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Contribution au débat sur le projet de loi électorale

par Mohammed El Akermi*

La demande sociale de démocratisation du fonctionnement du pays, étouffée pendant longtemps, s'est imposée aux acteurs politiques depuis le déclenchement

du mouvement populaire du hirak.

Ce mouvement est né des frustrations cumulées et du malaise permanent des larges franges de la société qui l'ont initié.

Aucune élite ne peut revendiquer de l'avoir provoqué et encore moins d'être mandatée, aujourd'hui, à traduire ses volontés et expliquer ses revendications. La seule revendication du « hirak », clairement partagée par les Algériens, est celle exprimée dans la rue et que tout le monde a compris de la même manière, à savoir la rupture avec le système, pour construire un Etat de droit avec des institutions au fonctionnement démocratique. Tout le reste, agenda et méthodes pour y parvenir, doit être vérifié par des élections.

Ainsi, dans le contexte politique actuel, la loi électorale est un des leviers essentiels dans la construction d'une Algérie nouvelle, au fonctionnement des institutions démocratique, sous la direction de dirigeants régulièrement élus, représentatifs et légitimes. Certes, dans cette voie c'est la volonté politique qui est déterminante, mais avec la constitution, la loi électorale est un texte qui participe à « la refondation des institutions, pour les réhabiliter et les protéger par un mode de gouvernance où l'élection honnête et transparente, à tous les niveaux, est la règle » (Quotidien d'Oran du 1 octobre 2020).

En ce sens, le projet de loi électorale, soumis à la classe politique pour enrichissement, propose de nombreuses avancées pour répondre aux exigences d'une réelle représentativité des élus. C'est le mode électoral qui constitue l'essentiel de notre présente et modeste contribution.

La plus importante de ces avancées est, à notre avis, la volonté de faire respecter le vote du citoyen par l'attribution de l'organisation des élections, depuis le contrôle des listes électorales jusqu'à l'annonce des résultats, à une instance indépendante, l'ANIE.C'est le contenu du texte qui est significatif, néanmoins il aurait été préférable que l'organisation et les missions de l'ANIE (qui sont pérennes) fassent l'objet d'une loi organique séparée de la loi électorale (qui peut changer au gré des majorités politiques).

Le deuxième sujet concerne le mode électoral retenu, qui est le système de liste à la proportionnelle, et classement des candidats par le choix de l'électeur. Nous avons déjà évoqué ce mode électoral (Quotidien d'Oran du 1 octobre 2020), qui réunit plusieurs avantages, dont le respect du poids de chaque électorat en sièges obtenus, et en même temps l'émergence de compétences. En effet, le classement des candidats par les électeurs impose aux partis et à la société civile de présenter les « meilleurs candidats », et donc améliore le degré de représentativité, assure le renouvellement des élites, et encourage la mobilisation des électeurs, qui a été difficile jusque là. Mais des contraintes peuvent apparaitre dans la mise en œuvre, car de nombreux citoyens électeurs ont des difficultés de lire les noms et faire le choix de leurs préférés parmi la liste. Des solutions pratiques peuvent être imaginées,pour détourner cette difficulté objective. L'important est que tous les votes pour une liste donnée soient acceptés, y compris les bulletins où il n'y a pas eu de choix précis de candidats, et que le classement soit déterminé par les bulletins comportant des choix des électeurs. Le dépouillement se fait, alors, en deux temps :

.décompte des voix obtenues par la liste (bulletins avec choix de candidats, ou sans choix) pour qualifier les listes ayant obtenu au moins 5%.

.décompte pour faire le classement pour les listes qualifiées, selon le choix de l'électeur.

Également, pour faciliter le vote des citoyens et leur permettre de choisir leurs candidats parmi une liste, nous suggérons de démultiplier les circonscriptions électorales dans la même wilaya où le nombre de députés dépasse 12 ; sans que la sous circonscription n'ait moins de 5 députés, et en veillant à la cohérence géographique et à l'équilibre entre les circonscriptions.

Car il est, par exemple, plus simple pour un électeur d'une wilaya de 14 sièges, d'avoir à choisir entre 6 ou 8 candidats, si la circonscription est divisée en deux.

L'autre préoccupation que nous soulevons, est quand le nombre de listes en concurrence est élevé, et qu'aucune d'entre elles n'atteigne les 5% des voix exprimées. Le projet de loi prévoit de répartir les sièges entre toutes les listes en concurrence. Cette façon de faire entraine une dispersion dans les résultats, rendant difficile la constitution de majorités stables pour diriger, en particulier pour les assemblées locales (APC et APW). C'est pourquoi nous suggérons que la répartition des sièges, dans ce cas, se fasse uniquement entre les trois premières listes.

D'un autre coté, les dispositions proposées par le projet de loi, au sujet de la liste avec parité hommes ? femmes et 30% réservés aux jeunes de moins de 35 ans,paraissent, à priori, justes et encourageantes à l'endroit des deux catégories sociales concernées. En réalité elles ne sont ni justes ni correspondantes à la réalité sociopolitique algérienne, sachant que pour les partis, sur 100 militants il y a moins de 25 femmes (généralement habitantes de grandes villes), et moins de 25 jeunes de moins de 35 ans.

Au-delà du caractère non démocratique de la politique des quotas, ces propositions sont, même, contre productives au vu de l'objectif avoué de construire une élite politique représentative, engagée et capable de porter le noble projet d'une Algérie nouvelle.        

