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Covid-19 : évolution, séquençage et vaccination

par Mostéfa Khiati*

Lorsque le premier cas de SARS-Cov-2 a été déclaré le 25 février 2020 en Algérie, le monde enregistrait déjà 80 415 cas. Personne à cette date ne pouvait prévoir l'évolution de la pandémie comme on est en train de le constater avec le recul. Toutes les épidémies virales enregistrées jusqu'à présent dans le monde évoluent grossièrement sous forme d'une cloche avec l'apparition d'un nombre de cas qui commencent à croitre progressivement tout en s'accélérant jusqu'à ce que le pic soit atteint puis on assiste à une phase de décroissance tout aussi progressive.

La pandémie du Covid-19 ne répond pas à cette évolution classique. On a parlé de rebond, de nouvelle poussée ou encore de deuxième vague voire de troisième vague. Avec l'apparition de nouveaux ?'variants'' notamment au Royaume Uni, en Afrique du Sud, Brésil, Australie..., les chercheurs ont commencé à s'intéresser à l'étude du génome du virus car il a été prouvé qu'il s'agit en fait de nouvelles épidémies liées aux mutations du virus et que ce sont les nouveaux variants qui sont à l'origine de ce qu'on considérait comme des reprises épidémiques ou des rebonds mais qui en fait traduisaient de nouvelles épidémies. Déjà en été avec la dite deuxième vague observée en France, l'EHU de Marseille avait remarqué la prépondérance d'un nouveau variant appelé ?'Marseille 4'' qui avait tendance à prendre la place d'un virus arrivé par bateau du Maghreb qui lui-même avait pris la place du virus original venu d'Asie. Aujourd'hui, les deux derniers ont pratiquement disparu laissant la place à une compétition entre la souche anglaise et le variant 4.

Pour arriver à ces conclusions, il faut une étude permanente des virus grâce aux séquenceurs haut débit qui permettent la lecture des séquences d'ADN, base par base. Aujourd'hui les chercheurs de tous les pays s'y mettent pour suivre l'évolution épidémiologique.

Evolution en Algérie

Il existe de nombreux indicateurs utilisés en épidémiologie : nombre de contaminations, nombre d'hospitalisation, nombre de décès...

Depuis le début de l'épidémie, trois poussées épidémiques ont été notées. Durant le mois de mars 2020, un total de 716 cas de contamination a été enregistré dont 58 décès soit presque deux décès par jour.

Le gros de la première phase peut être situé entre le 2 et le 17 avril, il correspond à une élévation du nombre de décès qui a atteint deux chiffres, qui s'est mis sous la barre des dix décès à partir du 18 avril 2020. Au cours de cette phase 306 décès ont été notés.

La deuxième phase a commencé vers la mi-juin. Alors que le nombre de décès était de huit à neuf par jour au cours de la première décade, il passe à dix le 12 juin et se maintient à deux chiffres à partir du 15 juin avec une tendance à l'augmentation, il redescend le 21 juin à un chiffre puis repasse le 8 juillet à deux chiffres et s'y maintient malgré quelques fluctuations. Le chiffre le plus élevé de 14 décès est enregistré le 30 juillet alors que durant plusieurs jours le nombre de décès était de 13 malades : le 21 et 23 juillet, le 1er, 5 et 16 aout. Du 18 juin au 8 octobre, le nombre total de décès atteignait 642.

La troisième phase, elle a commencé le 13 octobre et se poursuit jusqu'à présent avec un nombre de contaminations jamais égalé depuis le début de la pandémie, un pic a été enregistré le 24 octobre avec 1133 cas officiels diagnostiqués par PCR. Ces chiffres ne sont pas trop précis car on remarque par exemple que le nombre de décès est passé de zéro le 15 octobre à 14 le 16 octobre, il était de zéro le 3 novembre mais il a explosé le lendemain à 19. L'explication de ces variations serait due au retard d'arrivée des prélèvements ou de la notification des décès !

