine, détroit de Malacca, mer d'Andaman, océan Indien, mer d'Oman, mer Rouge... mais on peut y ajouter les bases militaires en réseau serré sur toute la surface de la Terre ), la monnaie...

Le dollar, même en baisse , est l'autre facette de la puissance américaine imposée à la planète toute entière. Le commerce international est pour moitié libellé dans cette monnaie (100% pour le marché des hydrocarbures). Par ailleurs, 2/3 des réserves mondiales et 40% de la dette mondiale sont dollarisées avec tout ce que cela implique sur les équilibres budgétaires publics et privés sur toute la planète. La bulle que cela représente annonce des collapsus devant lesquels la crise de 1929 fera office de problème mineur.

Non seulement les Etats-Unis ne se retireront de nulle part, mais ils feront tout pour maintenir et étendre leur domination. Culturellement isolationnistes, imperméables aux cultures étrangères, sûrement. Repliés sur eux-mêmes militairement, financièrement, stratégiquement, sûrement pas. L'isolationnisme est un tour de passe-passe médiatique destiné à occuper les bavards et à distraire les oisifs.

Il ne s'agit pas seulement de l'Europe ou du Proche-Orient, mais de toute la planète, avec un cap désormais publiquement avoué : après avoir planté leur drapeau sur la Mer de la Tranquillité il y a 50 ans, c'est aussi dans l'espace extra-terrestre proche et lointain que l'Amérique entend faire régner et respecter un ordre strictement compatible avec ses valeurs et ses intérêts (cf. la composante spatiale de la défense des Etats-Unis qui s'ajoute à partir de 2018 à celles qui s'occupent des autres interfaces (Terre, air, mer, Marines et les garde-côtes).

Il tombe sous le sens que l'ambassade américaine en Israël ne quittera pas Jérusalem, que les sionistes reprendront leur colonisation, qu'un Etat palestinien demeurera une supposition de travail jusqu'au jour, l'espèrent américains et sionistes, où il n'y aura plus de Palestiniens ou de « frères » arabes (solidement verrouillés par les « accords d'Abraham ») pour en revendiquer l'hypothèse. 

Il en sera de même de la rupture unilatérale en mai 2018 de l'Accord « 5+1 » signé en juillet 2015 avec l'Iran. Comme D. Trump l'avait expliqué, aucun retour à la situation antérieure ne pourra être envisagé que sur la base d'une renégociation intégrant les missiles iraniens, la présence de Téhéran aux côtés de Hezbollah et de la Syrie.

Sous injonction israélienne, les Etats-Unis feront tout ce qui est nécessaire pour casser l'Axe Liban-Syrie-Iran et ses différentes branches associées, le dernier domino qui reste pour que la pax americana règne sans partage sur la région. La chute du régime de Damas entraînera évidemment le départ de la Russie de Méditerranée.

Quand à Ankara, aucun soucis : l'acrobate Erdogan est d'une « flexibilité » à toutes épreuves.

Des dizaines de millions d'Afro-Américains (plus de 46 millions), d'Hispaniques (plus de 60 millions) et de reclus (aussi nombreux, de toutes les couleurs) ont voté pour J. Biden. D'ordinaire, ils ne votaient plus, car ils ont compris depuis longtemps que le rêve américain était une belle fable qui n'était pas pour eux.

Comme au Brésil, on a entretenu une vitrine pour le reste du monde, le mythe de la société multiraciale, consolidée par le football, la cachaça, la lambada, la bossa-nova... l'exotisme à deux sous que le tourisme international et ses images mettaient en scène au Carnaval de Rio et dans les magazines pour illettrés dépolitisés.

Il est à craindre que tous ceux qui ont élu ce nouveau président n'y retrouvent pas les promesses dont ils ont été bercés.

Les rêves en Amérique sont indexés sur des rapports de forces. Le pasteur Luther King et ses ouailles continue de rêver...

Trump est parti, mais le trumpisme et ses 74 millions d'électeurs sont toujours là.

Les Européens ont raison au fond de se sentir concernés par l'actualité américaine. Les Trump prolifèrent de plus en plus en Europe et bientôt les autorités des différents pays qui la composent en viendront à se demander quelles pandémies elles ont enfantées et dont elles auront bientôt à se préoccuper.

« Parce qu'il manquait un clou, le fer fut perdu

Parce qu'il manquait un fer, le cheval fut perdu

Parce qu'il manquait un cheval, le cavalier fut perdu

Parce qu'il manquait un cavalier, le royaume fut perdu. »

Connie Wills, Black -out.