Car si de telles mesures sont adoptées, les partis seront amenés à chercher des femmes non préparées à l'exercice de responsabilités publiques et des jeunes insuffisamment formés et peu impliqués dans la vie politique. L'exemple de l'APN de 2017 en matière de représentativité, est à ce sujet, édifiant. De plus, de nombreux territoires ruraux traditionnellement représentés par des profils d'hommes sages (dans les anciens conseils de tribus et conseils de village), ne seront pas correctement représentés dans les APW et à l'APN ; les places occupées par les femmes et les jeunes viendraient, généralement, des grandes villes. Alors, cette importante proportion réservée aux femmes et aux jeunes (50% et 30%) dans la constitution, limite le choix pour les électeurs : par exemple, pour l'élection à l'APN et une circonscription de 8 députés, la liste risque de ne compter que 2 hommes de plus de 35 ans (si les femmes sur la liste ont, toutes, plus de 35 ans) ; c'est-à-dire 2 candidats seulement ont le profil recherché par la majorité des Algériens.

Pour toutes ces raisons, il est plus juste de donner plus de choix aux électeurs, en réduisant l'obligation à porter sur la liste, à au moins 25% de jeunes, et à au moins 25% de femmes, avec les mesures complémentaires suivantes :

. assurer pour les femmes au moins 25% sur le résultat obtenu par la liste, quel que soit le classement. Ce qui est autrement plus intéressant et que le projet ne prévoit pas.

. encourager financièrementles listes qui proposent plus que 25% de jeunes candidats.

Sur un autre plan, l'obligation de réunir des signatures pour soumettre à candidature une liste est une nécessité, car l'organisation de l'élection avec un grand nombre de listes, peut :

. faire la promotion de listes sur des bases tribales, claniques, etc., qui dévalorisent l'élection,

. entrainer la dispersion des voix et la difficulté de constituer des majorités,

. rendre ingérable l'élection sur le plan pratique,. etc.

Par ailleurs, dans le contexte politique actuel, et de recherche « d'un processus constituant », toutes les listes doivent trouver les parrainages, pour les prochaines élections ; y compris les partis présents dans les assemblées actuelles, d'ailleurs considérés comme mal élus. Également, la signature de l'électeur pour parrainage doit être réservée à une seule liste.

La question du remplacement de l'élu est abordée dans le projet, et tous les cas sont prévus. Mais le remplacement du député en cas d'exclusion, comme la levée de l'immunité parlementaire, sont des situations à appréhender avec prudence. L'utilisation abusive de l'immunité par certains députés, pour leur intérêt personnel, par le passé, ne doit pas inspirer, aujourd'hui, des mesures qui risquent de limiter l'activité des représentants du peuple. Il s'agit de protéger le mandat attribué par une élection populaire, à un député, en particulier par rapport à son parti.

Dans ce cadre, le projet de loi évoque : « le remplacement, dans le cas de l'exclusion, par le mieux classé non élu de la même liste ». Cela voudrait-il dire qu'un député exclu de son parti, en tant que militant, perd son mandat et est, de surcroit, remplacé dans la même liste ? Si tel est le cas cela donnerait, sans raison, un pouvoir considérable aux partis, affaiblirait l'indépendance et le rendement du député, et entrainerait une instabilité préjudiciable aux institutions.Toujours au titre du remplacement, il n'est pas évoqué dans le projet de loi qu'un élu à l'APC ou l'APW, qui rentre au gouvernement ou à la cour constitutionnelle, soit remplacé par le suivant classé dans la liste, de la même manière que l'élu à l'APN. Cela devrait être prévu comme valorisation de l'élu local et son parti.

Quant au Conseil de la Nation, le projet de loi maintient le mode électoral, mais introduit des conditions d'éligibilité qui peuvent résister au lobbysme et au « pouvoir de l'argent », et donc susceptibles d'assurer une meilleure représentativité et un meilleur rendement des élus.

En effet les règles proposées comme l'exigence d'un minimum d'un mandat complet d'élu local, pour être éligible au conseil de la nation, ou celle concernant le niveau d'instruction du candidat,réduisent l'opportunisme de ceux qui n'utilisent les assemblées locales que comme tremplin. Il serait important d'inclure d'autres critères :

. l'interdiction de candidature indépendante au sénat en cas de changement de parti ou d'appartenance politique ayant servi à l'élection à l'assemblée locale. Cette mesure responsabilise et implique les partis dans les choix des candidats, et contribue à moraliser la vie politique.

. l'engagement de non cumul de mandat avec toute autre activité, car malgré l'existence d'une loi sur ce sujet, de nombreux députés et sénateurs ont échappé à la règle par le passé, faute d'engagement préalable.

En conclusion, cette contribution qui s'est intéressée à certains aspects du mode électoral retenu par le projet de loi, indique qu'il s'agit d'un système adapté à la situation et aux objectifs de construction d'institutions démocratiques. En effet, les dispositions du projet, appelé à être enrichi par les partis, permettent déjà, à notre avis :

-de donner des résultats conformes aux poids réels des partis, ce qui facilite la constitution de majorités stables pour gérer, au mieux, les assemblées ;

- l'émergence de vraies élites politiques, parce qu'il oblige les partis et la société civile à présenter les « meilleurs candidats ».

Néanmoins, si les bonnes dispositions contenues dans les textes de la constitution et de la loi électorale participent à refonder un État de droit, fort par son caractère démocratique, elles ne peuvent assurer, à elles seules, la transparence des élections et l'émergence d'élus représentatifs et légitimes. Car les dérives du passé n'ont pas, toutes, été du fait des textes de loi, mais de la volonté politique qui a manqué aux hommes. A ce sujet, l'engagement renouvelé à maintes reprises par le Président Teboune, d'aller dans le sens de la demande citoyenne, encourage à relever le défi.

* Universitaire