Le nombre de contaminations diagnostiquées par PCR est encore moins fiable car il ne rend compte d'environ que du tiers des cas réels, les autres étant reconnus par scanner dans les hôpitaux. L'évolution épidémiologique de la pandémie depuis le début mars montre trois poussées épidémiques qui ont eu lieu respectivement durant le printemps, l'été et l'automne. La troisième poussée a été la plus meurtrière. Ces poussées semblent correspondre en fait à des épidémies suivant la définition classique de l'épidémie virale.

Importance du séquençage

Un séquençage précoce puis répété régulièrement aurait pu nous permettre d'étudier les cycles successifs dont est constitué l'ARN du SRAS-Cov-2 et de le comparer aux études menées dans les autres pays. Il nous aurait permis de savoir si ces épidémies étaient effectivement liées à de nouveaux variants.

Les virus se multiplient des milliards de fois dans les cellules. Cette multiplication rapide peut entrainer des pertes de fragments d'ARN ou d'ADN selon les virus. Une perte d'un fragment a tendance à fragiliser le virus ou tout au moins à lui faire perdre une partie de sa virulence. Il arrive cependant que les virus puissent infectés des animaux et subir alors des mutations qui le rendent plus virulents. Les Danois l'ont bien compris en décidant de sacrifier quinze millions de visons à la fin de l'été car ils avaient constaté une mutation du SRAS-Cov-2. Des élevages de visons et de furets existent dans de nombreux pays européens dont certains ont été contaminés même si officiellement ils n'ont pas été déclarés. Il existe aussi un risque que des élevages de porcs soient contaminés et que de nouvelles souches apparaissent. Certains médicaments comme la remdisivir qui a été conseillée avec insistance dans le traitement de la Covid-19 avant d'être retirée en raison de ses effets secondaires, est connue pour être fortement mutagène sur le SRAS-Cov-2.

Si on part du principe qu'il y a eu trois épidémies depuis le début de la pandémie en Algérie, le virus a peut être muté. Sa virulence a en tout cas augmenté entre la première poussée et la troisième poussée, bien qu'elle reste maitrisable. Il est donc impératif d'éviter une quatrième épidémie en mettant des mesures barrages drastiques contre les nouveaux variants qui circulent en Europe. Les risques existent avec les opérations de rapatriement. Il convient donc ou de procéder à un contrôle PCR chez toute personne arrivant par mer, air ou terre même si une PCR avant l'embarquement est exigée ou le cas échéant procéder au confinement des personnes durant deux semaines à leur arrivée sur le territoire national.

« C'est pire qu'un crime, c'est une faute »*

La deuxième initiative à prendre et de commencer rapidement des opérations de séquençage du virus circulant en Algérie. Selon la presse nationale, la cheffe du département de virologie de l'Institut Pasteur d'Algérie, affirme que le séquençage du virus HIV est fait de façon routinière à l'IPA et qu'il pourrait être étendu au Sars-Cov-2 afin d'identifier les variants mais jusqu'à présent ?'wait and see''. Le directeur de l'IPA pense qu'il est possible de surveiller l'apparition d'une éventuelle mutation grâce aux PCR effectuées quotidiennement. Si l'affirmation du directeur de l'IPA était juste pourquoi alors des milliers de séquençages sont faits tous les jours à travers le monde visant le SRAS-Cov-2 et pourquoi l'OMS considère le séquençage comme une priorité ? Bousculé par les questions du journaliste, le directeur de l'IPA finit par reconnaitre que «des essais pour le séquençage génomique du virus de la Covid-19 seront entamés dès aujourd'hui, à l'Institut Pasteur d'Algérie, nous étions en attente des réactifs». (El Watan du 26/01/21) Un tel aveu est lourd de sens, c'est une faute. Il nous apprend que l'IPA dispose de capacités lui permettant d'effectuer des séquençages et qu'il ne l'a pas fait jusqu'à aujourd'hui. Le ministre de la santé devrait désigner une commission d'enquête pour s'enquérir de cette situation gravement préjudiciable au pays en période de pandémie.

Le ministère de la santé dispose effectivement de plusieurs séquenceurs à haut débit de dernière génération achetés dans le cadre de l'équipement des Centres anti-cancer (CAC), il devrait mettre un ou deux de ces équipements à la disposition des équipes qui travaillent au niveau du Centre de biotechnologie de Constantine ou de certains laboratoires des universités pour entamer immédiatement le séquençage des virus circulants dans le pays. Ces équipements ont été achetés par des moyens nationaux et devraient pouvoir être utilisés par toutes les équipes ayant une compétence dans le domaine. Le cloisonnement des compétences et des moyens n'a que trop nui aux intérêts du pays.

La troisième conclusion qui doit être tirée est la nécessité de former des virologues et des généticiens et de prévoir pour eux des projections hospitalières. Le monde est en continuel changement et nous, nous restons attachés aux concepts obsolètes du passé.

Vaccins et variants : cacophonie et opacité

Le premier vaccin utilisé à large échelle, le vaccin américano-allemand (Pfizer-Biontec) fait appel à une nouvelle technologie dite génique jamais encore utilisée dans le domaine de la vaccination faisant appel à l'ARN messager. Cette technologie est basée sur la formation d'anticorps dirigés contre une protéine appelée spike qui permet au virus d'adhérer puis de pénétrer la cellule. Si une mutation sérieuse touche la protéine spike il est fort possible que les vaccins se révèlent sans effet et nécessitent une adaptation (les laboratoires disent qu'ils seraient capables d'apporter des modifications en 6 semaines, il faudra autant de temps pour commencer à produire le vaccin) mais si la mutation touche d'autres fragments du virus, le vaccin ne pourrait plus agir. Il exige une très basse température de stockage à moins 70°. Le vaccin américain Moderna utilise pour sa part de l'ARN viral qui constitue une partie du code génétique du virus, il nécessite d'être stocké à moins 20°. Ces deux vaccins nécessitent une double injection à quelques semaines d'intervalle.

Le vaccin russe spoutnik V utilise quant à lui un adénovirus comme vecteur, porteur du fragment immunogène du virus SRAS-Cov-2. Il est similaire au vaccin anglo-suédois d'Astra Zénéca et américain Johnson and Johnson sauf que ce dernier qui est en phase d'être agréé ne nécessite d'une seule dose et peut être conservé à température habituelle. Cette dernière caractéristique concerne également le vaccin Astra-zeneca. Tous ces vaccins contiennent des organismes génétiquement modifiés.

La troisième série de vaccins est représentée par le vaccin chinois Sinovac (CoronaVac) qui est un vaccin constitué de particules virales inactivées, il répond le plus à la définition classique d'un vaccin et nécessite deux doses mais peut être stocké dans un frigidaire ordinaire. Un deuxième vaccin chinois de Sinopharm est lui aussi composé de virus tués, il a été testé dans plusieurs pays étrangers comme l'Argentine, le Pérou, l'Egypte, la Jordanie...

Face aux déclarations contradictoires des membres du comité scientifique, du ministère de la santé et de l'agence de sécurité sanitaire, il est prématuré de se prononcer sur le vaccin qui sera utilisé en Algérie tant qu'il n'est pas encore arrivé. Cette cacophonie est doublée d'une opacité sur les modalités de la vaccination contre la Covid-19.

Quel est l'objectif de la vaccination : éradiquer le virus auquel cas, il faut vacciner 70 % de la population ou protéger les catégories de population les plus sensibles (personnes âgées, malades chroniques, professionnels de la santé en contact avec le virus, agents de la protection civile...) Les modalités pratiques de cette vaccination n'ont toujours pas été rendues publiques en dehors de la désignation vague des lieux de vaccination : 8 000 points selon les responsables de la santé.

*Boulay de la Meurthe (1761-1840)

*Professeur.

Médecin chercheur, Président de la FOREM